Alors que l'opposition s'apprête à organiser des manifestations de rue pour crier sa colère contre le projet de loi sur la réconciliation économique et financière élaboré par la présidence de la République pour «tourner la page du passé» et créer un «climat favorable aux affaires», le président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (LTDH), Abdessattar Ben Moussa a appelé à une synthèse «consensuelle» entre ce projet et celui de l'Instance Vérité et Dignité (IVD) créée conformément aux dispositions de la loi organique sur la justice transitionnelle. Consensuel à souhait, Me Ben Moussa a plaidé pour l'élaboration d'une nouvelle loi qui prend en considération les meilleurs aspects des deux projets dans le cadre du respect de la Constitution, et recueille l'assentiment des organisations nationales influentes comme l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et l'Ordre national des avocats. Selon certains experts, l'idée est loin d'être saugrenue vu que chacun des deux projets comporte des points forts et des lacunes. Ainsi, les points forts du projet de loi sur la réconciliation économique proposé par la présidence de la République sont la durée du dispositif courte (3 mois renouvelables contre une durée maximale de cinq ans pour le projet de loi sur la justice transitionnelle), une commission de réconciliation comprenant des représentants de l'Etat et de l'IVD ( dans l'autre projet, une commission de réconciliation au sein de l'IVD examine les demandes de règlement à l'amiable dans les dossiers de corruption financière), le remboursement des sommes volées et des bénéfices générés par cette somme sur la période avec une majoration de 5%, alors que dans le cas de l'IVD, c'est la commission d'arbitrage et de réconciliation qui délimite la valeur et le mode de compensation. La loi sur la réconciliation économique et financière élaborée par la présidence de la République stipule la fin des poursuites contre fonctionnaires et hommes d'affaires ayant trempé dans les affaires d'abus financier et d'atteinte à l'argent public. Selon Ridha Belhaj, le directeur de cabinet du président de la République, cette loi permettra aux repentis d'investir dans l'économie, de participer au développement régional. Il n'existe, cependant, aucun chiffrage des sommes qui pourraient bénéficier au pays. L'autre principal point faible du projet de la présidence de la République est la composition de la commission de réconciliation, laquelle est dominée par le pouvoir exécutif. Selon le texte de loi, cette commission comprend un représentant du chef du gouvernement, un représentant du ministère de la Justice, un représentant du ministère des Finances, un représentant du ministère chargé du Développement, de l'Investissement et de la Coopération Internationale, deux membres de l'Instance Vérité et Dignité et un représentant du chargé général du contentieux de l'Etat. Le mode de prise de décision au sein de cette commission est aussi problématique puis que le texte spécifie que des décisions sont prises par consensus et en cas d'absence de consensus à la majorité des voix ! A noter que cinq partis de l'opposition (Al-Joumhouri, Ettakattol, le Courant démocratique, l'Alliance démocratique et le Mouvement du Peuple) ont appelé à des manifestations, le 12 septembre, contre le projet de loi de réconciliation économique et financière. Une marche nationale devrait être organisée dans ce cadre à Tunis, parallèlement à des rassemblements de protestation dans les régions. Les cinq partis en question se sont aussi mis d'accord sur la constitution d'une coordination nationale ayant pour mission d'œuvrer pour faire échouer l'adoption de ce projet de loi, et qui a toutes les chances d'être adopté par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) grâce à la majorité dont disposent les partis composant la coalition gouvernementale (Nidaa Tounes, Ennahdha, l'Union patriotique libre et Afek Tounes). Il est vrai que le mouvement Ennahdha n'a pas officiellement exprimé une consigne de vote, mais Rached Ghannouchi, le leader islamiste, a déjà donné sa bénédiction à la réconciliation nationale comme il l'avait fait en août 2014 lorsque son parti avait voté l'article 167 de la loi électorale permettant aux anciens responsables du RCD de se présenter aux élections. Le Front populaire, qui est opposé lui aussi à la loi de la réconciliation économique et financière, ne semble pas chaud à l'idée de participer à cette coordination de l'opposition. La coalition de partis de gauche dirigée par Hamma Hammami n'apprécie pas la présence au sein de cette coordination du Mouvement du Peuple et des «résidus de la Troïka», en l'occurrence Ettakatol et le Courant Démocratique.