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Quand Rached Ghannouchi fait le bon Samaritain.. "Les oiseaux de bon augure rôdent toujours".. Il prévient Béji Caïd Essebsi contre des "infiltrés gauchistes"
La première impression qui reste de l'interview accordée avant-hier par Rached Ghannouchi à Nessma TV, c'est que son sujet fut purement "local" et électoral. La journaliste Meriem Belkadhi avait manifestement préparé ses questions de manière à cerner le cheikh de très près et à l'empêcher de s'étendre sur d'autres problèmes régionaux ou internationaux. Certes, il y eut un ou deux détours sur la situation en Libye et sur la rencontre au sommet avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika ; mais ces bifurcations furent extrêmement brèves et évasives. L'essentiel de la rencontre porta surtout sur les scrutins d'octobre et de novembre, et sur la position respective d'Ennahdha et de Nida Tounès avant ces deux délais cruciaux. On parla même davantage d'Essebsi et de Ghannouchi que de leurs partis. Béji Caïed Essebsi était effectivement l'absent-présent au cours de l'interview de mardi soir. A peine les noms de Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jâafar, Ahmed Néjib Chebbi et Mehdi Jomâa furent-ils évoqués ! Meriem Belkadhi réussit même à concentrer ses questions sur un possible nouveau rapprochement entre Ennahdha et le Nida et à entraîner Rached Ghannouchi vers un appel à la « réconciliation ». Qui sait par ailleurs si cela n'arrangeait pas les affaires du Cheikh et d'Ennahdha, quelque peu vexés par les dernières déclarations de Si Béji sur l'improbabilité, après le vote, d'une alliance entre les deux grands partis politiques tunisiens du moment ! Question de vocabulaire ! Ghannouchi fit de son mieux, cependant, pour que son discours ait un seul leitmotiv : l'unité, le consensus, l'union ! Le glossaire auquel il eut recours était chargé à fond des termes qui développent cette thématique centrale de son intervention de mardi soir : au total, on peut facilement compter une centaine (un peu plus, un peu moins) d'occurrences des mots comme « unir », « rassembler », « fédérer », « rapprocher », « travailler ensemble », « œuvrer de concert », « serrer les rangs », « dénominateur commun » etc. Ghannouchi dit même qu'il souhaitait vivement de voir ses rivaux surmonter leurs luttes et divisions internes et s'unir en un seul front. Dans le même sens, il tint à prévenir la présidence de Nida Tounès contre le danger des « infiltrés gauchistes » qui de l'intérieur poussent la direction du parti à prendre des positions contraires à ses velléités fédératrices exprimées à maintes reprises notamment vers la fin de 2013 et au début de cette année. Sans préciser qui sont les « extrémistes » visés, le Cheikh semblait vouloir monter une aile « tendre » du Nida contre une soi-disant « aile dure » de ce même parti ; un peu comme lorsqu'on parlait il y a un an ou plus des « colombes » et des « aigles » d'Ennahdha. Passages obligés ! Au cours de l'interview, force est également de noter que Rached Ghannouchi glissa quelques contrevérités et trahit deux ou trois contradictions qui, désormais, sont devenus comme des passages obligés dans les interventions de tous les leaders nahdhaouis et pas seulement dans celles du Cheikh : par exemple à propos du projet de loi sur « l'immunisation » de la Révolution ! Ennahdha et ses alliés, tout le monde s'en souvient, avaient longtemps soutenu l'initiative avant d'y renoncer dans le cadre d'un calcul politique presque imposé aux députés nahdhaouis. Idem pour l'âge maximal du candidat à la présidentielle, fixé d'abord à 75 ans : la proposition fut défendue entre autres par le groupe parlementaire d'Ennahdha avant que celui-ci ne se montre plus souple sur le sujet. Pour ce qui est de la démission du Gouvernement d'Ali Lâarayedh, Ghannouchi la justifia encore une fois par la volonté de ses hommes, de « sauver » la Tunisie, alors qu'Ennahdha fut contrainte par l'Opposition de céder le pouvoir. A propos du Destour, le Cheikh a d'autre part oublié de dire combien de mois les députés d'Ennahdha ont fait perdre au pays avant de reconnaître et d'adopter les textes les plus avant-gardistes de cette Constitution. Pour ce qui est de la proposition d'un président consensuel, Ghannouchi n'a à aucun moment su concilier l'attachement de son parti à la légitimité électorale et l'idée d'un président choisi par les partis et non par le peuple ! Enfin, il dit ne voir aucun mal à ce qu'un ancien ministre de Ben Ali se présente aux élections, lui qui trois ans durant et jusqu'à mardi soir, n'arrêtait pas de fustiger le RCD, les « Azlem » et le régime corrompu et dictatorial que ces derniers ont instauré durant vingt-quatre ans ! Qui menace quoi ? Le dernier point qui a retenu l'attention dans les réponses de Ghannouchi a trait à la réussite de ce qu'il appelle « l'opération électorale » (ou l'opération démocratique). Pour le Cheikh, Ennahdha œuvre d'abord au bon déroulement des prochaines élections, sa priorité n'est pas de les remporter ! Et Ghannouchi de prévenir les Tunisiens : « les oiseaux de mauvais augure rôdent toujours ! ». En fait, qui met en danger les prochaines élections ? Sont-ce les rivaux « démocrates » d'Ennahdha ou bien d'anciens alliés salafistes jihadistes d'Ennahdha ? Et puis, qui ronchonne ces derniers temps à propos des arrestations dans les rangs intégristes, des fermetures de mosquées salafistes, des suspensions d'associations suspectes ? Ne sont-ce pas des partisans d'Ennahdha ? Il y a lieu enfin de poser cette question à Rached Ghannouchi : est-ce du ressort d'Ennahdha de réunir les conditions idéales pour un bon déroulement des élections ? Si c'est le cas, quel est le rôle de l'actuel gouvernement ? D'autre part, si le sort du scrutin dépend d'Ennahdha, cela veut dire que le parti de Ghannouchi peut –quand il le veut- faire échouer « l'opération électorale » ! C'est du moins le sous-entendu que nous avons cru bon de saisir dans les propos du cheikh ! Qu'on nous détrompe si notre lecture des messages implicites de l'interview est erronée !