En réponse aux derniers actes terroristes qui ont frappé de nouveau l'armée tunisienne, le gouvernement Ben Jomaâ a pris plusieurs décisions, dont la suspension de l'activité de 157 associations suspectées d'avoir des liens avec le terrorisme. Cette décision a suscité une grande polémique. Certaines voix de la société civile ont attiré l'attention du gouvernement et de l'opinion publique sur la menace qui pourrait peser sur les droits humains et la liberté d'expression au nom de la lutte contre le terrorisme. Human Rights Watch a, de son côté, jugé la suspension de l'activité de ces associations comme arbitraire et n'ayant pas respecté la procédure légale. La lenteur de la procédure législative Dans un communiqué de presse, l'organisation a déclaré ces mesures «disproportionnée» et ne répondant pas à la loi tunisienne relative aux associations. En effet, selon la loi, seule la justice peut décréter la suspension d'activité d'une association ou de sa dissolution. Dans une déclaration donnée par le Directeur Adjoint de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, Eric Goldstein a fait savoir que «les autorités tunisiennes ont de bonnes raisons de combattre le terrorisme mais qu'elles ne devraient pas agir en dehors du système judiciaire et bafouer des droits protégés par la Constitution et par la loi ». Ces associations ont obtenu un formulaire-type intitulé «Décision de suspension d'activité» qui leur a été déposé par le gouverneur régional. Ledit document fait référence à la loi n° 52 du 13 juin 1975, en particulier l'arrêté 5183 de novembre 2013, le décret-loi relatif aux associations en Tunisie et les articles 10 et 11. Human Rights Watch a eu vent du formulaire qu'ont reçu 12 associations. Les arguments juridiques avancés par le gouvernement sont contraires aux lois relatives aux associations selon ses appréciations. La loi tunisienne nouvellement promulguée est claire. Seuls les tribunaux sont aptes à décider du sort d'une association, si elle est à dissoudre ou à suspendre. Par ailleurs, Human Rights Watch rappelle que cette opération se fait sur trois phases. Dans un premier temps, le tribunal envoie une mise en demeure de remédier à la transgression perpétrée, s'en suit un arrêt d'activité d'une durée de 30 jours. Cette mesure de suspension est du ressort du Tribunal de Première instance de Tunis sur requête du gouvernement. Si au terme de cette période, l'association n'a toujours pas remédié aux infractions, le tribunal ordonne sa dissolution. Quant aux gouverneurs, les articles 10 et 11 leurs donnent la responsabilité d'assurer la sécurité et l'ordre public. Ils sont également appelés à contrôler le travail des associations et des organismes associatifs financés par l'Etat. Toutefois, suivre une telle procédure s'avère une longue perte de temps dans la mesure où la Tunisie est en train de lutter contre un fléau impitoyable qui agit rapidement et efficacement. Il se nourrit, en autres, de la lenteur des procédures législatives, du laxisme de l'Etat et la torpeur des grands décideurs politiques. Il suffit de constater le retard hallucinant que connait la promulgation de la loi anti-terroriste au sein de l'ANC. Dans l'affaire de la Ligue nationale pour la Protection de la Révolution, le gouvernement avait respecté cette longue procédure. Ce n'était pas le cas des 157 associations suspendues. La démarche suivie constitue selon Human Rigth Watch «une violation du décret-loi n° 2011-88, adopté par le gouvernement de transition en septembre 2011». Il convient de noter que cette nouvelle loi a pris la place d'une ancienne loi tyrannique où toute vie associative non homologuée est un crime. Dans son communiqué, Human Right Watch s'est basée sur les lois relatives à la vie associative telles qu'elles sont promulguées dans la nouvelle Constitution du 27 janvier 2014 (article 35), dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article22), ou encore la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples. L'intransigeance de l'Etat est justifiable Or, face à un contexte pareil, où le danger du terrorisme est imminent, peut-on reprocher à un Etat l'exécution de telles mesures ? Peut-on, aujourd'hui, dans un climat d'insécurité affligeant où pas une semaine ne passe sans qu'il y ait de nouveaux actes terroristes, se permettre d'être indulgent et prendre des risques ? Aux dernières nouvelles, la suspension des activités de ces 157 associations n'était pas aléatoire. Ces dernières auraient un lien direct ou indirect avec le terrorisme. Aux lendemains d'un deuil national, le plus lourd depuis que les coups terroristes ont commencé contre l'appareil sécuritaire, peut-on reprocher au gouvernement de ne pas prendre de décisions radicales et intransigeantes même s'il évite les longues procédures? D'aucuns savent que l'appareil judiciaire tunisien est d'une complexité et d'une lenteur légendaires. Peut-on face à un fléau tel que le terrorisme, prendre tout notre temps pour réagir et attendre que les tribunaux s'y prononcent ? L'ennemi est là, guettant dans les pénombres les mouvements de l'armée, de la garde nationale, de la police et du gouvernement. Bien organisé et ayant le sens de la stratégie, il sait quand et comment frapper avec une précision et une rapidité souvent déroutantes. A-t-on encore le temps d'attendre l'application étape par étape des procédures pénales longues et complexes alors que l'ennemi frappe tel le tonnerre ? Ce que Human Right Watch reproche au gouvernement c'est le non-respect des textes de loi relatifs à la vie associative. Mais cette législation est complexe et lente donc inapte à un contexte d'urgence extrême ? Peut-on se permettre de parler de violation de la loi et de la liberté d'association ? L'objectif de cette suspension des 157 associations n'est-il pas assez légitime quand il s'agit de lutter farouchement contre les crimes du terrorisme ? Sur le droit à la liberté d'association, les Nations-Unies ont déclaré en 2012 : «La suspension d'une association et sa dissolution forcée sont parmi les atteintes les plus graves à la liberté d'association.». Mais ladite déclaration a également précisé : « Elles ne devraient donc être possibles qu'en cas de danger manifeste et imminent résultant d'une violation flagrante de la législation nationale, conformément au droit international des droits de l'Homme.». Le terrorisme n'est-il pas une violation flagrante des droits de l'Homme ? D'ailleurs, le rapporteur général des NU explique encore que de «telles mesures doivent être strictement proportionnelles à l'objectif légitime poursuivi et utilisées uniquement lorsque des mesures moins radicales se sont révélées insuffisantes.». En effet, le gouvernement n'a pas ordonné la dissolution mais le gel des activités desdites associations. Par ailleurs, quoique de plus légitime que d'arrêter l'activité d'un grand nombre d'associations suspectés de lien avec le terrorisme quand le pays baigne pays de plus en plus du sang de ses soldats ?