Loyers, impôts, frais de scolarité, produits de base de plus en plus chers...Les charges de la classe moyenne sont de plus en plus lourdes. Sur le plan salarial, rien ne bouge depuis presque deux ans. Du coup, c'est le pouvoir d'achat de la majorité des Tunisiens qui s'érode, année après année. Un récent sondage de l'Observatoire de protection du consommateur et du contribuable révèle que la paupérisation rampante de la classe moyenne est bien réelle. Il souligne, en effet, que 47% des salariés dépensent la totalité de leurs revenus entre les 12 et 13 de chaque mois. Ce même sondage fait ressortir que 17% des familles tunisiennes ne consomment pas de la viande et 38% des familles tentent de faire leurs provisions dans les espaces commerciaux spécialisés dans la vente du producteur au consommateur pour tenter de juguler la flambée des prix des denrées alimentaires. Selon les dernières données l'Institut national de la statistique (INS), la classe moyenne ne représente plus actuellement que 53% de la population tunisienne, contre 84% en 1984 et 70% en 2010. Selon le ministère des Finances, la classe moyenne tunisienne regroupe 1,9 million de travailleurs répartis entre le secteur public, les professions libérales et le secteur privé. 60% d'entre eux perçoivent un salaire inférieur à 800 dinars par mois, et 33% touchent un salaire mensuel de moins de 400 dinars. Appellation non contrôlée Certains experts estiment en revanche que ce chiffre de 1,9 million de travailleurs est exagéré dans la mesure où la proportion des travailleurs touchant moins de 400 dinars par jour ne peuvent plus désormais figurer dans la classe moyenne. L'Universitaire et spécialiste des risques financiers, Mourad Hattab rappelle, dans ce cadre, que la classe moyenne se caractérise selon les normes internationales par les personnes ayant un pouvoir d'achat journalier compris entre 8 (14,2 dinars par jour ou 426 dinars par mois) et 20 dollars (35,5 par jour ou 1065 dinars par mois) en parité du pouvoir d'achat. En effet, les instances internationales évoquent souvent l'existence de trois couches dans la classe moyenne. Il s'agit premièrement de la classe moyenne inférieure ou vacillante, dont la capacité journalière de dépenser est comprise entre 5 et 8 dollars et qui peut facilement basculer dans la classe pauvre. La deuxième couche est la classe moyenne intermédiaire qui est capable de dépenser quotidiennement entre 11 et 15 dollars alors que la troisième couche de la classe moyenne supérieure qui a une capacité de dépenser est située entre 16 et 20 dollars /jour. Pour l'économiste Baccar Gherib, la notion de classe moyenne a toujours été «particulièrement floue et extensible ». Ce professeur d'économie à l'Université de Jendouba explique dans son ouvrage «Les classes moyennes tunisiennes entre mythe et réalité» publié en 2012 que la difficulté à déterminer précisément le périmètre dette classe provient du fait que «cette appellation non contrôlée évoque plus souvent une catégorie fourre-tout ou un slogan politique qu'un concept socio-économique répondant à un minimum de rigueur scientifique». Précarité de l'emploi et chômage Pour M. Gherib le rétrécissement de la classe moyenne a commencé en 1986, quand la politique sociale de l'Etat tunisien en matière de subventions, d'allocations, d'aides est passée de générale à ciblée. «La classe moyenne a été lésée par cette inflexion de la politique sociale et le ciblage des plus défavorisés depuis la mise en œuvre du Plan d'ajustement structurel (PAS) et l'approfondissement du choix libéral, axé sur les exportations, durant les années 1990. Cette période a vu, de même, la prolifération des contrats à durée déterminée (CDD, seuls contrats possibles dans les zones off-shore) aux dépens des contrats à durée indéterminée (CDI), ce qui fragilise encore plus le salariat», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Le phénomène aux effets déstabilisateurs les plus importants pour les classes moyennes est le chômage des diplômés de l'enseignement supérieur. Une étude réalisée conjointement par la Banque mondiale et le ministère de l'Emploi montre que, trois ans après l'acquisition de leur diplôme, 45 % des jeunes diplômés sont encore au chômage. Cette évolution inédite jusque-là a frappé au cœur le modèle de promotion sociale qui a vu, durant les trois premières décennies de l'indépendance, tant l'accroissement numérique que la victoire symbolique des classes moyennes en Tunisie ». D'autres experts estiment que la pression fiscale sur les salariés qui ne cesse d'augmenter (80% des impôts directs proviennent des salaires actuellement) a également contribué à réduire le périmètre de la classe moyenne. Dans ce chapitre, les récentes mesures prévues par la Loi de Finances complémentaire pour l'exercice 2014 et relatives au passage de 68 secteurs d'activité du régime réel d'imposition au régime forfaiture n'ont certainement pas amélioré les choses. À moyen terme, la classe moyenne pourrait encore pâtir de la profonde réforme annoncée de la Caisse générale de compensation (CGC).