Jazz à Carthage: Kompost 3..Les fils spirituels de Herbie Hancock La formation autrichienne Kompost 3 a créé la sensation à Jazz à Carthage avec un concert d'anthologie qui s'est déroulé vendredi soir devant un public de puristes. Invité en Tunisie avec l'appui de l'ambassade d'Autriche dans notre pays, Kompost 3 est l'un des groupes de jazz les plus en vue en Autriche. Les quatre musiciens qui forment cette formation sont issus de la scène jazz viennoise, à la confluence de plusieurs influences. Fugues de Bach et robots de la mélancolie L'univers de Kompost 3 est proche de celui de l'immense Herbie Hancock. Produisant une musique par moments concrète, au sens musical moderne du terme, le quatuor créait des atmosphères successives, dominées par de longues plages de sérénité ponctuées d'explosions rythmiques débridées. Parfois, un dialogue subreptice entre la trompette et le piano changeait d'échelle lorsque la basse et la batterie se mettaient à leur tour à s'interpeller. Moments sublimes de ce concert lorsque la contrebasse a carrément pris les sonorités du luth dans un solo éblouissant; lorsque aussi le pianiste du groupe jonglait avec trois claviers à la fois, emplissant l'air de résonances puissantes ou chuchotées; lorsqu'enfin, le calme mélodique succédait aux explosions rythmiques. Kompost 3 semblait évoluer selon une algèbre maitrisée. A l'image d'une fugue de Bach, les longs morceaux de ce groupe obéissaient à une structure interne quasiment mathématique, enchainant les ambiances, superposant ou isolant les instruments. C'est d'ailleurs ce qui rapproche ce band du grand Hancock: la structure des pièces jouées et la latitude donnée aux instrumentistes de s'envoler dans des improvisations fluides et éloquentes. Rares étaient ce soir ceux qui connaissaient ce groupe classé "jazz groovy", qui se produisait en Tunisie pour la première fois. Pourtant que de réminiscences pouvaient naitre à l'écoute de ce quartette iconoclaste. Certaines compositions menaient tout droit aux fameux "Tales from a topographic ocean" de Yes par la magie de claviers magistralement employés. D'autres pièces étaient proches dans leur technique et leur inspiration de formations allemandes comme Amon Dull II ou même du Pink Floyd de "Saucerful of secrets" et ses crescendos à la batterie. The Phish ou Enya n'étaient pas loin non plus tant le groupe évoluait sur tous les registres avec des compositions d'une durée moyenne de douze minutes. De fait, Kompost 3 n'a interprété que six morceaux avec dans deux cas des pièces très jazz, absolument funky, qui pouvaient évoquer le jeu d'un Mingus ou le sound du Chicago Transit Authority à ses débuts. Spectaculaire, insolite, hors classe! C'est vous dire l'ambiance! Après le calme, la tempête, un peu dans l'esprit "Sturm und Drang" des Romantiques d'hier... A la fin du concert, ce fut un standing ovation pour les quatre gars de Vienne. Martin Eberle à la trompette a été tout simplement fabuleux. Au piano, Benny Omerzell était à la fois spectaculaire, funambulesque et virtuose. Derrière sa batterie, Lukas Konig soutenait les ballades et les rugissements des robots romantiques de Kompost 3. Enfin, Manu Mayr, entre basse et contrebasse a été insolite, hors classe, prodigieux pour tout dire. Standing ovation disions-nous! Amplement méritée, faudrait-il ajouter! Au point où l'on souhaiterait un "recorded live" de ce concert de Carthage. Ne serait-ce que pour disposer d'une pièce qui démontrerait - sonorités inouïes à l'appui - que Jazz à Carthage, c'est aussi un laboratoire, un espace de convergence et un festival qui pourrait devenir l'un des meilleurs de la région s'il continue dans ce brassage et cette rigueur artistique. Pesons nos mots et ajoutons à ce compte-rendu les trois adjectifs qui s'imposent: mémorable, exquis et par-dessus tout, profondément singulier...