Torture ou pas torture, telle est la question qui divise actuellement et met à mal le ministère de la Justice et la Direction générale des prisons et de la rééducation (DGPR). A l'origine de cette polémique, les accusations portées par la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) envers l'unité nocturne de surveillance à la prison des femmes de la Manouba pour violence, maltraitance et torture récurrentes des détenues. Des accusations très graves qui ont aussitôt amené Omar Mansour, ministre de la Justice, à effectuer, dès dimanche, une visite inopinée à cet établissement pénitentiaire pour s'enquérir de cette affaire et tenter de démêler le vrai du faux. Tout a commencé samedi 7 mai lorsque la Ligue tunisienne des droits de l'Homme a présenté, lors d'une conférence de presse, son rapport actualisé sur l'état des prisons en Tunisie. Planchant sur le sujet depuis des années, la LTDH se rend de manière régulière dans les établissements pénitentiaires et recueille les confidences des détenus lors d'entretiens individuels. Dans son rapport, la Ligue dénonce la surpopulation dans les prisons, leur insalubrité, la vétusté des installations, les conditions d'hygiène approximatives et la propagation de certaines maladies. Plus alarmant encore, la LTDH dénonce des cas récurrents de violence et de maltraitance dans certains établissements pénitentiaires dont celui pour femmes de la Manouba, unique prison féminine en Tunisie. A ce propos, Maître Ayoub Ghedamsi, avocat et membre de la Ligue, a déclaré que l'unité de surveillance nocturne dans cette prison s'adonnait régulièrement et en toute impunité, à divers actes de violence envers les détenues. L'homme affirme d'ailleurs que les traces de maltraitance et de torture sont encore bien visibles sur les corps de certaines prisonnières. De même, cette « unité dite de la terreur » porterait souvent des accusations infondées, dont d'homosexualité, aux détenues les exposant ainsi à des peines d'emprisonnement supplémentaires. Outre les faits, la Ligue dénonce l'impunité dont jouit la responsable de cette unité nocturne qui n'a jamais été inquiétée et le silence de l'administration pénitentiaire face à ces graves dépassements et à ces récurrentes violations des droits de l'Homme et de la dignité humaine. Visite inopinée Face à ces accusations, le ministre de la Justice, accompagné du directeur de la DGPR, s'est rendu dès le lendemain à la prison pour femmes de la Manouba et s'est entretenu avec sa directrice et plusieurs responsables. Il a également inspecté les différentes cellules et s'est entretenu avec des détenues. A l'issue de sa visite, le ministre a réfuté l'existence d'actes de torture et de violence systématiques envers les prisonnières tout en ne niant pas la possibilité de réactions violentes de la part de responsables sécuritaires lors de certains incidents dont des disputes entres détenues. La directrice de la prison a, pour sa part, affirmé que cet établissement pénitentiaire était régi par un code de loi strict qui punit tout abus et acte de violence et a rappelé que des ONG et des médias visitent régulièrement les lieux et peuvent s'enquérir à tout moment du respect ou non des lois dans cet établissement. Elle a ainsi déclaré : « les détenues ne sont pas des anges et nous non plus. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elles ne sont pas victimes d'une unité de surveillance qui les harcèle et agresse de manière systématique et récurrente. Si cela avait été le cas, cela se serait su depuis longtemps. ». Réfutant également ces allégations de torture, le directeur de la DGPR a révélé que la prison pour femmes de la Manouba est équipée de 36 caméras et que les enregistrements vidéo du mois dernier allaient être confiés au ministre de la Justice qui chargera un technicien de les visionner et de rendre un rapport par la suite pour y décrire tout ce qui se passe dans l'enceinte de cette prison, de jour comme de nuit. Stop à l'impunité ! A l'heure où ces lignes sont rédigées, la LTDH n'a pas encore souhaité réagir aux déclarations du ministre de la Justice et des responsables des établissements pénitentiaires. Toujours est-il qu'une plainte a été déposée par cette entité contre l'unité nocturne de surveillance à la prison pour femmes de la Manouba. Certes, le ministre de la Justice a montré patte blanche et a fait preuve d'une réactivité louable en se rendant dès le lendemain à ladite prison et en s'entretenant avec les détenues et en affirmant que tout dépassement sera puni. Mais, encore faudrait-il que cette affaire ne soit pas noyée dans un verre d'eau et reléguée aux oubliettes. Encerclées de caméras et de micros et intimidées par la présence du ministre et de celui du personnel pénitentiaire, les détenues n'ont peut-être pas osé livrer toute la vérité à propos des maltraitances auxquelles elles sont sujettes au sein de la prison. Le ministre de la Justice qui appelle depuis un bon moment à la réforme du système carcéral en Tunisie devrait accorder toute son attention à cette affaire et accorder un entretien aux représentants de la LTDH pour qu'ils lui exposent les faits et qu'ils étayent leurs propos de preuves. Si elles sont avérées, ces pratiques brutales et dégradantes pourraient porter un sacré coup à l'image de la Tunisie dans le monde, la Tunisie qui s'est engagée depuis la révolution à respecter pleinement les Droits de l'Homme, tous citoyens confondus et à en faire une priorité absolue. Mais au delà des faits qui doivent cesser s'ils sont confirmés, il faut surtout mettre fin à l'impunité dont jouissent certains responsables qui, forts de leur statut, se permettent tous types d'abus et de dépassements.