De passage devant la devanture d'un magasin de jouets et de gadgets personnalisés situé au centre-ville, S.M a eu le choc de sa vie. Une des nombreuses photos de sa petite famille qu'elle diffuse régulièrement sur les réseaux sociaux illustre une tasse à lait et un calendrier de bureau. Entrant dans le magasin, deuxième mauvaise surprise ! Une photo de sa fillette de 4 ans, mise dans un grand cadre vintage, était accrochée au mur. Les premiers instants de surprise passés, S.M a interpellé la gérante du magasin sur l'utilisation illégale de ses photos privées, ce à quoi la dame, impassible, a répondu qu'elle les avait trouvées sur internet et qu'elles étaient en libre accès. Continuant sur sa lancée, elle s'est même étonnée de la colère de S.M qui devrait, selon elle, se sentir heureuse et fière parce que ses photos étaient belles et ont été choisies pour illustrer un produit publicitaire. Souriez, vous êtes filmés ! Inutile d'essayer de les compter, les réseaux sociaux pullulent de photos privées, à tel point que publier une photo de soi, de sa famille, de ses enfants ou de ses amis sur internet est devenu un acte extrêmement banal. Là où ils passent, les internautes n'hésitent pas à immortaliser l'instant présent, les Tunisiens ne sont pas en reste ! A la maison comme au travail sans oublier quand ils sont au restaurant ou en voyage ou encore quand ils font du sport ou pratiquent toute autre activité qui leur semble originale, tout est prétexte pour une photo souvenir. Et que dire de ceux qui ont instauré un rituel quotidien et se prennent ou prennent leurs compagnons ou enfants chaque jour en photo et en font au bout de quelques années un montage vidéo. La photo mania est un phénomène mondial qui touche plus spécialement les jeunes mais qui concerne au final un peu tout le monde grâce à la généralisation des smartphones qui proposent, en plus de l'appareil photo classique, de nombreuses applications de retouche d'image et d'effets spéciaux. De quoi convaincre les plus réticents ! Ainsi, le moteur de recherche Google estime à plus de 1 000 milliards le nombre d'images sur internet. Selon des données récentes, plus de 2 263 photos sont mises en ligne sur Facebook toutes les secondes, soit 2 716 000 photos toutes les 20 minutes et plus de 71.425 milliards photos par an. Des chiffres impressionnants mais qui ne sont pas sans conséquences. Attention danger ! En effet, avec une telle abondance de photos sur internet, le risque de dérive n'est jamais loin, vu la vitesse de l'éclair à laquelle elles peuvent être partagées et le nombre de personnes dans le monde y ayant accès. Il suffit parfois d'un cliché pris au dépourvu pour que le buzz soit créé et que l'effet boule de neige suive. Mais si nombreux sont ceux qui choisissent volontairement de publier leurs photos sur internet, d'autres voient leur vie privée étalée, bien malgré eux, sur les réseaux sociaux. Les exemples sont nombreux ! Après une soirée à laquelle elle a assisté sans en avertir ses parents, Sayma a fait les frais de cette photomania. Elle témoigne: « Mes parents pensaient que je révisais chez ma copine. Une excuse classique qui me permettait en réalité d'assister à une soirée avec mes amis. J'avais bien joué le jeu et convaincu mes parents mais c'était sans compter sur Facebook ! Ma mère qui s'y est inscrite depuis quelques temps est tombée dès le lendemain sur des photos qu'une de mes amies avait publiées et sur lesquelles elle m'avait taguée. Elle m'a fait un scandale ! Depuis, elle ne me fait plus confiance et nous nous disputons sans arrêt. C'est dur à gérer au quotidien! » Autre exemple, l'utilisation par des agences de communication peu professionnelles de photos privées pour des supports qu'ils créent et diffusent en milieu professionnel, publicitaire ou même politique et là aussi, les exemples sont nombreux. Christian Morin, l'ancien animateur français de « La roue de la fortune » en sait quelques chose puisqu'il a figuré ainsi que d'autres personnes sur le patchwork de la couverture du programme électoral du parti Ennahdha. Son image a été utilisée à son insu, sans son autorisation. Pourtant l'agence qui a commis cette bourde de débutants est une ponte dans le domaine. C'est dire que, dans cette toile d'araignée qu'est internet, nul n'est à l'abri. Un droit constitutionnel bafoué Pourtant, le droit à l'image est un droit fondamental qui permet à chaque personne physique de disposer de son image et garantit la protection de la vie privée de chacun, quels que soient son métier, sa naissance, sa fortune et son âge. Un droit pourtant chamboulé par l'émergence de l'usage, échappant parfois à tout contrôle, des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les atteintes à la vie privée dans le cyber espace sont devenues depuis quelques temps monnaie courante, presque banales. Pourtant, en Tunisie, l'article 24 de la Constitution de 2014, l'un des vingt-huit articles du chapitre portant sur les droits et les libertés, protège , entre autres, le droit à la vie privée et la confidentialité des individus. Il y est stipulé: « L'Etat protège la vie privée et l'inviolabilité du domicile et la confidentialité des correspondances, des communications et des données personnelles. » Que faire donc en cas de violation de ce droit constitutionnel ? D'abord essayer de régler le litige à l'amiable en demandant à la personne de retirer les photos utilisées sans permission. En cas de refus, porter plainte pour violation de la vie privée et préjudice moral.