Avec l'avènement de la deuxième République, la Tunisie est dotée des meilleures institutions de l'Etat de droit sensées protéger les libertés individuelles et notamment la liberté d'expression. Hélas, les mauvaises pratiques ont la peau dure et les artistes et les journalistes en sont les premières victimes. Les deux derniers cas ceux du jeune et célèbre humoriste Migalo, de son vrai nom Wassim Herissi et celui de la jeune journaliste Hana Medfai (Radio régionale du Kef) sont assez révélateurs. Le jeune humoriste Migalo est connu pour ses sketchs légers dans lesquels ils critique la classe politique. Ces sketchs ont allégé durant ces 4 dernières années la pression politique. Tout le monde attendait impatiemment son rendez-vous quotidien à la radio et ses quelques apparitions à la télé. Cette liberté d'expression lourdement et fraîchement acquise depuis janvier 2011, dérange et n'est pas du goût de tout le monde. Quand un policier, en civil de surcroît, arrête sans raison valable un citoyen, le traîne au poste de police et le traite de tous les noms gratuitement, on se dit qu'au fond, rien n'a peut-être pas changé ! Wassim Herissi, vient de vivre cela avant-hier. Il a été retenu au poste de police sans raison valable, juste parce que le policier en question en a décidé ainsi. Wassim, parce qu'il est célèbre et connu, a été libéré. C'est en tout cas ce que lui avait dit le policier en question : « Tu as de la chance, des personnes m'ont appelé pour te lâcher. Sinon, tu passeras la nuit ici.» Une double inquiétude saisit l'opinion publique et les activistes : Wassim a-t-il été arrêté pour sa critique et pour ses sketchs virulents ? il l'a déjà annoncé il y a deux semaines à peine : certains hauts responsables du parti majoritaire n'apprécient plus le contenu. Par ailleurs, l'arrestation de Wassim soulève le voile sur une réalité très alarmante. Ce genre d'arrestation est quotidien. Les citoyens en sont victimes tous les jours. Une très grande partie des personnes arrêtées et de détenus ont connu le même sort que Wassim. Si Wassim a eu plus de chance, d'autres, non. Hana Madfai est une jeune journaliste radio assez audacieuse. Son émission «Miroir de la société» diffusée à la radio régionale du Kef tous les samedis, dérange et défraie la chronique. Très suivie par les auditeurs du Nord-Ouest, elle est connue pour ses thèmes peu évoqués par ses confrères de la région. Loin des sentiers battus Hana a choisi de s'aventurer dans le tabou afin de lever le voile sur des humiliations que subissent, depuis des lustres, les habitants de la région en silence sans oser en parler. Son choix a porté une fois sur le harcèlement sexuel au sein des établissements scolaires. Depuis, elle est entrée dans la spirale des procès et des interrogatoires de toutes parts. Hier, devant le juge du tribunal de Première Instance du Kef, Hana a répété publiquement et pour la énième fois sa version des faits. Retour sur un procès. L'affaire remonte au 29 mars 2014. Ce jour-là, Hana Madfai évoquait le thème du harcèlement sexuel dans les écoles. Un des auditeurs a intervenu énonçant publiquement le prénom d'un jeune présumé fauteur qu'il aurait accusé de harceler sexuellement les enfants à l'école. Depuis cette intervention du citoyen, l'affaire a pris un nouveau tournant. Le Temps a appelé la journaliste pour qu'elle s'explique une fois de plus «Je l'ai dit et redit et, fort heureusement, j'ai la preuve concrète : ni l'auditeur qui a appelé ni moi avons énoncé le nom de famille dudit garçon. L'auditeur a juste annoncé le prénom. J'ai été appelé à deux reprises par la police en tant que témoin. Quelques temps plus tard, je suis accusée ! La délégation de la protection de l'enfance au Kef m'accuse d'avoir énoncé sur antenne l'identité d'un jeune garçon. Pourtant ce n'est pas le cas. La police et le tribunal possèdent l'enregistrement de ladite émission. J'ai beau avoir donné à la famille, aux syndicats et à la représentante de la délégation de la protection de l'enfance le droit de réponse, rien n'y fait. La représentante de la délégation m'a même insultée et agressée sur antenne. Aujourd'hui, le procès a été reporté à la demande d'un collectif d'avocats qui s'est proposé de me défendre volontairement. Ce qui m'a encore plus choqué c'est que j'ai reçu la convocation du tribunal de manière illégale. Elle ne m'a pas été envoyée par voie postale mais remise en main propre par un des habitants de la ville. Je suis accusée de diffamation alors que l'enregistrement prouve parfaitement mon innocence. Heureusement que la direction générale de la radio, la société civile kéfoise, mes confrères et plusieurs avocats me soutiennent. Mon but est de lever le voile sur les humiliations que subissent les gens les plus faibles dans ces régions et qui se taisent parce qu'ils ont peur. Cette pression de la part des institutions publiques sur les médias persiste. Mais je continuerai la route que j'ai choisie pour illuminer les zones sombres et aider mon prochain que cela plaise ou pas. Les menaces que je reçois de toutes parts n'y feront rien.» Hana Medfai nous déclare que son procès est reporté pour le 25 février à la demande du collectif d'avocats de défense.