Hier, tôt le matin, dans la grande station de bus de l'Ariana, bondée de monde, la grogne des citoyens se faisait entendre de loin. C'est qu'ils étaient nombreux à n'avoir appris que le matin même la grève entamée par les agents de la Société Nationale des Transports (TRANSTU). Initialement prévue pour le 8 octobre dernier mais finalement reportée au 13 novembre, la grève a englobé les gouvernorats de Tunis, Ariana, Ben Arous et la Manouba. Des salariés réclamant leurs droits, une Union Régionale du Travail tentant de jouer les intermédiaires tout en faisant pression, une société en proie à des difficultés financières et incapable de répondre à court terme, favorablement aux demandes, un Ministère qui semble impuissant à raisonner les uns et les autres et une seule vraie victime: le citoyen, encore et toujours. Hinda Soltani, fonctionnaire de l'Etat et habitant à Ben Arous, témoigne: « Avant de partir au travail, je suis restée un moment observer les gens de mon balcon et on peut dire qu'il y avait foule ! En petits groupes, ils se dirigeaient à pied vers la station de métro qui n'est pas toute proche et c'était clair qu'ils étaient en colère. La plupart râlaient, pestaient et insultaient les responsables de cette grève qui les empêchait de se rendre à temps à leur travail. A la station de métro, c'était infernal ! Les gens se bousculaient et étaient entassés dans les wagons. Une fois à la station Barcelone, il y avait des centaines et des centaines de personnes. Les visages étaient fermés et les yeux emplis de colère. » Malek Chaouachi, habitant à Cité EL Ghazala, témoigne à son tour: « Là où j'habite, il n'y a pas de métro, seulement des bus. Le matin, les stations étaient remplies de monde. Parfois des automobilistes s'arrêtaient pour prendre avec eux des personnes qu'ils connaissaient. Les gens étaient à cran. Quant aux taxis, il y en avait quelques uns qui étaient vides mais les chauffeurs refusaient de s'arrêter. Mais ce n'est pas étonnant car, même en temps normal, les chauffeurs de taxi font la loi et font souvent monter les passagers à la tête du client ou encore selon sa destination. » Quant à Jamila, aide ménagère, habitant à El Mhamdia et travaillant à El Ouardia, elle a du rebrousser chemin et ne s'est pas rendue à son travail. Elle explique: « Pour y aller, je dois prendre trois bus. Puisqu'il y a grève, le seul moyen de m'y rendre est de prendre un taxi. Or, ç'aurait été de la folie cela ça m'aurait coûté plus cher que ma paie journalière. Quant à ma soeur, ma belle soeur et une de nos voisines, elles ont de la chance. Elles ont pu cotiser à trois dans un taxi. » Walid, lui, est étudiant à l'Institut Supérieur de Comptabilité et d'Administration d'Entreprise de la Manouba (ISCAE). Il a passé deux nuits blanches à préparer un exposé. Arrivé à la station de bus le matin, il a réalisé qu'il ne pourra jamais arriver à temps à son institut. Hors de lui, il a juré qu'il fera tout pour quitter « ce maudit bled ». Si les bus étaient totalement introuvables hier, les métros étaient néanmoins fonctionnels, mais à une cadence moindre que d'habitude. Sur sa page Facebook, l'UGTT rapporte que la TRANSTU aurait fait appel à des agents d'administration et à des contrôleurs pour conduire les métros et assurer les différents voyages quotidiens, afin de court-circuiter la grève. Transtu : «Les revendications coûteraient 50 millions de dinars au secteur du transport» A l'origine de ce mouvement de protestation, la volonté ferme des agents de la TRANSTU de voir le montant des heures supplémentaires révisé et entrer immédiatement en application. Pour sa part, la TRANSTU affirme être actuellement sujette à d'importantes difficultés financières. Mohamed Chamli, responsable de la communication de la TRANSTU déclare « qu'une telle mesure coûterait 50 millions de dinars au secteur du transport. Une réunion de réconciliation avait eu lieu mercredi 12 novembre entre des représentants du syndicat, du Ministère du Transport et de l'administration de la TRANSTU et avait duré jusque tard dans la nuit sans toutefois aboutir à un accord entre les parties concernées. Le Ministère des Affaires Sociales, Ahmed Ammar Youmbaï a, pour sa part, déclaré que la grève aurait pu être évitée si les parties avaient accepté de faire des concessions, chacune de son côté. Il a expliqué qu'un accord avait été conclu en 2006 à ce sujet et qu'il a été décidé de l'appliquer progressivement sur dix ans. Les négociations portent donc principalement sur la date d'entrée en application de cet accord et le syndicat des agents de la TRANSTU campent sur leurs positions, à savoir l'application immédiate de la comptabilisation des heures supplémentaires. Le citoyen, éternel dindon de la farce Bien que légitimes, les revendications des travailleurs de la TRANSTU tombent à un moment délicat pour leur ensuite, qui semble bien décidée à ne pas céder aux pressions. Quelle que soit l'issue de ce mouvement de protestation sociale, les seuls perdants restent, comme toujours, les citoyens lambdas qui n'ont pas hésité à faire part de leur colère sur les réseau sociaux, dénonçant l'attitude égoïste des responsables qui eux, ne sont en aucun cas concernés par la grève des moyens de transport puisqu'ils ont des voitures. C'est à se demander jusqu'à quand le Tunisien restera le dindon de la farce ? Des agents responsables ont été empêchés de travailler Actes de vandalisme contre de nombreux bus Le ministre du Transport, Chiheb Ben Ahmed, a affirmé hier, lors d'une conférence de presse, en marge de la grève des agents de la TRANSTU, que le problème concerne 14 sociétés de transport et qu'il a fait l'objet d'une concertation le 7 octobre dernier. Cela, a abouti a un accord co-signé par la Fédération générale du transport englobant toutes les entreprises du secteur. Or, dit-il, « nous avons été surpris de ce que le problème ait ressurgi au niveau de la Fédération régionale de Tunis alors que l'accord portait sur toutes les sociétés ». Un accord avait été signé en 2006, précisera-t-il entre l'UGTT et le gouvernement concernant les revendications du paiement des heures supplémentaires. Cet accord s'étalait sur 10 ans, pour aboutir au final à l'application du code du travail. Le gouvernement, précisera-t-il, ne déroge pas à ses engagements, sauf qu'il faut tenir compte de la conjoncture et des difficultés que vivent les entreprises de transport lesquelles ont enregistré un déficit de 1400 millions de dinars en 2013. Il a aussi fait observer que cette position ne vise pas à compromettre le prochain gouvernement sauf que les incidences des revendications des heures supplémentaires se seraient chiffrées à 50 millions de dinars par an pour 14 sociétés de transport. Le ministre a fait aussi remarquer que la grève a concerné les bus tandis que les trains du TGM et le métro fonctionnaient normalement. Par ailleurs, il y a eu des actes de vandalisme contre un certain nombre de bus. Pourtant un certain nombre d'agents, responsables et compréhensifs ont rejoint leurs lieux de travail mais qu'ils en ont été empêchés. Pour éviter les affrontements ils ont reconduits les bus à leurs dépôts. Il y aura, à cet effet, des poursuites administratives et judiciaires. Le ministre a surtout insisté sur la nécessité de poursuivre le dialogue affirmant qu'il n'y a pas eu de déviation du ministère par rapport aux accords signés avec le syndicat. Sauf, qu'il s'agit de sauver ces entreprises qui sont au bord de la faillite.