Je pense à vous femmes qui vous vous battez contre les montagnes et portez le ciel sur vos épaules, car j'ai peur que le découragement vous gagne. Je pense à vous, femmes dans la tourmente, harassées par les longues journées de déconvenues, car l'horizon semble se rétrécir et le rêve avorter. Je pense à vous artisanes d'un rêve commun désiré et attendu comme le miracle car ils l'ont maculé de haine et d'immobilisme. " La fête de la Femme" fut instituée pour célébrer des acquis fondamentaux et soulever un débat salutaire. Continuer un chemin torturé et tortueux vers la conquête des libertés en fut l'objectif, sinon pourquoi avoir inventé une journée consacrée aux femmes ? Si tout allait bien dans le meilleur des mondes, pourquoi la célébrer ? Si tout allait bien pour les hommes et les femmes, pourquoi cette " Fête" ? L'indépendance a soulevé le débat sur le statut de la femme en Tunisie, sur son rôle dans la lutte nationale, son rôle dans une société en devenir, sur sa participation à la construction d'un Etat et sur les combats futurs afin de réaliser l'égalité parfaite des droits et des devoirs entre hommes et femmes. Mais voilà que le débat a dévié, supplanté par un pseudo débat introduit par effraction, avec virulence et violence. L'invasion des barbares a imposé sa vision étriquée du monde, sa conception pernicieuse du présent et de l'avenir et nous a plongés dans d'interminables discussions stériles à propos de la place d'une femme dont le corps est devenu " lieu" de toutes les batailles. Oubliées les avancées qu'on désirait, qu'on souhaitait, les acquis sont le seul horizon rêvé. Oublié le combat pour renforcer ces acquis et réduire l'état d'esclavage féminin. Le débat est inversé depuis quatre ans, puisque les forces des ténèbres ont décrété que le corps féminin était sacrilège. Tous les prêcheurs de la discorde se sont succédé pour nous convaincre de le voiler, de le cacher, de le mutiler pour connaître le salut éternel. Les discoureurs mal intentionnés l'ont exhibé, violenté, violé sur les écrans des télévisions, dans les journaux et magazines afin de le disséquer et annoncer qu'il devait être enchaîné, couvert d'un linceul, dompté pour ne pas réveiller de désir. Est-ce le temps des cavernes dont ils ont le souvenir vivace ou est-ce leur imaginaire malade? Il faudrait qu'il soit bien stérile pour nous donner une si piètre image de leurs mères, de leurs filles, de leurs sœurs et de leurs épouses. De quelle cité primitive rêvent-ils? De quels fantasmes sont-ils esclaves pour dominer ce corps et lui imposer leurs propres chaînes? Mort le débat sur la vie, occulté le débat sur le progrès, la justice, l'égalité, la cité de l'avenir. Le nouveau discours sur le progrès se rétrécit à la " décadence morale ". La hantise du corps féminin, enlaidi, atrophié habite la cité qui s'en empare et l'étale à toutes les convoitises. Le mal a de l'avenir, il prend toute la place, engloutit nos vies. Il tue les combats et réduit cris et protestations. Le besoin de se justifier ne résiste pas devant l'implacable. les esclaves sexuelles pour "djihadistes" font leur apparition, auréolées de louanges. Les femmes sont exclues de la cité et de l'humain car un nouveau projet " civilisationnel " et culturel est là qui défend ses prérogatives et ses intérêts politiques. Dominer pour prendre le pouvoir, faire régner le chaos. Exclure les femmes et n'en faire que des génitrices soumises, c'est accepter d'être, aussi, des esclaves d'une idéologie qui s'auto flagelle et s'auto détruit. L'esclave a un tyran, sa propre ignorance.