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Bayard d'Or de la Meilleure Première œuvre de fiction du FIFF Namur, au film de Leyla Bouzid : «A peine j'ouvre les yeux», en sélection officielle des JCC 2015.. "Les Tunisiens doivent faire un travail de mémoire sur le passé pour mieux affronter l'avenir
Vendredi 10 octobre, la Tunisie doublement honorée! Outre le Prix Nobel de la Paix dont tout le pays est fier, le FIFF (Festival international du Film Francophone de Namur) vient de décerner le Bayard d'Or de la Meilleure Première œuvre de fiction au long métrage tunisien « A peine j'ouvre les yeux » de Leyla Bouzid qui vient à son tour décrocher deux autres distinctions à Venise, le Prix du Public ainsi que le Prix Europa cinéma. Film courageux et audacieux « A peine j'ouvre les yeux » raconte le parcours d'une jeune élève au Bac, Farah (Beya Medhaffar), libre et artiste dans l'âme ; elle chante au sein d'un groupe de jeunes musiciens engagés malgré le refus de sa mère, Hayet (Ghalia Ben Ali) qui la somme vainement de poursuivre des études en médecine. L'histoire a pour toile de fond, la Tunisie, quelques mois avant le départ de Ben Ali. Période noire qui dépeint la tyrannie d'un système, au cours de laquelle la parole était muselée, l'expression censurée et la liberté d'expression bâillonnée. Les flics étaient sur le qui-vive pour mettre les menottes à tout ce qui bouge, en arrêtant, humiliant et emprisonnant des jeunes dont le désir de liberté n'a pas de prix. D'après la note d'intention de la réalisatrice, le récit se déroule à Tunis, l'été 2010, celui juste avant la révolution. Il y avait une atmosphère étouffante; un sentiment de peur et la sensation d'être dans une impasse, que quelque chose allait finir par exploser. Les jeunes étaient en ébullition, ils résistaient par la musique, les blogs, Internet et leur existence même. C'est d'eux qu'est venue l'énergie de ce qui s'est passé par la suite, c'est d'eux que vient l'énergie de ce film. Rebelle et impulsive, Farah est l'une de ces jeunes qui se battent quotidiennement contre tout ce qui les brime ; elle est le porte voix d'une jeunesse portée par la vie, qui tient tête à tous les tyrans. Réaliser une première œuvre de fiction de cette trempe là, n'est pas une mince affaire ! Et pourtant, Leyla Bouzid a réussi à convaincre à l'unanimité le jury. A l'annonce du Palmarès lors de la soirée des Bayards, des cris de joie et des applaudissements ont fusé de partout dans la salle de l'Eldorado. Et c'est à son producteur Anthony Rey qu'a été remis le prix. Ce dernier très ému, a rappelé à l'assistance que la Tunisie méritait amplement sa victoire puisqu'elle venait de recevoir le Prix Nobel de la Paix. Absente à la soirée de clôture, mais présente lors de la soirée de projection de son film, Leyla a bien voulu répondre à nos questions, malgré son calendrier bien chargé et les nombreuses sollicitations de la presse internationale. Tous nos remerciements et souhaits de succès ! Le Temps : était-il nécessaire et urgent de consacrer son premier long métrage à la révolution tunisienne. N'était-il pas plus courageux de le réaliser à l'époque de la dictature comme le dépeint si bien l'histoire avec ces chassés -croisés entre une jeunesse assoiffée de musique engagée et les flics du régime ? -Leyla Bouzid : pour moi, « A peine j'ouvre les yeux » ne parle pas tout à fait de la révolution, mais de Ben Ali, de la dictature, des pleins pouvoirs de la police et de l'énergie de la jeunesse face à tout cela. Car comme vous le remarquez, il n'y a aucun élément axé sur la révolution, à part les quelques images d'ouvriers en révolte depuis 2008 dans le nord-ouest tunisien. Au fait, ce n'était pas possible de réaliser le film à l'époque de Ben Ali ; en cachette et avec des non-dits...Et ce n'est pas une question de courage mais de possibilités concrètes. Je trouve qu'il est important d'en parler aujourd'hui car les Tunisiens doivent faire un travail de mémoire sur le passé pour mieux affronter l'avenir. Autrement dit, se battre contre l'amnésie et l'oubli car la meilleure arme, reste le cinéma. *Que diriez-vous sur votre choix du casting : Beya Medhaffar qui joue pour la première fois au cinéma en décrochant le rôle principal, aux côtés de Ghalia Ben Ali, dans le rôle de la mère ? -Un grand casting au fait qui a pris plus d'un an , avec la participation d'un grand nombre de jeunes filles qui postulaient pour le rôle et puis mon choix s'est fixé sur Beya , 18 ans , pour camper le personnage de Farah. Beya qui vivait en Tunisie avant de partir en France pour poursuivre des études supérieures avait le potentiel de jouer et de chanter. En réalité, elle s'est battue pour décrocher le rôle après plusieurs tests. C'est le profil d'une fille courageuse et libre au vrai sens du terme, qui ose défier les limites que lui impose la société. Quant à Ghalia qui vit à Bruxelles, elle était surprise au début pour la proposition mais quand elle a lu le scénario, elle a été intéressée par le rôle de mère d'une jeune chanteuse et à mon avis, sa présence a beaucoup apporté au film. Il y avait en fait une jolie complicité entre les deux. *Outre Venise et les prix reçus dans la Section Venice Days 2015, « A peine j'ouvre les yeux » a t-il été projeté sous d'autres Cieux, sinon, quelles sont les opportunités à venir ? -Le 5 septembre dernier, « A peine j'ouvre les yeux » a été projeté à Venise puis vers le 11 septembre, au festival du film international de Toronto au Canada dans la Section : World Contemporary Cinéma. On vient par ailleurs, d'avoir un prix, Mention spéciale du Jury pour la première projection française du festival « War on Screen ». Le film sera projeté par la suite en Islande, Corée du Sud et puis on verra. *Votre père Nouri Bouzid vous a-t-il été d'un quelconque secours ; vous avez la même approche, la même audace et le même courage dans le traitement du sujet. Votre désir à tous les deux de vouloir bousculer le spectateur, voire le choquer en mettant le doigt là où ça fait mal : les non-dits et les tabous auxquels est confrontée la société tunisienne ? -Je suis partie en France pour poursuivre des études de cinéma et afin d'aiguiser mon regard indépendamment par rapport au regard fort de Nouri Bouzid. J'ai fait mon propre parcours et je pense que le film est ma vision des choses et ma propre sensibilité. Nouri dit souvent que ce qu'il raconte en confrontation « avec les griffes », moi je le dis en douceur et en caresse... Si ça touche là où ça fait mal, c'est qu'on est touché par le film et c'est tant mieux !!! *Déjà une idée qui taraude votre esprit pour un prochain long métrage? -J'a besoin d'abord qu' « A peine j'ouvre les yeux » sorte en Tunisie et qu'il ait le succès escompté avant de pouvoir m'investir dans un autre projet. S.B.Z.