Dimanche prochain, plus de trois millions d'électeurs tunisiens tremperont leur index pour la troisième fois dans la petite bouteille d'encre indélébile mise à leur disposition par l'ISIE. C'est du jamais vu dans l'histoire du pays. Les doigts de nombreux concitoyens portent encore la trace violette des deux premiers scrutins du 26 Octobre et du 23 novembre derniers. L'empreinte ne semble déranger personne ; au contraire certains Tunisiens sont fiers de montrer leur index maculé, considérant que c'est là un témoignage de sens et de responsabilité citoyens. Cette histoire de doigts et d'encre ‘'électorale'' illustre d'une certaine manière l'étrange rapport étroit entre la main et la vie politique. «Place aux mains» Les hommes politiques ne se contentent pas de discourir pour convaincre leur auditoire. Ils se servent, en toute occasion ou presque, de leurs doigts et de leurs poings pour accompagner leurs propos. Après la parole, place aux mains et aux doigts. Comme si l'éloquence verbale, les subterfuges langagiers, les cris ou les larmes, le pathos, ne suffisaient pas pour s'assurer l'appui des foules. Le jeu des mains, la gestuelle manuelle, l'usage théâtral des doigts, tout cela fait partie des ‘'arguments-force'' en politique. Un dirigeant qui ne fait pas usage de ses mains en s'adressant à son public a, paraît-il, moins de chances de convaincre que celui qui les utilise. Pauvres sont les manchots ! Les spécialistes de la gestuelle Dans l'histoire contemporaine, nous avons de nombreux exemples d'hommes politiques réputés pour leur usage excessif des mains face à leurs partisans. Hitler a toujours gesticulé et brandi les poings et les bras. On connaît aussi le salut hitlérien. Mussolini jouait lui aussi outrancièrement de ses mains pour impressionner son public. En Tunisie Bourguiba est un exemple édifiant de l'acteur politique manuel. Aucune de ses phrases n'est énoncée sans l'accompagnement d'un geste de la main ou des deux mains. Ben Ali joignait souvent les deux mains pour saluer les foules ou posait la main droite sur le cœur comme quoi le peuple lui est cher. Des doigts et des emblèmes A propos des doigts, on les utilise souvent pour signifier la victoire : le ‘'V'' obtenu avec l'index et le majeur. Aux élections d'octobre 2011 l'Union Patriotique Libre(UPL) de Slim Riahi avait choisi pour slogan de campagne électorale l'expression ‘'Tawwa''(Tout de suite) accompagnée d'un geste de l'index droit synonyme d'immédiateté. D'autres partis politiques, choisissent comme emblème le poing fermé comme le ‘'Watad''. On ne peut oublier par ailleurs l'organisation terroriste française appelée : La Main Rouge. Déchiffrage sémiologique La gestuelle de l'homme politique est un réseau de signes à déchiffrer : parfois la lecture est aisée comme lorsque le dirigeant tremble des mains. Il s'agit d'une marque de vieillesse, de sénilité. Quelquefois, la personnalité du politicien se devine à travers les gestes de sa main. On peut même connaître la nature du régime en scrutant le mouvement des mains et des doigts qui accompagne le discours politique : Hitler par exemple est toujours menaçant, Mussolini l'est aussi ou même plus agressif que le Führer. Ce n'est pas par hasard donc qu'il s'agit là de deux despotismes. Aujourd'hui même les femmes dirigeantes imitent la gestuelle masculine en discourant et dans tout contact direct avec les masses. Angela Merkel, Margaret Tatcher, Marine Le Pen et tant d'autres ont appris à se servir de l'argument manuel. Une scène et des acteurs C'est qu'en politique, il est question de jeu théâtral, de jeu d'acteur, de scène de champ scénique, bref de théâtralité, de dramatisation. Dans ce cadre les mains comme toutes les parties du corps tiennent lieu de discours à significations multiples. Les hommes politiques suivent parfois une vraie formation d'acteur. On les initie à camper des rôles : le tendre, le doux, le dur, le clément, le croyant, l'amoureux du peuple, le démocrate etc. Tout cela se traduit au niveau des mouvements du corps, des postures et bien sûr de la gestuelle manuelle. La main à la pâte ! Sur un autre plan, les peuples méditerranéens sont réputés pour leur usage permanent de la main et des doigts. Chez nous, dans les conversations ordinaires, ce genre de réflexe est systématique ou presque. Que dire lorsqu'il s'agit d'hommes politiques soucieux d'en imposer à leurs électeurs ou à leurs adversaires. La politique est en définitive une ‘'affaire de mains'' ou une'' affaire de doigts''. Et il faut savoir quels gestes effectuer de la main ou du doigt ou encore du bras : car parfois l'usage de ces membres du corps vaut une grossièreté, une vulgarité. Lotfi Abdelli a failli payer très cher une plaisanterie à la télévision à propos du doigt « majeur ». Cela a offusqué Samir Dilou qui a quitté prestemment le plateau, et l'affaire a pris une mauvaise tournure pour la chaîne et pour son plaisantin d'invité. Ce dimanche, les doigts des Tunisiens et leurs mains décideront de l'avenir de leur pays. Ce qui prouve encore une fois combien ces petits membres de notre corps sont déterminants dans plusieurs aspects cruciaux de notre quotidien et de notre destin.