Presque une semaine passée sur la décision du comité Nobel norvégien de recomposer, vendredi 9 octobre, le Quartet menant le « dialogue national » en Tunisie. Cette attribution est à plus d'un titre anachronique. Elle porte en l'occurrence une image très enjolivée du pays. Autrement dit, ce Prix aux yeux de beaucoup de Tunisiens est un privilège que notre chère patrie ne peut se permettre. Certes, nul ne peut nier la contribution des membres du Quartet quant à la recherche d'une issue suite à deux assassinats de deux figures emblématiques: Chokri Belaïd le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi le 25 juillet 2013. Mais la question qui se pose à ce moment précis : cette recherche de solution politique opérée, entre autres, par le Quartet est-elle suffisante notamment pour réaliser le développement économique dont a besoin la société? Aux yeux des Européens, cela est largement suffisant. Et cela mérite même un Prix Nobel. C'est comme si le chemin est déjà accompli par notre pays et que la fameuse rhétorique de la « stabilité » au moment de la période de Ben Ali, peut revenir en toute quiétude. Cette stabilité est en train de revenir par une vision militarisée de la société. Dans le sillage du Prix Nobel, le renforcement de la surveillance Précédent de très peu l'euphorie médiatique par rapport au Prix Nobel, le gouvernement français avait décidé de quadrupler son aide militaire à notre pays. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé lundi 5 octobre lors d'une visite à Tunis la multiplication de quatre fois l'aide militaire annuelle française attribuée au service militaire tunisien. Cette aide passera donc à 23 millions de dinars alors qu'elle était de l'ordre de 5.5 millions de dinars. Après avoir assisté à un exercice des forces spéciales tunisiennes à Bizerte, Le Drian, lors d'une conférence de presse à Tunis accompagné par notre ministre Farhat Horchani, a précisé que cet effort porterait sur « deux priorités majeures »: « les forces spéciales » et le « renseignement ». Cette coopération selon le sociologue français Vincent Geisser qui a beaucoup travaillé sur le contexte politique et social de la Tunisie œuvre pour la promotion mais aussi la mise en place d'une « démocratie au rabais où seules comptent la stabilité sécuritaire, la lutte contre l'immigration clandestine et la politique de soutien contre le terrorisme ». En ce sens, on peut bien comprendre que le Prix Nobel est loin d'être une symbolique œuvrant pour l'émancipation des citoyens du « pays du jasmin »... Le « bon élève » est à la croisée des chemins Aujourd'hui le statut du « bon élève » de la communauté européenne est beaucoup plus incarné par le Quartet que par le gouvernement tunisien. Le pays est actuellement à la croisée des chemins, pris en tenaille entre l'élan démocratique qui ne fait pas de développement économique et social et une nostalgie de la dictature qui renvoi à un système autoritaire ayant réalisé en 2010 5.6% de taux de croissance. Le gouvernement tunisien actuel est composé de deux franges politiques qui se partagent, « avec concertation et dialogue », le pouvoir à savoir Ennahdha et Nidaa Tounes. Avec la configuration actuelle, les politiciens aux commandes de la chose publique veulent renouer avec le statut de « bon élève ». Or le parti islamiste est très loin de plaire à nos voisins européens d'autant plus qu'il est toujours renvoyé, quoi qu'il fasse, dans l'imaginaire européen à la nébuleuse des Frères musulmans. Quant au modernisme que veut faire transparaître Nidaa Tounes, les déchirures et les guerres intestines qui sillonnent ce parti, sont loin de faire de lui un interlocuteur crédible vis-à-vis des partenaires européens. Ces derniers sont bel et bien à la recherche d'acteurs capables d'introduire des réformes ad hoc susceptibles d'arranger leurs affaires. Dans ce contexte de fragilité, le Quartet n'est pas en réalité dans son rôle quand il s'occupe du politique. Il devrait de facto s'occuper du social et notamment des salariés de ce pays, de la qualité déplorable des transports publics, du soutien et des soins gratuits pour les familles nécessiteuses; oh! Combien nombreuses celles-ci. Ce travestissement est dû en partie au déficit politique laissé par des années de dictature. Ce Quartet au lieu de faire du social est donc plutôt classé parmi les premiers mondiaux sur le podium politique. Importe-t-il de rappeler que ce Quartet avatar du « dialogue national » est en effet un groupe hétéroclite – composé du syndicat UGTT (Union générale tunisienne du travail), de la fédération patronale Utica (Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat), de la Ligue tunisienne des droits de l'homme et de l'Ordre national des avocats. Ces quatre organisations, entrées dans l'histoire sous le nom du « Quartet », étaient parvenues à une « feuille de route » aboutissant à l'adoption d'une Constitution progressiste fin janvier 2014 (encore faut-il qu'elle se matérialise dans la vie quotidienne des gens). Entre temps le citoyen est livré à lui-même dans un contexte d'absence totale de refonte des services sécuritaires et avec la prolifération de l'arbitraire policier aussi bien sur le plan de la mentalité que sur le plan de la pratique.