L'organisation du Salon tunisien à partir de 1894 et du début du XXème siècle va permettre à beaucoup d'artistes tunisiens d'accéder librement à l'expression artistique qui commence déjà à se séparer de l'expression orientaliste pittoresque. C'est à ce moment que les peintres tunisiens ont entamé une sorte d'évolution, même si elle est lente, vers des conceptions caractérisées par une sorte d'indépendance par rapport à la peinture de l'époque coloniale. Des conceptions qui marquent bien un certain rapport avec la culture traditionnelle. C'est ainsi que l'expérience picturale à thème populaire d'Abdelaziz Berraïs, d'Abdelwahab Jilani (Abdule), de Hadi Khayachi, de Yahia Turki, d'Aly Ben Salem et d'Ammar Farhat va constituer le premier sursaut qui va préparer l'éclosion d'une peinture plus authentique. Ces expériences constituent la première rupture de la peinture tunisienne par rapport à la peinture orientaliste (imagerie figée) et la première envie d'intégrations de la vie sociale comme élément de base dans l'œuvre d'art. Elles restent cependant peu "éloquente" du développement ultérieur de la peinture tunisienne contemporaine. Les peintres tunisiens ont peu développé d'autres techniques d'expressions. La période d'entre deux guerres va permettre à plusieurs peintres tunisiens de s'engager dans une pratique nouvelle de l'art de la peinture laquelle prépare la naissance d'une nouvelle approche artistique. C'est le cas de Yahia Turki, d'Aly Ben Salem et de Hatem El Mekki qui ont apporté au mouvement artistique, par leurs démarches particulièrement sensibles aux audaces de la technique, le talent multiforme penché vers la recherche et l'expérimentation. Hatem El Mekki a développé durant une longue carrière, une peinture éclectique, charriant à chaque fois des idées nouvelles et des styles nouveaux intégrant toutes les contradictions et tous les paradoxes. C'est un peintre qui n'a jamais fait référence dans son travail à la figuration académique ou orientaliste. Il est le dernier des pionniers et le doyen des artistes tunisiens qui a apporté au mouvement artistique la verve d'un talent multiforme, orienté vers la recherche et l'expérimentation. Dans la période d'après guerre on peut voir les critères de ce nouvel esprit dans ses travaux qui refusent de souscrire à l'esprit communautaire en art et donnent la primauté au rêve individuel. Vers la fin des années cinquante, d'autres artistes comme Mahmoud Sehili et Nejib Belkhouja rejoignent Hatem El Mekki dans cette attitude et deviennent les principaux amateurs d'un courant contestataire qui s'est prolongé jusqu'aux années 80, cherchant la liberté de l'artiste, dans une sorte d'engagement social ou politique, d'aspiration à l'universel et plus tard, de redéfinition du cadre de quête de l'identité. La période de l'Ecole de Tunis La période de l'Ecole de Tunis dont les membres continuent à exiger l'expression d'un art tunisien original, permet la naissance d'un esprit nouveau qui met en valeur l'idée de l'appartenance culturelle en se basant d'une part sur les thèmes d'inspiration populaire et d'autre part sur l'image idéalisée de la réalité. Parmi les artistes qui appartiennent à cette période, je cite a priori Yahia Turki et Ammar Farhat qui ont favorisé l'apparition de cet esprit nouveau par leurs travaux très marquants. La posture fixe introduit une qualité expressive silencieuse propre à la peinture naïve. Yahia tout en s'impliquant dans la peinture orientaliste, introduit une note de fraîcheur propre à la peinture autodidacte. Il constitue une première rupture par rapport à l'iconographie traditionnelle de l'orientalisme. Sa peinture intègre les thèmes traditionnels d'une manière effective et non formelle. Il développe une peinture orientaliste mais qui subit une rupture au niveau de la vision (elle n'est pas folklorique) et ses thèmes marquent déjà son engagement dans la mise en valeur de la tradition. Dans ses autres tableaux qu'ils soient à Paris ou à Sfax ou ailleurs, il présente au niveau structurel la même composition (premier plan, deuxième plan, troisième plan) en peignant la place de la Concorde de Paris, le port de Sfax ou la rue de la Médina. Elle est toujours une composition orientaliste mais différente de celle des orientalistes puisqu'elle est plus vive et dénote d'un nouveau lien que le peintre développe avec son milieu surtout urbain. La représentation où le peintre traque la présence de la quotidienneté dans ces villes à Tunis ou ailleurs est simple. Sa peinture se développera toujours dans le cadre de la figuration mais d'une figuration nouvelle. Parmi les peintres ayant marqué cette période on peut citer: Jalal Ben Abdallah(1921) qui, dans ses œuvres, a exprimé son attachement aux valeurs traditionnelles par l'utilisation multiple des éléments décoratifs tels que des objets finement ouvragés, des meubles anciens, des tissus de valeur et de qualité, objets ouvragés, etc. Abdelaziz Gorgi (1928), qui au début de sa carrière, a exprimé son attachement à la tradition d'une manière dont on peut dire très formaliste, rejoignant la miniature musulmane alors qu'aux années soixante une nouvelle démarche et un nouveau vouloir marque son parcours artistique résultant d'un profond désir d'explorer l'univers cocasse cherchant l'âme populaire avec ses fantasmes et ses obsessions. On ne fera pas l'impasse sur l'expérience de Brahim Dahak (1931), ce peintre au style puissant travaillant sur divers thèmes tels que « Souffle narratif » de la « Geste Hilalienne ». Sans oublier l'expérience de la seule femme du groupe Safia Farhat (1924) qui s'est distinguée par ses compositions très charpentées où s'interprète des thèmes de la vie traditionnelle par un graphisme puissant. Mais peut être l'exemple le plus frappant de tous les artistes de l'Ecole de Tunis reste toujours Zoubeir Turki (1924) surtout par ses compositions où la figure humaine domine. Il est sans doute le peintre le plus populaire qui rend toujours compte de la richesse de toute une société avec ses coutumes, ses personnages, sa manière de voir et de penser les choses, etc. Tout un inventaire varié d'approches allant d'une simple illustration vers des propositions subjectives entretenant un vague lien avec la réalité. C'est à cet égard que, progressivement, le goût pour la nouvelle figuration est né chez les artistes tunisiens arrivant même aux degrés d'une inspiration figurative libre. Malgré qu'ils se soient engagés tardivement dans le champ de la création contemporaine, où, à travers le monde, des artistes de tout bord et de tous pays, s'emploient à renouveler les langages artistiques en libérant l'œuvre de son statut de produit fini et extérieur à l'acte qui l'engendre. Passer en revue, les péripéties du développement de l'art en Tunisie en relation avec la figuration a été long, harassant mais passionnant. Nous avons découvert que la figuration a revêtue à chaque fois, à chaque péripétie qu'elle revête une forme particulière spécifique. La figuration grâce à la multiplicité de ses manifestations et de ses étapes, n'a jamais réellement disparue comme perspective expressive des hommes en Tunisie et ceci depuis le néolithique le plus ancien (depuis 12 000 avant JC) jusqu'à nos jours. Aujourd'hui et malgré les évanouissements passagers dans notre histoire, la figuration réaffirme sa présence et continue surtout sa promesse d'avenir. La figuration a été tantôt symbolique, tantôt allusive, tantôt réaliste ou même schématique, cela dépendait du rapport que l'homme se faisait avec le monde. C'est pour cela que le changement subit par ces rapports détermine les différentes manières de représenter ce monde. Une sorte de conquête de l'homme pour saisir et s'approprier son destin. Le fourmillement actuel des formules et des approches picturales animent la scène artistique tunisienne. Il n'enlève en rien à l'importance de la figuration artistique et va jusqu'à réaffirmer l'ancrage profond de la figuration en général dans notre réalité historique, sociale et culturelle et ceci malgré toutes les formes d'iconoclasme développées par les forces obscures. Les formules nombreuses d'art plastique contemporaines comme celle des expériences les plus osées de la peinture du hasard, de la projection gestuelle de peinture ou des collages, de la calligraphie arabe ressuscitée de celle du vide pictural, veulent toutes se débarrasser pour raison d'esthétisme moderniste de la figure. La figuration résiste à tous les appels des sirènes pour garder l'espoir d'une figuration porteuse d'humanisme. La figuration artistique, synonyme d'éternité est au-delà de toutes les esthétiques surtout contemporaines. Même oubliée pendant des siècles elle ressurgit comme une naissance, comme un cycle nouveau de la figure, de l'image et l'art ne peut plus exister sans image, sans figure.