Lors du dépôt du projet de loi sur la Justice transitionnelle devant l'ANC, en 2012, Mustapha Ben Jaâfar alors président de ladite Assemblée, avait déclaré devant les élus du peuple à l'époque : « La Justice transitionnelle ne signifie nullement l'installation des échafauds, mais vient consacrer la réconciliation nationale après la reddition des comptes et l'établissement des vérités ». Les couleurs étaient de prime abord annoncées : Cette loi doit mener à la réconciliation nationale après avoir passé l'étape obligatoire et ô combien difficile, de la connaissance de la vérité. Le but apparent est la recherche de la vérité et des coupables, mais le but caché serait de l'avis de certains, observateurs, d'échapper à la punition. Il ne s'agit pas bien sûr d'installer des échafauds, mais au moins d'amener les coupables à reconnaître leur tort et s'excuser auprès des victimes. C'est autour de ce thème qu'un séminaire organisé par la Coordination nationale indépendante pour la Justice transitionnelle, s'étalant sur deux jours, a débuté hier en présence de Mohamed Salah Ben Aïssa ministre de la Justice, des membres de la société civile et la participation du Réseau Euro-méditerranéen des droits de l'Homme en Tunisie, et de l'Institut Arabe des droits de l'Homme. La loi a prévu la création de l'Instance Vérité et Dignité, dont le but est d'œuvrer à la connaissance de la vérité, en recherchant tous les coupables d'atteintes aux droits de l'Homme, et ce, depuis l'aube de l'indépendance jusqu'à 2012. Le travail est en lui-même ardu et complexe, et le dé lai imparti est fixé à une période de 4 ans à compter de la création de ladite instance. Depuis, bien de l'eau a coulé sous les ponts et les citoyens, dont les familles des victimes et blessés de la Révolution attendent toujours d'être dédommagés et recouvrer leurs droits. Cela est dû aux incohérences de la loi et aux multiples dysfonctionnements au sein de l'Instance Vérité et dignité. C'est ce qu'a fait remarquer Me Amor Safaroui, avocat et président de la Coordination nationale indépendante pour la Justice transitionnelle. Il a mis en exergue les incohérences de la loi et l'inconstitutionnalité de certains de ses articles dont notamment ceux contrevenant au principe du double degré de juridiction, ainsi que ceux créant des infractions non prévues par le code pénal, telles que celle de « l'incitation à quitter le territoire national ». Me Amor Safraoui a proposé donc de retirer ces articles. Il a proposé la modification de l'article 46 de la loi, concernant la commission d'arbitrage et de conciliation, en matière de corruption financière, afin de prévoir le recours à des experts, et ce, dans le but de mieux évaluer la somme que doit rembourser le contrevenant à la victime, dans un souci d'une meilleure équité. Mohamed Salah Ben Aïssa, ministre de la Justice a pour sa part, fait un exposé académique par lequel il a mis en exergue les points essentiels qu'il est indispensable de revoir dans la loi sur la Justice transitionnelle. Trois niveaux de réflexion doivent être envisagés par rapport à la Justice transitionnelle : -Au niveau de la Constitution, plusieurs articles de la loi sont contraires aux principes consacrés par cette dernière, notamment concernant le double degré de juridiction, les décisions ne sont susceptibles d'aucun recours en vertu de la loi sur la justice transitionnelle. La loi enfreint également le principe de la prescription de l'infraction, puisque les investigations de l'Instance Vérité et Dignité concerneront la période allant de 1955 à 2014. -Au niveau de la Justice, la loi enfreint aux principes de la justice pénale en créant des infractions non prévues par le code, et par la même aux principes de la préservation des droits de l'Homme. -Au niveau des juridictions, l'Instance Vérité et Dignité, qui mènera des investigations, transmettra les dossiers à des chambres spécialisée. Toutefois il y aura un dysfonctionnement entre les affaires jugées par ces chambres spécialisées et celles des martyrs et des blessés de la Révolution qui ont été déjà jugées par la justice militaire et qui seront transmis de nouveau à ces chambres spécialisées. A part le problème de dysfonctionnement, le ministre de la Justice a fait remarquer qu'il y a un manque de magistrats, par rapport au nombre de dossiers et à la diversité des affaires. C'est ce qui cause la lenteur des tribunaux à trancher les affaires et à rendre les décisions. Comment résoudre ces problèmes en si peu de temps ? Car l'Instance a un délai limité pour terminer un travail de Titan, et en vertu d'une loi qu'il est nécessaire de remodeler dans l'intérêt du justiciable. Celui-ci ne sait plus à quel Saint se vouer devant les méandres de la procédure et les incohérences, d'une loi qui ne répond en rien aux objectifs de la Révolution.