Les politistes et autres chercheurs sur l'évolution des systèmes et des sociétés politiques ne doivent pas se plaindre. Le « laboratoire » Tunisie est très prometteur pour accoucher un de ces quatre matins, d'une nouvelle théorie, universelle, pourquoi pas, mais surtout en terre arabe et musulmane, sur les partis politiques et la mobilisation populaire. Du temps de notre éminent professeur français, le très brillant, Maurice Duverger, nous avions coutume de distinguer les partis de masses des partis d'élites, les partis dominants des partis satellitaires ou de pression, puis avec l'américain Wright Mills, nous sommes passés aux partis qui aspirent au commandement politique et donc « ascendants » et aux partis insignifiants et dépendants des grosses cylindrées et donc « déclassés », parce qu'ils n'ont aucune chance de peser sur le pouvoir. De cette nomenclature des années 60-70, il reste quelques résidus et quelques nostalgies pour ressusciter le « Parti Etat » à l'image des partis communistes de l'ère soviétique ou Maoïste ou des partis nationalistes de la modernisation dans le Tiers-monde à l'image du Néo-Destour, en Tunisie, du FLN en Algérie, Baâth, en Syrie, et en Irak ou du Parti Socialiste arabe de Nasser. Mais, les choses sont allées plus loin avec l'Islam politique et une certaine accélération de l'Histoire avec la poussée de partis « flottants » qui veulent contrôler la société mais détruire l'Etat. Finalement, ce sont des partis dominants et hégémoniques mais contre « l'Etat » qui symbolise la « laïcité », la modernisation et une certaine barrière à la propagation de la « Cité de Dieu », une cité en apparence « divine » parce que prévue par les textes sacrés, mais sculptée et hiérarchisée par l'illumination d'hommes attachés à l'illusion des déserts plus qu'à l'édification rationnelle de sociétés viables dans un monde de plus en plus sophistiqué. Les politistes américains comme Parsons et Easton, sont les plus marqués par cet aspect « compliqué » du monde avec les nouvelles sciences et les technologies très fines et subtiles de la communication planétaire. Alors, dans tout cela, où classer la Nahdha et où classer Nida Tounès ! Le parti islamiste a-t-il, aujourd'hui, la morphologie d'un parti dominant classique qui veut contrôler la société puis l'Etat, ou a-t-il encore les tentations des partis « messianiques » avec une volonté de contrôler la société mais de détruire « l'Etat » de la modernisation, qui l'empêche de s'étendre indéfiniment. Nous pensons qu'il répond aux deux projets dans la mesure où à la prise du pouvoir après le 23 octobre 2011, il a été tenté de changer de fond en comble le modèle culturel et social de la Tunisie. Mais, devant les réactions vigoureuses de la société civile et du rejet farouche de « l'islamisation » wahabisée ascendante prêchée surtout par les « frères musulmans » de type Wajdi Ghoneïem, qui est, aujourd'hui, à la recherche « d'une nouvelle terre de prédication » après avoir été évacué... enfin, par le Qatar « frère » sous la pression des Saoudiens et des Américains, la Nahdha s'est ravisée à temps pour faire une pause et s'accommoder d'un « Etat » et d'une administration, qui sont finalement pas si mal que cela pour affiner le contrôle social intégral. La Nahdha joue, aujourd'hui, l'Etat « civil » et démocratique, mais en précisant sa vocation à « servir » la Révolution » ! (wa hadha beïtou al kassid). Et ceci est la pierre angulaire. Au fait, c'est quoi « pérenniser et servir la Révolution ». Tout le monde n'a pas la même lecture des concepts qu'on nous balance comme des « vérités ». Faut-il associer la « Révolution » à la wahabisation des mosquées, à la création de milliers d'associations salafistes dites « caritatives », à la déstructuration de la sécurité nationale et faire de nos frontières des « passoires » aisées pour les « frères » jihadistes, ou faut-il associer la Révolution à l'institutionnalisation du système politique, édifier l'Etat de droit et construire la démocratie civile et régionale en préservant notre identité millénaire et le « label Tunisie » ! La Nahdha pourrait être les deux, une Nahdha du passé et une Nahdha du futur, dans un même coffret. Quant à Nida Tounès, son vrai problème c'est qu'il a démarré comme un parti de masse un peu « fourre-tout » pour résorber toutes les franges de la population qui ne veulent pas du projet islamiste « hégémonique » et qui défendent la modernité, le progrès et l'Etat national moderne avec ses insuffisances car seul garant de la pérennité de la nation tunisienne et son identité propre. Puis, la décantation a fait que toutes « ses » élites étaient loin d'être homogènes. Mieux encore, les ambitions sont diverses et là la discipline qui est l'essence même de « l'appartenance » à un parti, a été fissurée par l'infantilisme des uns et le déficit majeur au niveau de la centralisation. M. Béji Caïd Essebsi, en leader charismatique national et visionnaire, n'a pas, à notre humble avis, accordé suffisamment d'attention à la structuration du parti et une centralisation pyramidale nécessaire même dans un parti de masses. Les « Gassas » et dérivés, n'auraient jamais dû intégrer structurellement le « parti » de Nida Tounès, mais auraient pu rester dans la périphérie des sympathisants. Idem pour M. Omar Shabou qui fait figure, aujourd'hui, de « Brutus » au Sénat du Nida qui a fondé son propre parti « les Destouriens libres » et qui a déjà participé aux élections du 23 octobre 2011 avec les résultats qu'on connaît, où il n'a même pas assuré un siège à l'ANC même dans les divers « restes ». Alors, pourquoi a-t-on accepté sa réintégration à Nida Tounès après l'avoir quitté ! En voilà des bizarreries, qui en disent long sur l'absence de disciple de parti à Nida Tounès ! De fait, Nida Tounès a grandi rapidement mais il faut canaliser tous ses courants et la chirurgie est plus que nécessaire faute de quoi, il risque la décomposition et le minage intégral. M. Caïd Essebsi et ses pairs, « disciplinés », doivent à notre humble avis, jouer les « masses » et laisser en marge les dissidences de parcours. Tous les grands partis populaires connaissent ce genre de situations. Voyez ce qui se passe à l'UMP en France. Déjà, une compétition douloureuse, s'annonce contre MM. Sarkozy et Alain Juppé, pour les primaires et les présidentielles. Quant au Parti Socialiste, la compétition est largement engagée entre le Président en exercice, François Hollande, son Premier ministre, Emmanuel Vals, et Mme Martine Aubry, maire de Lille et ancienne première secrétaire du Parti Socialiste français. Devant toute cette « complotite », la seule alternative pour les « Nidaïst » fidèles, c'est les législatives ! Si Béji doit oublier, pour le moment, les présidentielles et focaliser sur le « Bardo » qui contrôlera et le législatif et l'exécutif à la Kasbah. Pour Nida Tounès, ce sera le grand examen : ça passe... ou ça casse ! S'il arrive à avoir une bonne représentation au Bardo, Carthage sera à portée de main et tous les « complots » iront aux oubliettes ! Oui, le Bardo... rien que le Bardo ! La Nahdha l'a compris déjà bien avant ! K.G