L'ancien chef du gouvernement de technocrates Mehdi Jomâa, dont la popularité ne cesse de se tasser dans les sondages, ne veut décidément pas tomber dans les oubliettes. Alors que certains analystes font ironiquement la parallèle entre son retour annoncé au devant de la scène politique et la réapparition du «Messie» (Al-Mahdi al-Mountadhar), l'ancien directeur général d'une filiale florissante du géant français des hydrocarbures Total n'improvise pas la (re)conquête du pouvoir. A la manière d'un chef d'entreprise futé, il a minutieusement préparé un business-plan comportant une stratégie bien ficelée pour atteindre ses objectifs. Celui qui était un parfait inconnu lorsqu'il a été nommé ministre de l'Industrie en mars 2013, avant d'accéder à la Primature huit mois plus tard, a annoncé, jeudi, le dépôt légal des statuts d'un think tank baptisé «Tunisie Alternatives» (Tounes El Badael), conformément à la loi organisant les associations. Il s'agit d'un forum de réflexion et d'études regroupant la majorité des membres du gouvernement des technocrates qui avait conduit le pays aux élections de fin 2014. «C'est un projet qui résume la détermination de bâtir et la volonté de réformer, un chemin vers l'avenir qui exprime l'espoir d'une nouvelle Tunisie; ce pays béni qui nous appelle tous pour préserver les droits de ses citoyens, assurer sa sécurité et garantir sa stabilité et qui compte sur nous tous, sans exception ou exclusion», a affirmé Mehdi Jomâa dans un post publié sur sa page Facebook. Le nouveau forum de réflexion et d'études regroupe, selon des sources proches de son initiateur, quelque 300 compétences dans divers domaines, dont plusieurs membres du cabinet dirigé par M. Jomâa, à l'instar de Taoufik Jelassi, Kamel Bennaceur, Fethi Jarray, Hafedh Laamouri, Mourad Sakli, Neila Chaâbane, Mohaemd Salah Ben Ammar et Ridha Sfar. Cette armada d'experts aura pour mission d'engager des réflexions stratégiques sur l'avenir de la Tunisie à moyen et à long termes et à élaborer des études stratégiques dans tous les domaines du développement économique et social. Selon les observateurs avertis, Tunisie Alternatives doit servir à Mehdi Jomâa de tremplin pour accéder à la magistrature suprême, en renforçant son identification à la compétence et en le faisant apparaître comme étant un homme d'action à l'heure où les autres leaders politiques se contentent de critiquer ou de se chamailler. Conçu comme étant un laboratoire d'idées, le think tank permettra dans le même temps à cet ingénieur de formation d'élaborer un programme politique séduisant et de rester sous les feux de la rampe médiatique. Revigoré par les sondages d'opinion qui le placent régulièrement en bonne position parmi les personnalités politiques les plus respectés par les Tunisiens, l'ancien Premier ministre qui s'est reconverti dans le consulting n'a d'ailleurs jamais exclu plus son retour sur l'arène politique pour y jouer les premiers rôles. Dans un entretien publié le 3 juillet par le magazine «Harvard Political Review», il avait déclaré qu'il pourrait créer un parti et même jouer un rôle de premier plan dans un avenir proche. «Dans l'immédiat, je vais d'abord récupérer et reprendre une vie civile, normale. A l'avenir, cela dépendra du fait si le pays a besoin de moi et de mon équipe. Si c'est le cas, nous servirons dans n'importe quelle position, qu'elle soit politique ou pas», a-t-il déclaré en réponse à une question sur son éventuel retour sur la scène politique nationale. «Je ne compte pas créer un parti politique actuellement, et on verra pour l'avenir. Je ne peux pas vraiment prédire», a-t-il ajouté. Les experts pensent en effet que plusieurs atouts prédisposent Mehdi Jomâa à un destin national. Ce natif de Bekalta (gouvernorat de Mahdia) bénéfice d'une image de rassembleur et d'homme de consensus vu qu'il n'a jamais brillé par une prise de position attestant d'une quelconque idéologie. L'homme qui n'a jamais eu d'attaches partisanes est fréquentable pour une majorité des électeurs de Nidaa et d'Ennahdha, car il n'a jamais attaqué frontalement l'Islam politique ou la laïcité. C'est dire qu'il pourrait puiser à la fois dans les réservoirs électoral des camps progressiste et conservateur en cas d'une éventuelle candidature à la prochaine présidentielle. Autre atout de taille: Mehdi Jomâa a été adoubé par l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA) et accepté par l'Union générale Tunisienne du Travail (UGTT) lors du dialogue national engagé entre les différents acteurs de la vie politique nationale au plus fort de la crise de 2013-2015.