"Cette inauguration est l'aboutissement d'un précieux rêve pour l'artiste que je suis.""C'est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante." Cette citation de Paulo Coelho dans "L'alchimiste", Moncef Dhouib en sait quelque chose. Pendant deux ans, l'homme de théâtre s'est battu pour son rêve sans jamais désespérer ni baisser les bras. L'inauguration de Ciné Vog, ancien lieu de culture retapé à neuf par Moncef Dhouib, aura lieu dimanche 22 juin. Pour l'artiste, c'est une véritable consécration même si quelque part, il a peur que ça ne marche pas aussi bien qu'il le voudrait. Pour les habitants du quartier, c'est tout un pan de leur histoire qui renait de ses cendres. Nostalgiques, ils se souviennent tous, toutes générations confondues, de ce petit cinéma de quartier, construit dans les années 50 au Kram, par la famille italienne Lombardo. Suite au départ de ses propriétaires après l'indépendance de la Tunisie, la salle est rachetée par des distributeurs tunisiens mais ne sera plus exploitée depuis la fin des années 80. C'est un pari osé qu'a relevé Moncef Dhouib mais aujourd'hui que les travaux sont presque achevés, il se sent fier, très fier. Rencontre avec un artiste pour qui le mot "impossible" n'a pas sa place dans son lexique.Le temps : Ciné Vog ouvrira ses portes dans quelques jours. C'est un rêve qui se réalise? Moncef Dhouib : je précise que dimanche 22 juin aura lieu l'inauguration de Ciné Vog mais les activités ne démarreront qu'à la rentrée culturelle en octobre, le temps pour nous de finaliser les derniers travaux et de nous organiser pour que l'ouverture officielle soit un vrai événement. En ce moment, la période n'est pas propice avec la saison estivale, la coupe du monde, ramadan... *Pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette aventure?-Au début de l'aventure, je n'avais pas du tout l'idée de lancer un tel projet. Il y a deux ans, j'étais tout simplement à la recherche d'un lieu de répétition pour mes comédiens et c'est alors que le propriétaire de CinéVog m'a proposé cet espace fermé depuis une vingtaine d'années. Mais dès que j'ai vu l'endroit, le coup de coeur a été immédiat. Je me suis tout de suite lancé le défi de faire revivre cet endroit mythique, de lui redonner une deuxième jeunesse malgré son état délabré. J'ai conclu un accord financier avec le propriétaire des lieux et j'ai foncé. Cela a été un grand saut vers l'inconnu. Je ne savais où cela allait-il me mener, surtout que je n'avais pas les ressources financières nécessaires pour rénover l'endroit qui compte une salle de spectacle et des dépendances. Mais j'étais motivé et j'y croyais, c'est tout ce qui comptait.*Avez-vous pu obtenir facilement des financements?-Non, malheureusement non. J'ai connu de nombreux déboires pendant ces deux années de travaux. C'est que très peu de décideurs croient et investissent dans l'art. Les banquiers que j'ai contactés ont beaucoup apprécié le projet mais ont refusé de m'accorder des crédits. Les hommes d'affaires n'y ont pas vu un projet très rentable donc ils n'ont pas voulu y investir de l'argent. Quant aux autorités concernées, une loi surannée interdit au Ministère de la Culture de financer la construction ou la rénovation d'espaces d'art privés. A cause de cette législation désuète, presque tous ceux qui ont voulu lancer de tels projets ont lâché prise pour manque de moyens financiers. Et comme je les comprends !*Comment avez-vous pu financer alors votre projet?-Encore une fois, c'est la société civile qui a fait des miracles. Lorsque j'ai commencé à parler autour de moi des difficultés financières que je rencontrais, des particuliers, passionnés d'art, m'ont contacté et c'est ainsi que s'est constitué le groupe "Les amis du Ciné Vog". C'est ainsi qu'on a pu obtenir quelques financements mais surtout des dons en nature. Nous avons contacté des personnes qui avaient de grands chantiers de construction un peu partout en Tunisie et qui n'ont pas hésité à nous offrir des sacs de ciment, des briques, du marbre, du carrelage, du bois, des sanitaires... C'est alors que les travaux ont pu être réalisés et le projet a vu le jour. Il nous reste encore quelques petites finitions à terminer mais l'essentiel du travail est réalisé. *Combien ont coûté les travaux?-En tout, si nous devions aussi comptabiliser les dons reçus en nature, la facture de l'ensemble des travaux s'élèverait à quatre cent mille dinars.*Pourquoi avoir tenu bon malgré les obstacles?-Il faut savoir que Ciné Vog ne me rendra jamais riche. Ce n'est pas un projet très rentable et ce n'est donc pas l'appât du gain qui m'a fait tenir bon. C'est plutôt un de mes plus précieux rêves d'artiste qui se concrétise. Celui d'avoir mon propre théâtre, ma propre scène et par-dessus tout, ne plus avoir à chercher un espace pour les répétitions des comédiens qui jouent dans mes pièces. Ensuite, CinéVog est un espace d'art de proximité et c'est ce qui fait tout son charme mais aussi son importance. Malheureusement, dans les nouveaux quartiers aussi bien huppés que populaires, il y a tout sauf des lieux dédiés à l'art et au spectacle. Aujourd'hui, dans le contexte actuel, la salle de quartier est l'exemple à donner et tant mieux qu'elle soit située au Kram. *Justement, le Kram est un quartier assez turbulent...-J'en suis conscient mais je ne veux pas en faire une fixation. Ciné Vog est une salle de proximité, neutre, apolitique, qui se veut être proche des habitants du quartier et loin de tous les conflits. S'ils n'adhèrent pas au projet, ils ne sauraient tenir bien longtemps. Notre public, c'est eux. En deux ans, nous avons appris à nous connaitre. Nous avons certes eu quelques petites mésaventures avec certains mais ce qui est sûr, c'est que beaucoup apprécient le projet et ont hâte que CinéVog ouvre ses portes. La preuve, chaque dimanche, les femmes du quartier préparent à manger aux ouvriers et les gâtent avec des gourmandises. De ce côté, je suis rassuré mais crains surtout la jalousie de certains "collègues" du monde du spectacle. En effet, nombreux sont ceux qui convoitent désormais Ciné Vog et certains ont même proposé au propriétaire des lieux de "petits arrangements" pour me faire dégager de là et récupérer la salle. Ceci est ma véritable crainte. Quant aux habitants du Kram, ils sont et seront toujours les bienvenus dans cet espace qui est le leur et qui ne saurait perdurer sans eux.*Comment comptez-vous faire vivre Ciné Vog?-Comme je l'ai dit, Ciné Vog n'est pas du tout un projet lucratif. Mon souhait serait que l'espace vive de ses bénéfices et perdure, qu'il ne soit pas déficitaire et criblé de dettes. Cela me fera vraiment mal au coeur qu'après tant d'efforts, Ciné Vog referme de nouveau ses portes. C'est pourquoi, nous avons conçu un espace d'art polyvalent incluant une salle à la fois de cinéma et de théâtre et où il est aussi possible d'organiser des concerts de musique. L'espace comprend aussi un café culturel et une galerie d'art. En parallèle, des cycles de formation aux métiers du spectacle, assurés par des professionnels, seront régulièrement organisés ainsi que des ateliers artistiques pour les enfants. Régulièrement, des mamans nous rendent visite et nous demandent s'il y aurait des animations pour les enfants. C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'avoir un espace d'art dans le quartier où les jeunes peuvent occuper leur temps d'une manière ludique, loin des dangers de la rue. Ces formations seront accessibles à tous et proposées à des prix qui ne rebuteront pas ceux qui désirent y participer. Il y aura aussi chaque semaine, des projections de films pour les grands et les petits ainsi que des spectacles pour les familles. *Quels sont vos futurs projets?-J'ai deux pièces de théâtre en cours de préparation. La première " Dar Ethakafa" (La maison de la culture) avec Hichem Rostom et Taoufik Bahri. La deuxième est un one-man-show avec Mongi El Ouni qui s'intitule " Mouldi el banney se présente aux élections présidentielles". Ce sera l'occasion pour ironiser, à ma manière, sur la lutte acharnée que se livrent les politiciens pour arriver au sommet de l'Etat. Entretien conduit par :