Mehdi Jomâa a créé l'événement cette semaine : il y eut d'abord le bruit déclenché autour de sa possible candidature à la présidentielle, ensuite les supputations et les interrogations sur ce qu'il allait déclarer pendant « sa » conférence de presse, et maintenant les commentaires nombreux sur son refus de la course à Carthage ! Restons sur ces dernières réactions suscitées par la brève mise au point de l'actuel chef du gouvernement provisoire, pour remarquer que depuis son avènement à la Kasbah, Jomâa n'a jamais récolté autant d'éloges et de satisfecit qu'avant-hier ! Tout le monde ou presque souligna sa noblesse morale, son attachement indéfectible aux hautes valeurs et son mépris des bas calculs politiciens ! Une certaine presse fit de lui le champion des engagements respectés et des serments honorés ! Une autre catégorie d'observateurs forgea autour de sa personne l'image d'un honnête dirigeant rebelle à toute forme de pression, de récupération et de manipulation ! En fait, la brève intervention télévisée de mercredi soir nous semble valoir par le message sincère, émouvant, mais dérisoire que Jomâa voulut adresser à ses successeurs et à tous les électeurs tunisiens ! Pourquoi « dérisoire » justement ? Prêcher dans le désert Les personnalités célèbres et les illustres inconnus qui se présentent aux prochaines élections législatives et présidentielles auront-ils à cœur de préserver les nobles valeurs morales dans une compétition où tous les coups sont permis ? La politique sourit rarement aux plus intègres et aux plus « propres », elle récompense plutôt les plus rusés, les plus sournois et les plus opportunistes ! L'idéalisme y a certes sa place ; mais seulement dans les discours ! Jamais dans les faits ! Mehdi Jomâa prononça un beau « testament » avant-hier ; mais il est le premier à savoir que c'était des paroles en l'air ! Ceux à qui celles-ci sont soi-disant destinées n'ont que faire des leçons de bonne conduite morale : ils ont chacun un objectif à atteindre par tous les moyens, y compris par les pratiques que la morale commune réprouve. Machiavéliques à souhait, les professionnels de la politique mentent, fraudent, volent, trahissent, corrompent et se font corrompre, tuent même, si leurs fins premières exigent de telles vilénies ! Les « apprentis » n'ont qu'à suivre leur modèle en apportant au besoin leur touche personnelle à l'immoralité ambiante. L'inévitable maquillage Mehdi Jomâa appela les candidats aux élections à ne pas tromper les Tunisiens, à leur promettre le possible au lieu de les berner avec des chimères ! Mais ignore-t-il que la plupart de ces candidats n'ont que des mirages pour mener leurs campagnes électorales respectives ! D'autre part, peut-on par exemple, demander au promoteur d'un produit de consommation de dire toute la vérité sur la composition réelle de sa marchandise, de ne pas en exagérer les prétendues vertus ! Les élections sont des coups de publicité inévitablement mensongère ! Comment dès lors qu'on admet cette évidence s'empêcher de « mentir » aux électeurs, surtout lorsqu'on est sûr que l'adversaire ne s'embarrassera pas de scrupules en vantant ses programmes ! Ose-t-on demander aux candidates d'un concours de beauté de se passer de maquillage et de se présenter à la compétition sans recourir au moindre effet embellissant ? Mehdi Jomâa s'est permis quelques minutes de rêves « innocents », mercredi dernier ! Les bonnes gens qui suivaient sa conférence l'ont plutôt applaudi pour le beau discours qu'il a tenu ! Ce sont hélas, ces mêmes bonnes gens qui dans un mois acclameront peut-être les pires candidats, en les prenant pour les meilleurs ! Prudence est mère de sûreté Mehdi Jomâa déplorait la crise de confiance qui règne entre les candidats eux-mêmes d'un côté, et entre ces derniers et la masse des électeurs, de l'autre : les Tunisiens ont plutôt tendance à se méfier de tout le monde, y compris d'eux-mêmes parfois ! Mais ne vaut-il pas mieux rester prudents que de donner aveuglément carte blanche à de vilains loups déguisés en angéliques agneaux ! Beaucoup de concurrents pour le trône de Carthage et pour les sièges du futur Parlement n'inspirent pas vraiment confiance ! Pour autant, les citoyens doivent absolument choisir parmi eux leurs futurs dirigeants. Il leur faut donc ouvrir la boîte de Pandore en espérant voir en sortir non pas les meilleurs candidats (parce qu'il n'y en a pas) mais les moins mauvais prétendants ! C'est Charles Pasqua qui un jour recourut à une impropriété de la langue française pour justifier le soutien apporté par le gouvernement français à Zinelabidine Ben Ali dans les années 90 : il disait de ce dernier qu'il était « le moins pire » des présidentiables tunisiens de l'époque ! Force est de reconnaître que nous sommes aujourd'hui dans une situation similaire : il s'agit de choisir le moindre, parmi plusieurs maux !