Le Club « Idhafet » de la Maison de la Culture Ali Ben Ayed à Hammam-Lif a organisé une rencontre avec l'universitaire et artiste Elyès Zaafouri autour de son livre intitulé : « Représentation de la Femme à travers la peinture de 1956 à 1987 ». Jalal El Mokh, directeur du Club et Président de l'Union des Ecrivains Tunisiens (Section Ben Arous) a d'abord présenté sommairement le contenu de cet ouvrage volumineux qui a valu à son auteur sept ans de recherches et de travail acharné, en remerciant l'auteur des efforts qu'il a déployés pour réaliser son projet, soulignant que cette période qui s'étend de 1956 à 1987, soit trente ans, couvre toute l'ère bourguibienne où la peinture est passée par des étapes différentes et a connu de nombreux peintres de tendances multiples. Il a cité les titres de certains ouvrages écrits auparavant par le même auteur, comme par exemple, « Habib Jamaï, peintre des peuples », « Ammar Farhat sous le Protectorat », « La femme dans la peinture d'Ali Ben Salem » et d'autres publications concernant le monde de la peinture. Il a également mentionné l'importance de ce travail, dans la mesure où il est en relation étroite avec le patrimoine culturel national. Il a enfin parlé des grandes lignes du livre et de la démarche adoptée par l'auteur. Prenant la parole, Elyès Zaafouri s'est longuement étalé sur son ouvrage, s'appuyant sur une projection en vidéo où il faisait défiler des tableaux de peinture représentant la femme dans les œuvres des peintres à travers les années, allant de la période coloniale jusqu'à la fin du règne de Bourguiba. Le livre, a-t-il indiqué, se compose de trois volets essentiels : d'abord, la représentation de la femme dans la peinture de la fin du 19è siècle jusqu'à l'indépendance. Ensuite, le contexte pictural général de la Tunisie indépendante. Enfin, l'image de la femme dans la peinture depuis 1956 jusqu'à 1987. La femme vue par les orientalistes Il a expliqué que la Tunisie n'avait pas vraiment de véritables traditions picturales. En effet, la peinture fut introduite en Tunise d'une manière spécifique ; ce sont les peintres orientalistes, non pas ceux qui sont venus tout seuls par une initiative personnelle pour explorer nos contrées, mais surtout ceux qui étaient délégués par des institutions politiques ou culturelles pour décrire par la peinture le pays, ses habitants, ses paysages... Mais, en fait, qu'ont-ils peint de fameux sauf : la misère des gens, les indigènes arriérés, les marabouts, les ruelles et les arcades de la Médina, des femmes bédouines ou mendiantes, mais aussi des femmes esclaves nues ou à demi-nues, comme s'ils voulaient montrer que la Tunisie représentait un terrain propice aux Occidentaux pour venir la coloniser et l'assujettir sous protectorat militaire, économique et culturelle. En 1894, poursuivit Elyès Zaafouri, il y eut la fondation du Salon Tunisien, inauguré par le résident général Charles Rouvier, le 11mai ; qui fut créé par l'Association Tunisienne des Lettres, Sciences et Arts (Section de Carthage) et fut présidé par Alexandre Fichet. Puis, sous l'impulsion du résident général de France Lucien Saint (1867-1938), Pierre Boyer fonde en 1922 l'Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis, sous l'appellation de Centre d'Enseignement d'Art de Tunis qui fut présidé successivement par lui-même, puis par Jean Antoine Armand Vergeaud et Victor Valensi. Ensuite, c'est le Salon de l'artiste tunisien qui fut créé par André Delacroix qui l'a présidé jusqu'à sa mort en 1934. L'auteur a également parlé des peintres-pionniers tunisiens, soulignant qu'avant 1894, il n'y avait pas vraiment des peintres qui produisaient des œuvres pour le public, mais plutôt les rares peintres qui s'y trouvaient à l'époque destinaient leurs œuvres essentiellement à la famille beylicale. C'est avec l'apparition du « Salon de l'Artiste Tunisien » qu'on commençait à exposer dans des galeries avec Hédi Khayachi le père (1842-1948) ou Yahya Turki (1903-1969) qui produisaient des travaux semblables à ceux des orientalistes français. Cette imitation des orientalistes a duré jusqu'aux années 30-40. Ali Ben Salem qui comptait parmi les pionniers, était l'un des rares tunisiens à fréquenter régulièrement l'Ecole de Beaux-arts de Tunis. Elève d'Armand Vergeaud, il se distingue à ses débuts par un attachement aux traditions de son pays qu'il reproduit dans ses miniatures. Tout comme ses collègues de l'Ecole de Tunis, il a puisé dans les mêmes préoccupations picturales des orientalistes, prenant la Médina comme référence ; ce n'est qu'après son voyage en Suède qu'il changea de style ; ce séjour à l'étranger lui a fait acquérir des techniques modernes plus élaborées. Tout en étant attaché à ses racines arabo-musulmanes, les influences occidentales sur les travaux d'Ali Ben Salem étaient manifestes (notamment Matisse et Gauguin). La femme chez les peintres de l'après-indépendance L'auteur a ensuite parlé de la peinture à partir de l'indépendance de la Tunisie, disant qu'à l'ère bourguibienne, la peinture connut plusieurs expériences qui ont eu un impact considérable sur le pays. « On peut relever deux constats, a-t-il indiqué, d'abord ce conflit entre la modernisation (adaptation de l'économie du marché, unification de la législation, publication du Statut Personnel, modernisation de l'enseignement...) et l'attachement aux valeurs traditionnelles (valorisation du patrimoine national, attachement à la langue arabe, renouveau du costume traditionnel...), d'où l'on remarque un retour à des éléments aux architecturaux traditionnels et à la musique folklorique. » Se créa donc une dualité entre traditionalisme et modernisme. A cette époque, l'Etat avait la main mise sur la politique culturelle nationale et sur toutes les associations et les institutions culturelles : Zoubeir Turki, qui faisait partie de l'Ecole de Tunis, était l'exemple le plus pertinent de cette politique culturelle nationale puisqu'il occupait à l'époque le poste de chef du cabinet du ministre de la culture Habib Boularès et fut également le président de l'Union Nationale des Arts Plastiques et Graphiques. « Entre-temps, poursuit l'auteur, apparurent trois tendances picturales : la première la tendance traditionaliste affirmation de l'identité nationale, politique et culturelle, attachement à la vie traditionnelle,) Les représentants de cette tendance (Bellagha, Ben Abdallah, Gorgi...) sont issus de la petite bourgeoisie. Les thèmes les plus récurrents de leurs œuvres tournent autour de la femme traditionnelle, la femme au foyer, femme au hammam, femmes à huis clos, cérémonie de mariage, femme symbole de beauté et de désir... La deuxième, c'est la tendance éclectique qui démontre plutôt une volonté de synthèse de différents courants afin d'approcher un idéal en s'ouvrant sur la modernité et en revendiquant un art moderne et universel. Les représentants de cette tendance (Shili, Ben Mahmoud, Cheltout, Mtimet...) sont entrés en conflits avec les peintres de l'Ecole de Tunis, supposée traditionaliste. Dans cette tendance (Ben Khamsa, Megdiche, Ben Amor...), on peut voir la femme rurale et la femme moderne en dehors du foyer. Les thèmes essentiels de cette tendance sont la femme traditionnelle (travaillant la terre, femme artisane) la femme moderne (femme danseuse, musicienne...) et la femme dévorante (femmes monstres, amazones, maléfiques, bestiales..., ce qui dénote une certaine misogynie !). Enfin, la troisième tendance féministe qui était surtout représentée par les peintres qui furent le fruit d'un féminisme engagé et qui appelaient à la liberté de la femme, en exprimant leur mécontentement de la condition féminine en Tunisie, ayant pour seul souci la représentation artistique de la femme d'aujourd'hui. »