Les établissements d'enseignement privé prolifèrent d'un jour à l'autre ; surtout au niveau de l'enseignement de base. Le phénomène est en train de s'étendre aussi bien dans les grandes villes comme dans les petites localités, sur la côte ou à l'intérieur du pays. Il devient donc rare de ne pas trouver deux, voire trois écoles privées ou plus dans une même cité. Cette prolifération est une réponse à un intérêt spécifique de la part des parents. Elle indique, aussi, que la formation offerte intéresse beaucoup plus que l'enseignement public gratuit. Autrement, les citoyens ne jettent pas leurs sous par-dessus bord. Mais, une telle tendance risque de créer un enseignement de base à deux vitesses et une bonne scolarisation de nos enfants serait-elle en voie de devenir inévitablement payante ? L'enseignement scolaire public gratuit et de qualité a-t-il encore les moyens pour s'imposer, ou même se défendre ? A première vue, et si on se réfère aux résultats, les écoles privées occupent le devant de la scène et donnent pleine satisfaction. Pourtant, tout le monde sait que les enseignants dans ces écoles privées n'ont pas de CAPES et, malgré ça, ils acquièrent l'aval des parents qui ne cherchent que les bons résultats.. Et ces résultats, qui sont là, ne font que confirmer l'attrait de ces écoles. Ceci du côté de l'enseignement de base, pour ce qui est de l'enseignement secondaire, ces écoles privées constituent des issues de secours vers le bac pour les élèves redoublants en troisième année, soit en pré-bac. Ces élèves bénéficient, semble-t-il, de la largesse de leurs enseignants en cours d'année et de la bonification des 25 % pour le décompte de la moyenne finale du bac. Ainsi, ils obtiennent plus de 14 en cours d'année et 8/20 à l'examen final et ils réussissent au bac par les jeux du rachat et des sup. Quant à l'enseignement supérieur privé, son évaluation est différente. En effet, ses perspectives diffèrent d'une institution à une autre. Autant il y a ceux qui veillent à la qualité de l'enseignement prodigué à leurs étudiants, d'autres se limitent uniquement à un rôle de pourvoyeurs de diplômes. D'ailleurs, la décision de fermer une institution, prise - il n'y a pas longtemps par les autorités compétentes- dénote qu'il y a des dépassements. Mais, le fait qu'une autre institution vient de se faire récompenser par des industriels étrangers pour ses prestations de qualité, montre que l'évaluation est variable. En effet, l'établissement universitaire « ESPRIT » pour la formation des ingénieurs a été considéré comme une référence en TIC par des industriels coréens dans le domaine de l'informatique. Donc, l'évaluation du secteur de l'enseignement privé n'est pas uniforme ; elle est variable. Il n'empêche que sur le plan commercial, ce sont des affaires très lucratives. C'est ce qui explique la multiplication des investisseurs. Rien que pour cette année, 25 nouvelles institutions d'enseignement scolaire privé ont été créées. La majorité est formée par des écoles primaires. On prévoit l'inscription de 78 mille élèves dans l'ensemble de ces institutions. Soit une augmentation de plus de 4 mille élèves par rapport à l'année dernière. Ce nombre qui ne cesse de s'accroître, ainsi que l'importance du domaine d'activité qui est l'enseignement, imposent de veiller à la qualité des prestations fournies. D'ailleurs, c'est pour cerner les différentes problématiques du secteur que le Temps a pris l'attache de l'administration et de quelques gérants d'établissements.
Interviews :
Mohamed Zoghlami, directeur général de l'Enseignement privé au ministère de l'Education et de la Formation « Nous encourageons les institutions d'excellence »
Le Temps : Combien d'institutions privées comptons-nous aujourd'hui ?
Mohamed Zoghlami : On compte aujourd'hui un total de 371 institutions. Elles se répartissent en deux catégories. Les institutions de 1ère chance, dans lesquelles les élèves s'y inscrivent librement et les préfèrent au détriment des établissements publics et les institutions de 2ème chance ou de repêchage qui comptent des élèves qui ont échoué aux établissements publics et en ont eu recours seulement pour avoir une seconde chance de réussite. Dans la première catégorie, nous avons 66 écoles primaires, 8 institutions d'enseignement de base avec ses deux cycles et 7 collèges. Par ailleurs, la deuxième catégorie compte 291 institutions (collèges et lycées secondaires). Toutefois, bon nombre des établissements scolaires de repêchage sont considérés respectables puisqu'ils ont obtenu des résultats satisfaisants notamment au niveau du baccalauréat.
. Combien d'élèves sont inscrits dans les établissements d'enseignement privé ?
- Vu que nous sommes encore au début de l'année, les chiffres pourraient évoluer d'ici quelques semaines. Nous envisageons, tout de même, l'inscription de plus de 77 mille élèves. Ils seront répartis comme suit : 16.500 élèves pour le cycle primaire et 1800 élèves pour les collèges et ce dans la catégorie de 1ère chance. Pour les institutions de repêchage, nous prévoyons l'inscription d'environ 59.500 élèves.
. Est-ce que le contrôle de ces institutions privées de l'enseignement se fait d'une manière régulière et quels sont les types d'infractions relevées ?
- En effet, le contrôle est régulier et dès que nous constatons un dépassement quelconque nous avertissons l'institution de la nécessité de régulariser sa situation. Nous pouvons même procéder à sa fermeture si le cas le nécessite. Le ministère de l'Education et de la Formation encourage toutes les institutions à aller vers l'excellence. Les infractions et les dépassements sont généralement liés soit au manque de matériel, à la propreté ou aux locaux qui ne sont pas suffisamment aérés. Nous accordons aussi une grande importance au suivi pédagogique. Par exemple, il est inadmissible d'accepter le fait qu'un professeur niveau 1ère année études supérieures puisse enseigner les élèves candidats au bac.
. Certains élèves pour profiter au maximum du bonus des 25% changement de l'établissement public à l'établissement privé. Qu'est- ce que vous en dites ?
- Les 25% sont un droit absolu. Seulement, il faut savoir que nous suivons de prés les candidats au bac dans les établissements privés. Et si jamais ils n'ont pas été assidus, n'ont pas passé leurs examens et n'ont pas terminé leurs programmes, ils ne bénéficient pas de ce droit. Propos recueillis par A.BA
Le Directeur de l'Ecole Supérieure Privée de l'Ingénierie et de Technologie, Tahar Ben Lakhdhar : « La qualité s'obtient par le labeur »
Le Temps : l'enseignement supérieur privé comporte plusieurs lacunes, qu'en pensez-vous ? Tahar Ben Lakhdhar: Monter une institution d'enseignement supérieur exige une infrastructure adéquate et des ressources humaines compétentes. En l'absence de ces deux conditions, l'œuvre ne peut réussir. Donc, il n'est pas étonnant que certaines structures ne connaissent pas la réussite escomptée.
. Votre approche semble évasive ? - Loin de là. Si je fais l'évaluation de l'expérience de notre école, il ressort que le public est là et il est intéressé. Nous disposons de plus de six cents étudiants. En plus, des établissements relevant de l'administration publique recourent à nos services pour la formation de leur personnel. Donc, ce public est satisfait du service rendu.
. Et comment vous expliquez votre réussite ? - Il n'y a point de secret. Seul, le labeur paie. Notre institution dispose d'une vingtaine de personnel enseignant permanent. Nous avons des exigences quant à la nature du programme d'enseignement et au mode d'évaluation des étudiants. Cette approche nous a valu une synergie effective avec le marché de l'emploi et les universités étrangères pour une éventuelle poursuite des études. M.S.
Aïda, mère d'une fille de 7 ans «Dans l'enseignement public on paie les cours particuliers » « A voir le niveau d'enseignement scolaire dans les écoles publiques, je suis prête à investir dans l'enseignement de mes enfants. Vaut mieux payer des centaines de dinars et avoir en contre partie de bons résultats à la fin de l'année que de ne rien payer à l'école et avoir à la fin de très mauvais résultats que ce soit côté apprentissage intellectuel ou éducation. De toutes les façons, même dans l'enseignement public, aujourd'hui, si je veux que mon enfant obtienne de bons résultats il faut que je l'inscrive dans les cours particuliers. Dans une école privée, il est très bien encadré. Il y passe toute la journée mais profite bien de son temps libre. »
Houssem, parent « Pourquoi ne pas améliorer dès maintenant l'enseignement public » « Je suis tout à fait contre l'enseignement privé. Sa prolifération éliminera à long terme la gratuité de l'enseignement. Et comme nous le savons tous, il y aura toujours des pauvres et des citoyens moyens alors pourquoi les obliger à payer des centaines de dinars dès les premières années de scolarisation. Et s'ils ne sont pas obligés d'y être inscrits, quelle qualité et quel niveau auront-ils dans l'enseignement public ? Ceci favorisera l'ancrage des fossés entre les classes sociales et va nous mettre face à des problèmes plus épineux. Alors pourquoi ne pas améliorer dés maintenant les structures de l'enseignement public ?
Leila, directrice d'une école privée : « L'enseignement privé participe à l'emploi des cadres » « L'école privée est une chance aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Pour les élèves, ils sont reçus dans un cadre convivial. Ils sont entourés par leurs enseignants et tout le personnel éducatif. On leur apprend à lire et à écrire mais surtout on les éduque. Pour les enseignants, nous avons aujourd'hui quelques uns qui ont même un doctorat. Ils n'ont pas trouvé un poste d'emploi. L'école les recrute et profite de leurs connaissances. »