L'impact de la crise aiguë de Nida Tounès est encore loin d'être évalué ! Les dégâts collatéraux risquent d'être plus ravageurs que prévu auprès de nombreux fans, électeurs et sympathisants douchés glacialement par le comportement irresponsable d'une partie des aspirants au leadership de ce parti qui ont montré le visage peu rassurant d'un « opportunisme » déplacé et arrogant. A qui profitera le flop nidaïste, difficile de répondre, à moins que les concurrents classiques fassent eux aussi le recentrage nécessaire au niveau idéologique et organisationnel. Je commencerai par la « Nahdha » qui peut tirer le plus profit des dérapages de Nida Tounès. Cette formation qui a été portée au pouvoir après les premières élections post-révolutionnaires, a commis de graves erreurs d'orientation idéologique en affichant un Islam politique inspiré par la tradition « Frères musulmans » d'Egypte, ce que les Tunisiennes et les Tunisiens très fiers de leur identité arabo-musulmane spécifique et toujours à l'avant-garde du réformisme depuis le 19ème siècle, ont rejeté et sanctionné relativement en octobre-novembre 2014. D'ailleurs, Rached Ghannouchi très lucide et super intelligent et grand manœuvrier, en a tiré les leçons en jouant profil bas et en faisant un virage très apprécié du côté occidental, surtout américain, vers la modernité et l'islamisme libéral et pacifique. Il suffirait d'un peu plus d'adhésion à ce qu'on pourrait appeler le modèle de la « démocratie chrétienne » occidentale qui est la synthèse du réformisme protestant et de la séparation de l'église et de l'Etat en Europe, pour que la Nahdha devienne leader incontesté du libéralisme politique et économique « conservateur » en Tunisie et dans le monde arabe. La Nahdha, à mon sens, a une marge de progression immense, si elle arrive à se débarrasser de l'héritage structurel décadent et lourd des frères musulmans et à se libérer des carcans structurels de cette organisation et de la peur qu'elle engendre de par le monde. « Ennahdha » ne doit plus avoir peur ni honte de déclarer son attachement sincère au libéralisme doctrinal et au socle réformiste du 19ème – 20ème siècles, et ses conséquences sur la nouvelle organisation de l'Etat et des mécanismes politiques « laïcisés », ce qui ne veut nullement dire « athéïsés ». La religion doit demeurer un facteur de solidarité et d'intégration culturelle et sociale mais débarrassée de la contrainte et de la rigueur d'un certain culte mal interprété à des desseins politiques évidents. La Nahdha pourrait évoluer à l'image de la « CDU » en Allemagne ou des partis conservateurs anglais et italiens ou espagnols, et là, elle peut se redéployer plus populairement dans l'électorat déçu et déprimé des nidaïstes. La Nahdha mieux structurée et plus ouverte aux idées de progrès, pourrait redevenir le premier parti « libéral conservateur » du pays et refaire son retard d'ici 2020. Quant au Front populaire qui pourrait aussi récupérer une partie de la base de gauche et les déçus de Nida Tounès, il doit aussi évoluer plus au centre en s'affichant plus « social-démocrate » que communiste classique. El Jabha, à notre humble avis, doit refaire le chemin de « Mitterrand » qui a fédéré les partis de la gauche extrême avec les socialo-centristes de la SFIO et des partis radicaux dans les années 60 en France. Il a fallu 20 ans à Mitterrand, pour faire du Parti socialiste rénové, un parti de gouvernement fort puissant et populaire. Mais tout cela a un prix, notamment s'éloigner du dirigisme étatique, accepter les lois du marché et de la concurrence et libéraliser l'économie. M. Hamma Hammami et ses pairs peuvent-ils le faire et le dire clairement ?... that is the question ! En conclusion, pour le moment, seule la Nahdha est en pôle position pour avancer dans ce processus évolutif, car ses hauts décideurs ont les qualités du pragmatisme et de la célérité d'opérer les revirements nécessaires même dans la douleur. Rached Ghannouchi ne cesse de nous étonner par sa grande lucidité et son savoir-faire... il peut encore aller plus loin et la Nahdha rénovée aussi ! Soyez attentifs... 2020, c'est demain !