On parle un peu trop ces derniers jours de la fraude aux examens, plus particulièrement au baccalauréat. Les commentaires dénonciateurs, railleurs, nostalgiques, cyniques fusent de toutes parts. C'en est fini de nos examens, de nos diplômes, de notre système éducatif ! Et chacun des « vieux briscards» de rappeler que de son temps, c'était tout autre chose et que les certificats les plus anodins valaient bien mieux que les grandes attestations d'aujourd'hui. Reconnaissons que la triche, la fraude en général n'est pas une pratique nouvelle ni qu'elle concerne une génération plutôt qu'une autre ou un domaine plus qu'un autre. C'est un phénomène tout à fait explicable et parfois compréhensible. Dans une société comme la nôtre, qui n'a jamais triché ? Qui n'a, ne serait-ce qu'une fois, été tenté par une opération frauduleuse même mineure ! La fraude c'est comme le mensonge ; tout le monde la condamne, mais tout le monde y recourt ! Le crépuscule des « anges » Restons dans l'enseignement, une bon nombre de professeurs tunisiens ne doivent leurs diplômes ou leurs postes que grâce à une manœuvre personnelle ou administrative quelconque ; on triche pour avoir un bon emploi du temps ; pour ne pas travailler loin de chez soi, pour avoir les bonnes (ou les mauvaises) classes, pour se faire titulariser, pour la promotion professionnelle, pour les congés de courte ou de longue durée, et même pour s'épargner certaines obligations pédagogiques qui nécessitent peu d'efforts (surveillance, correction, impression de documents, conseils aux élèves, sorties éducatives ou récréatives). Les syndicalistes de l'enseignement sont loin d'être des anges, des histoires à n'en pas finir courent sur eux qui les accusent de favoritisme, de népotisme, de régionalisme, de corruption même, quand il s'agit de rendre quelques « services » aux amis, proches, camarades, et autres pistonnés recommandés par untel ou unetelle ! A la tête du client Toujours à propos des enseignants, ceux de tous les cycles, depuis le primaire jusqu'à l'Université, on en compte pas mal qui « copient », qui plagient, qui falsifient, qui préparent des antisèches et des fausses copies pour les concours. Les jeunes étudiants dont on découvre les délits faussaires ne sont presque pas sanctionnés. De nombreux mémoires de recherche et même des thèses sont entachés de triches diverses et les jurys ferment l'œil selon la tête du client. Les mentions sont galvaudées et parfois même rétribuées. En classe, les sujets des tests incitent à la récitation, et pour ceux dont la mémoire est vacillante, les encouragent à la pratique faussaire. Aux examens aussi, on propose des sujets propices à la triche individuelle et collective ! Certes, il arrive qu'on sévisse plus ou moins durement contre ces pratiques ; mais les sanctions restent insuffisantes et très peu dissuasives dans une société elle-même « tricheuse » ! Fraudeurs haut de gamme Parlons par exemple fraude fiscale, c'est-à-dire de ces citoyens qui ne paient pas leurs dus à l'Etat ; parlons de ceux qui paient peu pour ne pas payer plus cher; parlons des industries, fabriques, usines, ateliers et autres petites et moyennes entreprises qui fraudent dans la confection et la composition de leurs produits, qui trichent pour ne pas accorder leurs droits aux ouvriers ou pour échapper aux procès ; parlons des commerçants qui trichent en matière de tarifs et de durée de vie de leurs marchandises ; parlons des usagers de la circulation qui fraudent avec les signalisations routières, des banques et des assurances qui trichent « légalement » ou illégalement les clients! Parlons aussi des politiques qui n'arrêtent pas de mentir, des télévisions qui les relaient dans la manipulation et la propagande monnayées, des campagnes électorales aux frais du contribuable, des élections falsifiées, des sondages truqués, des interviews de hauts ou de petits responsables savamment mijotées, des articles de presse grassement payés, des visites mensongèrement inopinées ; des feuilles de routes poudres aux yeux et de tant d'autres manigances transmises entre générations et toujours plus perfectionnées. Les mains sales triomphent Dans un tel décor, comment veut-on que la triche et la fraude soient bannies : aujourd'hui c'est le tricheur, c'est le fraudeur qui est à l'honneur ; surtout s'il est habile pour s'en sortir quand il est coincé ! La fraude est aussi une forme d'intelligence dans un monde qui n'offre pas des chances égales à tous ses « candidats » ; on ne recourt aux détours frauduleux que lorsque la ligne « droite » n'est pas synonyme de rectitude ni d'intégrité ! On se moque des « mains propres » et l'on récompense les mains sales ! Logique implacable suivie désormais partout chez nous, et qui plus est, après une « Révolution » dont on attendait qu'elle moralise ou aide à moraliser un peu plus notre vie sociale, politique, religieuse, culturelle, sportive etc. Nous croyions que c'était la révolution de la « valeur ajoutée » ; ce fuit celle de la valeur « atrophiée ou défalquée », des honneurs bafoués, des idéaux piétinés ! Alors, s'il vous plaît, trêve de morale sur les fraudes, nous sommes tous, de force ou de bon gré, des tricheurs haut gradés ou en cours de promotion !