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«La Tunisie est un pays profondément clivé»
Publié dans Le Temps le 28 - 02 - 2016

Connu pour ses livres ‘Le jour où Lacan m'a adopté', ‘Manger le livre' ou encore ‘Les femmes et l'alcool', le psychanalyste et écrivain français d'origine tunisienne, Gérard Haddad, nous revient avec un nouvel ouvrage : ‘Dans la main droite de Dieu – Psychanalyse du fanatisme'. Présent à Tunis pour présenter ce nouveau livre, Gérard Haddad a eu rendez-vous avec son public à la bibliothèque nationale pour une rencontre débat. Il a bien voulu nous recevoir pour répondre à nos questions. Des questions qui ont tourné autour du fanatisme, ce fléau qui frappe de plein fouet notre jeunesse.
-Le Temps: Estimez-vous que les populations qui sont passées par ce que certains appellent Printemps arabe vivent une sorte de grande dépression comme celle vécue par les Américains dans les années 30 ?
Gérard Haddad:La grande dépression vécue par les Américains était surtout une dépression économique. Son intensité et sa portée étaient mondiales et c'est elle surtout qui instaurera, par la suite, le nazisme. Je sais que la situation en Tunisie est grave mais je ne pense pas qu'elle ait atteint cette gravité là. Je ne sais pas pour l'avenir, je ne peux pas le prédire. Cependant, et malgré tout ce que vous vivez, je continue à ressentir une certaine joie, dynamique, un certain espoir si vous voulez. L'espoir n'est pas mort ici, je peux me tromper, mais je le pense sincèrement. Cela ressemble plutôt à un processus douloureux de naissance. Une naissance de quoi ? Je ne saurai répondre. Actuellement, mon radar personnel, et grâce à mes fréquentations, et surtout à mes patients tunisiens, capte plutôt de la perplexité mais pas de dépression ni de mélancolie.
-Plusieurs rapports indiquent que les Tunisiens représentent un important pourcentage des djihadistes dans les zones de conflit. Quelle est la raison derrière ce phénomène selon vous ?
Je pense que la Tunisie est un pays profondément clivé pour tout vous dire. Il y a une Tunisie que je connais plus que l'autre, celle de Tunis, de ses banlieues riches et ses régions côtières. Il y a deux années de cela, j'ai fait un petit voyage avec une amie dans la région de Foussena au gouvernorat de Kasserine. Et c'est là-bas que j'ai, un peu, découvert la deuxième Tunisie. Sauf exception, je pense qu'une bonne partie des djihadistes dont vous parlez dans votre question sont justement originaires de cette Tunisie là. J'ai l'impression que la partie la plus riche a exclu cet autre côté du pays. On aurait dû, au lendemain de la révolution, mettre le paquet pour que ces régions soient améliorées mais, pour des raisons que j'ignore, cela n'a pas été fait. Par contre, pour revenir à votre première question, je pense que ces régions-là vivent réellement la grande dépression. Kasserine résonne toujours dans nos oreilles, cette ville où les forces allemandes, en 1943, ont été écrasées. C'est un lieu historique qui mériterait plus de respect.
On dit souvent que ces chiffres révèlent que plusieurs de ces djihadistes ne sont en fait que des mercenaires à qui on promet monts et merveilles pour leurs familles. Dans un pays où règne la misère, cet argument de vente est assez séduisant. On me le dit assez souvent et je pense qu'il y a une part de vérité dedans.
-En contrepartie, nous avons des jeunes qui vivent dans un environnement très aisé et qui sont quand-même séduits par cette idée barbare.
Oui ils existent ces jeunes là mais ils ne représentent nullement la masse. Daech est un mouvement dont on sous-estime la dimension romantique. Ce groupe remplace un peu Che-Guevara chez les jeunes. Daech utilise cette dimension romantique et la propose aux jeunes pour leur donner un autre sens à leur vie. En dehors des barbaries qu'ils commentent, les membres de Daech aiment passer leur temps à faire et à lire de la poésie. Dans un texte qui est paru dans le New-Yorker, on s'est penché sur la littérature de Daech, et, à la grande surprise, on s'est rendu compte que la poésie fait partie de leurs grands centres d'intérêt. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais on a retrouvé un document, rédigé par Oussama Ben Laden, où il demandait à l'un de ses disciples de lui retrouver un poème très ancien de la littérature arabe. Il a lui-même quelques poèmes qui ne sont pas aussi mal que cela.
Sinon, il y a aussi cette femme syrienne qui a écrit un livre où elle parle des traumatismes qu'elle a de tout ce qui se passe dans son pays. A un moment, elle dit que tout ce que commet le régime Al Assad en Syrie poussera les jeunes à tomber dans les bras de Daech... Donc, voyez-vous, cela reste très compliqué à déterminer. Il y a les facteurs romantiques, politiques, etc.
-Et qu'en est-il de la propagande de Daech ?
J'ai vu la vidéo, filmée sur une plage en Libye, où les djihadistes égorgeaient les Egyptiens. La mise en scène, les costumes, les effets sonores... tout était impressionnant dans cette vidéo. Je me suis permis une autre séquence de la décapitation d'un soldat libanais en Syrie, et, là encore, la cérémonie qu'ils filment est tout simplement surréaliste. Ils ne passent jamais à l'action sans passer par ces mises en scène. Cela rappelle un peu les rituels nazis. Les fêtes nazies étaient impressionnantes et réussissaient à capter des esprits qui sont entièrement dans la fascination. Ces personnes ont recruté beaucoup de compétences, en cinéma, en informatique, en mathématiques etc. Une importante partie des anciens cadres sunnites de l'ancien Iraq ou même de la Syrie ont rejoint les rangs de Daech et personne ne dira que ces cadres ne sont pas compétents. Le côté hors-la-loi d'Israël rend les personnes folles de rage, moi-même je suis hors de moi quand j'y pense. Comment cela se fait-il que le monde tolère que toutes les conventions sécuritaires signées n'aient jamais été respectées par Israël depuis 1967 ? Et quand nous sommes fous de rage, nous faisons du n'importe quoi. Je pense que l'affaire israélo-palestinienne, malgré tout, est un facteur important de la montée du fanatisme dans le monde arabe.
- Pourtant les membres de Daech n'ont jamais manifesté leur intention de ‘s'occuper' de ce dossier là.
Vous parlez des déclarations officielles et moi je suis sur l'affectivité des personnes. La perte de la Palestine et ce qu'elle a engendré comme humiliation contribue à tout cela. Pourquoi sommes-nous obligés de respecter la loi alors qu'Israël est en dehors de cette même loi ? Je pense que la question se pose de la sorte dans la tête de certains. Ce pourrissement de la situation du Moyen-Orient en général et du dossier israélo-palestinien en particulier, est une cause principale de la déstabilisation du monde arabe aujourd'hui.
- Lors de la conférence, vous avez répété, à plusieurs reprises, le mot humiliation. Quel impact de l'humiliation sur les populations selon vous ?
Je parle du fait qu'une culture donnée se retrouve humiliée et rabaissée. Tout le monde a été humilié au moins une fois dans sa vie. Mais là, je parle des humiliations culturelles et collectives. Je reviens à l'exemple de l'Allemagne qui, durant les années 20, a connu la pire des humiliations. Cela avait fini par donner naissance au nazisme.
- En Tunisie, il a été question, pendant un petit moment, de mettre en place une loi du repentir qui permet aux djihadistes de réintégrer la société et de reprendre leur vie normale. Est-ce qu'un terroriste peut redevenir humain ?
Bien qu'il faille être extrêmement vigilent, je pense que cela est en effet possible. Soit ce sont des personnes qui ont fini par se rendre compte que cet idéal dont on leur parlait – avec l'accès au paradis et les retrouvailles avec le prophète et ses compagnons – n'était que pur mensonge et reviennent avec une déception profonde, soit ils rentrent au bercail avec de mauvaises intentions. L'effondrement du fantasme du monde idéal. Oui, ils peuvent revenir mais il faut faire attention parce que certains seront manipulés et rentreront comme des chevaux de Troie. Je ne suis pas un homme de politique mais un homme sentimental. D'où ma réponse. Par contre, je suis persuadé que les grands leaders, à l'instar d'Abou Bakr Al Baghdadi, ne pourront jamais se repentir. Je reviens souvent à l'exemple nazi : de ses grands dirigeants, aucun ne s'est jamais repenti. Ils continuent à penser qu'ils ont juste fait leur devoir. Je serai partisan de les accueillir tout en les surveillant de près.
- La Tunisie est en pleine guerre contre le terrorisme et certains assurent que la lutte contre ce fléau ne doit pas être basée uniquement sur le volet sécuritaire. Qu'en pensez-vous ?
Les conditions économiques désastreuses créent un terrain favorable pour la montée du fanatisme. Pour le volet culture, moi j'admire Matteo Renzi qui, avec Angela Merckel, me semblent être les deux seuls dirigeants dignes de l'Europe d'aujourd'hui. Matteo Renzi a dit ‘pour chaque euro supplémentaire investi dans la sécurité, il faut un euro de plus investi dans la culture'. Etant un homme de la Gauche que j'aime, active, productrice et dynamique, Renzi a présenté notre meilleure arme contre le terrorisme qui n'est autre que la culture. Il nous faut, bien évidemment, les appareils sécuritaires et les services de renseignement. Mais il ne faut jamais dénigrer le combat culturel et idéologique contre ce phénomène. Je risque d'être un peu prétentieux mais j'espère que mon livre contribuera à cette culture anti-fanatique.
- Quel est votre malaise avec le mot radicalisation ?
Je pense que, suite à la lecture de certains ouvrages, que le mot radicalisation veut dire aller à l'extrême d'un processus. C'est-à-dire être à l'extrême de quelque chose. Moi j'emploie plutôt le mot conversion, qui est un mot freudien. La conversion n'est pas un passage à l'extrême mais une transformation de la personnalité qui change tout ses rapports au monde, à sa vie antérieure, aux objets de sa vie... une autre personnalité qui émerge, complètement différente de ce qu'elle était. Ce n'est pas quelqu'un qui est, de nature, extrémiste et qui le devient de plus en plus. C'est plutôt un autre homme qui prend la place d'un autre. Généralement, on a une personne qui consommait de l'alcool, qui menait un train de vie assez progressiste si vous voulez et qui, d'un coup, se transforme en un fanatique modèle. Il s'agit d'une métamorphose. C'est une notion de qualité et non pas de quantité. Dans le mot radicalisation, on est dans la notion de la quantité. Il y a une transformation qualitative de la personnalité ce qui rend la chose beaucoup plus compliquée à résoudre pour les vrais fanatiques, parce qu'il y'en a beaucoup qui le sont par erreur. La ‘déconversion' ou la ‘déradicalisation' en devient plus délicate. Je n'aime pas le mot ‘déradicalisation' parce qu'il sonne comme dératisation et j'estime que les humains, même les plus criminels d'entre eux, ne sont pas des rats.
- Est-ce que l'enfant d'un djihadiste est destiné à devenir djihadiste ?
Quand on parle de l'humain, tout devient possible. Le fanatisme religieux
– qu'il soit chrétien ou musulman parce que je prétends qu'il n'y a pas de fanatisme juif –, contrairement aux autres formes de fanatismes, est le seul, d'une manière générale, qui exprime du mépris à l'encontre de la femme. C'est le propre du fanatisme religieux de donner à la femme un statut méprisé et une position inférieure.
Pour les enfants, je peux vous répondre de la sorte : est-ce que les enfants d'une femme psychotique sont, automatiquement, psychotiques ? Certainement pas. Un père nazi n'a pas, forcément, d'enfant nazi. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais presque tous les descendants des grands chefs nazis sont, aujourd'hui, convertis au judaïsme. Donc, voyez-vous, le monde humain n'est nullement une machine à photocopier. Il n'y a pas plus compliqué que l'être humain.
- Qu'est-ce qui vous donne la possibilité d'affirmer que contrairement à l'Islam et au Christianisme, le Judaïsme n'a pas de côté fanatique ?
Dans le monde juif, il y a des fanatiques épouvantables. Toutefois, le Judaïsme, en tant que religion, ne se prête pas au fanatisme parce que c'est une religion du particulier. D'ailleurs, on l'a reproché aux Juifs. Cette religion ne cherche par à convertir les autres ; elle n'a pas de vocation universelle. Selon la parole du grand sociologue Max Weber, le Judaïsme est une religion de caste. Elle ne vise pas à s'étendre à l'ensemble de l'humanité mais voudrait juste que les humains retiennent quelque chose du message de Noé – qui comprend sept lois. Aujourd'hui, il y a très peu de Juifs qui sont dans le Judaïsme. Curieusement. Les Juifs font bande à part. ‘Ce peuple vivra à part'. Cependant, je tiens à dire que je vis en Tunisie des choses extrêmement émouvante avec cette joie de coexistence entre les Musulmans et les Juifs que je ne vois presque nulle part ailleurs.
-Quels sont vos prochains projets ?
Mon prochain projet est de reprendre ce livre et le développer avec les différentes interférences que j'ai eues avec les publics. J'ai été dans une vingtaine de ville en France et chaque fois le public m'a apporté de nouvelles choses. Donc je vais en faire une nouvelle édition et, en complément, un petit ouvrage sur la fraternité qui est une notion extrêmement compliquée.


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