Aujourd'hui, depuis minuit, a commencé la période de silence électoral. Les candidats qui ont occupé la scène durant trois semaines, avec des interventions dans les différentes chaînes de télévision, parfois répétitives, lisses sans attrait, parfois épicées , des meetings plus ou moins réussis, des tracts et fleyers distribués à tout bout de champ, des affiches de différentes tailles, des discours où les propos violents n'ont pas été absents. Enfin, l'électeur va prendre le temps de respirer, méditer et fixer son choix pour le prochain locataire de Carthage. C'est la première fois dans l'histoire de la Tunisie, trois fois millénaire, que les Tunisiens décident de qui les représentera à l'échelle internationale, veillera à leur sécurité et à l'invulnérabilité de leurs frontières, dans une compétition réellement plurielle. Une floraison de compétiteurs, au nombre de 27 au départ et 23 aux derniers mètres, a montré un appétit excessif au siège et à la fonction de président. Dynamique sur le terrain, organisation de meetings, déplacements, affichage publicitaire, tout y est. Demain, les Tunisiens en garderont deux finalistes ou un seul, selon leur souveraine autorité. Qu'est-ce qui est resté dans la mémoire des Tunisiens ? La campagne est-elle clean ? Du moins, en comparaison avec celle des législatives, a-telle été au niveau des attentes ? Les Tunisiens ont-ils eu une véritable opportunité de bien comparer les qualités et les défauts des différents candidats ? Violence verbale et niveaux trop bas Ons Ben Abdelkrim, secrétaire générale de l'association Bawsala dont le travail d'observation de l'assiduité des membres de la défunte Assemblée Nationale Constituante (ANC) avait énervé plusieurs absentéistes parmi nos ex-constituants, n'y va pas du dos de la cuillère. Droit au but, elle déplore les nombreux propos violents dans les discours des uns et des autres. Elle déclare au Temps : « Nous avons l'impression que c'est une campagne basée sur l'anti, la peur de l'Autre ou de quelque chose. Au vu des prérogatives du président de la République, celui-ci est censé avoir des propos rassembleurs et rassurants quant au respect de la Constitution. Ses prérogatives sont bien claires dans la Constitution. Cela n'a pas empêché les discours populistes. Les candidats promettent de réduire le chômage et de trouver des solutions à toutes les problématiques socio-économiques. Or, selon la Constitution, le président n'aura pas les moyens d'exécuter ses promesses. Nombreux désistements, à quelques jours du scrutin, sont inquiétants quant au sérieux de ces candidatures. Il faut absolument veiller à ce que l'argent public donné aux candidats soit remboursé au cas où le candidat n'obtient pas le seuil requis, à savoir 3%. Espérons que les comptes des candidats sont transparents ». Les reproches faits par les différents observateurs nombreux. Ainsi Mohamed Kamal Gharbi, porte-parole de Aïn sur les élections estime qu'au cours de la dernière semaine, l'affichage sauvage a persisté, malgré les efforts de l'ISIE et ses rappels à l'ordre. Il dit : « cela dénote d'un manque de respect de la loi électorale. Certains meetings organisés par les candidats n'ont pas été avalisés à l'avance par les IRIE. Sur le plan du contenu, les propos des candidats ont porté sur des sujets en dehors des attributions d'un président de la République et donnent de faux messages aux électeurs. Malheureusement le discours politique s'est dégradé, ces derniers jours et s'est transformé, en insultes à la limite de la diffamation, surtout, après le désistement de certains candidats. Espérons que le jour du vote, cette tension ne se transformera pas en violence politique et n'entraînera pas pas les candidats à recourir à l'argent sale. Ces craintes sont réelles et sérieuses ». L'ISIE s'est contentée d'un rôle minimaliste Ces défaillances ne sont pas à analyser en dehors du cadre global qui est le processus électoral. Là, Kamel Jendoubi, ex-président de la première ISIE qui avait piloté les élections de la défunte Assemblée Nationale Constituante (ANC), va jusqu'à la genèse des textes. Il déclare au Temps : « C'est le processus qui compte depuis son déclenchement avec l'adoption de la loi électorale et l'instauration de la nouvelle ISIE. Le jour du vote, ou la campagne elle-même, ne sont que des éléments dans toute l'étape qui sera suivie par la proclamation des résultats. Il faut voir le processus dans son ensemble ». En attendant la fin du processus électoral, pour faire un bilan complet, il pense que le processus électoral n'est pas adapté à la situation et aux normes internationales. Il précise sa pensée en affirmant : « Organiser deux élections majeures en un laps de temps réduit a des effets néfastes. Une confusion dans la compréhension des élections s'instaure dans les esprits. D'autres ressorts entrent en ligne de compte. La concomitance ne fait qu'aggraver la confusion alors qu'il fallait faire en sorte que l'électeur choisisse de façon claire, en sachant que les législatives se tiennent pour avoir un Gouvernement qui réponde aux attentes des citoyens, alors que l'enjeu de la présidentielle est d'élire un garant de l'application de la Constitution et un représentant des Tunisiens. Quelle vision de la Tunisie, c'est l'objet de la présidentielle, ce n'est ni le Gouvernement, ni les politiques fondamentales du pays. Maintenant, les candidats à la présidentielle font des législatives, alors que durant les législatives planaient la présidentielle. Plusieurs autres malentendus suivront ». Pour l'évaluation du processus électoral, Kamel Jendoubi, commence par les textes parlant de scrutin libre, direct, transparent et honnête. Pour le caractère libre du scrutin législatif il n'y trouve aucun grief. Pour le caractère direct, non plus, même si le caractère secret a connu des failles. Il affirme : « Il est difficile de dire que le scrutin a été honnête et transparent. L'intrusion de l'argent a corrompu et influé de manière importante le sens du scrutin. Avec la campagne présidentielle, l'argent politique et aussi suspect a continué à jouer son rôle et instaure, ainsi le doute. Pour la transparence, là un vrai doute s'installe. La transparence suppose que toutes les données soient mises à la disposition de tous. Il en est de même pour l'accessibilité des candidats. Nous sommes dans un autre ordre, bien loin de la transparence. En 2011, le qualificatif équité était présent. En 2014, il ne l'est plus. En plus les failles de 2011, expliquées par le manque d'expérience, n'ont pas été corrigées. Si en 2011, l'ISIE était impuissante devant l'argent politique pour absence de pouvoir règlementaire, l'ISIE actuelle dispose de ce pouvoir qu'elle n'utilise pas. Pour les médias les choses ont évolué, même si les sanctions sont sans effet. Des télévisions et des radios font des campagnes pour tel ou tel candidat. Lors des élections de 2011 l'ISIE avait un message. Elle était en symbiose avec les attentes des Tunisiens. En 2014, elle s'est contentée d'être présente sur le plan technique, comme si elle n'avait pas de messages à dire, comme la différence entre les deux rendez-vous électoraux. Elle s'est donné un rôle minimaliste. On dirait qu'il n' y a pas de pilote dans le processus électoral. Avec les acteurs , le dialogue a manqué. Ceux –ci agissent comme s'il n'y avait pas d'arbitre dont le pouvoir règlementaire lui permet de tirer la sonnette d'alarme ».