Plus de quinze jours se sont écoulés depuis le début du mois saint de Ramadan avec leur lot de longues journées de jeûne, de courtes veillées festives, de surconsommation alimentaire, de nerfs tendus et de bien d'autres détails si caractéristiques de ce mois. Mais que serait Ramadan sans son raz-de-marée de spots publicitaires et surtout sa pléthore de programmes télévisés ramadanesques? Trois grands thèmes incontournables: la cuisine, la religion et le divertissement. Si les programmes religieux et les émissions culinaires n'ont pas connu de réel succès côté audience, les sitcoms et les feuilletons ont fait couler, cette année encore, beaucoup d'encre et ont suscité, pour la plupart, de nombreux propos acerbes et de virulentes critiques de la part de ceux qui continuent pourtant à les suivre avec assiduité chaque soir. Mais qu'en est-il de la caméra cachée, émission phare du Ramadan ? C'est en 1948, aux Etats-Unis, que le producteur et réalisateur américain Allen Funt a lancé la première caméra cachée de l'histoire de la télévision. Son émission à l'époque s'intitulait « Candid Camera ». Le but étant de piéger des personnes anonymes en les exposant à des situations loufoques et d'observer leurs réactions, souvent drôles, le tout dans la joie et la bonne humeur. Depuis, le concept s'est exporté un peu partout dans le monde et s'est développé, évoluant au fil du temps et adoptant d'autres formats, toujours basés sur le rire. En Tunisie, qui dit caméra cachée, dit Raouf Kouka. L'homme à la moustache a, en effet, connu ses heures de gloire et régalé les téléspectateurs tunisiens en produisant, durant plusieurs années, ce type d'émissions au cours desquelles il piégeait des citoyens lambda mais aussi des célébrités. Mais depuis quelques années, de nouveaux concepts sont apparus du type « Al Zelzel », « Attayara », « Taxi », « Attemseh», « L'otage » et « Braquage » simulant un tremblement de terre, un kidnapping, l'atterrissage forcé d'un avion, une attaque à main armée ou encore mettant les personnes piégées face-à-face avec un crocodile. Des caméras cachées d'un nouveau genre avec pour principaux invités des stars. Si certaines émissions étaient amusantes, d'autres n'ont pas su convaincre et pire encore, ont suscité la colère des téléspectateurs par la violence de certaines scènes ou encore par des concepts banalisant le banditisme ou encore le terrorisme. La HAICA, Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, a d'ailleurs sévi à maintes reprises pour demander la déprogrammation de certaines caméras cachées du prime-time, l'ajout d'un avertissement à l'attention des téléspectateurs, avant la diffusion de chaque épisode et l'addition d'une mention visible «interdit aux moins de 12 ans» tout au long de l'émission. Cette année, un programme télévisé à mi-chemin entre la caméra cachée et l'interview politique était également dans le collimateur de la HAICA. Il s'agit de « Allo Jeddah » présentée par Mekki Helal et diffusée sur Attessiaa. L'idée étant de faire croire aux invités, en majorité des politiciens et militants de la société civile, que l'ancien président Ben Ali intervenait en direct au cours de l'émission via Skype. Censée être drôle et humoristique, cette émission n'a fait rire personne. Elle a plutôt créé une polémique et suscité l'indignation d'une large frange de téléspectateurs. Partant de la théorie du complot, certains ont même considéré qu'il s'agissait là d'un premier pas vers le retour en force du dictateur. Une plainte a, par ailleurs, été déposée auprès de la HAICA demandant l'arrêt de diffusion de ce programme. En vain! Au 8ème jour de Ramadan, l'émission raflait 25,1% de taux d'audience mais il est semble-il qu'elle perd, jour après jour, de son essence et de son mordant. Souriez, vous êtes terrorisés ! Si en Tunisie, la caméra cachée n'est plus ce qu'elle était et ne fait plus rire les téléspectateurs à gorge déployée, sous d'autres cieux, du moins arabes, la situation ne semble pas meilleure. En Arabie Saoudite par exemple, pays rigoriste par excellence et où l'humour n'est pas toujours bien accepté, une caméra cachée, produite par un collectif d'humoristes, a mis en scène un faux chauffeur de taxi qui annonce aux passagers qu'il est en route pour se faire exploser et qu'ils seront les premières victimes de son attentat suicide. Si le concept de l'émission semble choquant, l'équipe du projet assure que ses intentions sont « éducatives ». D'après leurs dires, l'objectif est de prouver que le terrorisme effraie tout le monde, y compris les Musulmans. En Egypte, une caméra cachée, diffusée durant ce Ramada, fait aussi polémique. Des artistes sont conviés à une maison pour y rencontrer du monde quand des individus à l'allure de jihadistes, déboulent, brandissant des armes lourdes et l'étendard noir de l'Etat Islamique. Les personnalités sont mises à rude épreuve, terrorisées, contraintes de jurer obédience à cette organisation terroriste mais aussi d'avouer un meurtre qu'elles n'ont pas commis ou encore de porter une ceinture explosive, le tout au rythme des hurlements et des balles tirées en l'air. Un calvaire qui dure près de 20 minutes et qui se termine trop souvent en larmes et en cris. Le titre de cette catastrophe télévisée? Mini Daech ! Si les producteurs persistent à dire que le but de cette émission est de montrer le patriotisme des Egyptiens, le député égyptien Mustafa Bakri, estime que ces programmes « nuisent à la réputation de la société égyptienne, banalisent les actes criminels et font la promotion de Daech. » En Palestine, une télévision gazaouie a diffusé une caméra cachée montrant deux acteurs déguisés en Israéliens déambulant dans les rues de Gaza. Souvent insultés, parfois battus et d'autres fois moqués, les deux comédiens ne sont pas passés inaperçus et n'ont laissé personne indifférent. Le jihad, le sang, la violence, la peur, le règlement de comptes politique pour faire rire. Quelles idées saugrenues ! Alors qu'elles sont censées être légères et hilarantes, la plupart des nouvelles caméras cachées choquent, énervent, scandalisent mais ne divertissent point. Certains diront qu'elles sont à l'image de notre présent sombre, grave et morose. Elles traduisent un mal-être général et évoquent, avec un certain décalage des réalités amères. Certes, notre passé semble désormais si loin, totalement incomparable à notre présent. Notre quotidien est indéniablement métamorphosé, incluant de nouvelles donnes telles que les dissensions politiques, le malaise social, le terrorisme, l'enrôlement des jeunes... Oui mais, peut-on rire de tout ?!