Par Abdelhamid GMATI La Haïca (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) a entamé ses travaux et donné suite aux protestations et plaintes du public et de certaines organisations de la société civile concernant des émissions télévisuelles diffusées au cours de ce mois de Ramadan. Notre journal, dans son édition de mardi dernier, a donné un compte rendu de cette intervention. En cause les émissions «Errahina» (L'otage) proposée par la chaîne publique Watania 1, et «Braquage» sur la chaîne privée Nessma TV. On reproche à ces «caméras cachées» des séquences violentes et choquantes. Une mise en garde avait été adressée aux deux chaînes quelques jours auparavant avant que les premiers responsables soient auditionnés et présentent leurs points de vue. D'abord à quoi rimait cette mise en garde, ces émissions ayant été enregistrées et mises en boîte bien avant Ramadan ? C'est-à-dire qu'on ne pouvait y changer grand-chose à part arrêter leur diffusion. La Haica a quand même obtenu que l'on diffuse des insertions avertissant le public sensible et les enfants et qu'on renonce aux rediffusions. Soit. Mais elle n'a pas pu obtenir le décalage des diffusions à une heure tardive au lieu du prime time actuel. Là, l'argument des contrats avec les sponsors et les annonceurs a joué. Mais il n'y a pas seulement ces deux émissions : «Zelzel» (Tremblement de terre) sur Ettounsia TV, de la même catégorie, suscite aussi des réticences et des protestations. A l'origine, cette série de «caméra cachée», concept venu d'ailleurs comme c'est souvent le cas dans nos chaînes, avait obtenu beaucoup de succès car axée sur le rire et le divertissement. Il s'agissait de mettre des personnes dans des situations invraisemblables mais anodines et de filmer leurs réactions à leur insu. Ces personnes ne découvrent leur participation qu'après coup mais la diffusion des images tournées nécessite leur consentement. Mais il semble que l'on ait dépassé ce concept du divertissement pour verser dans des situations dramatiques telles que créées par ces prises d'otages, ces braquages et ces tremblements de terre. Que peut-on attendre d'une personne qui se trouve à son insu dans une telle situation de violence et de drame ? Son comportement va lui être dicté par son instinct de survie et elle va chercher à fuir et à se protéger. La peur et la panique de quelqu'un se sentant en danger suscitent-elles le rire ? Il faudrait avoir une sacrée dose de méchanceté et de sadisme pour rire du malheur d'autrui. On nous dit que dans la série «Zelzel», seul un imam connu et apprécié a été courageux et a gardé son sang-froid. Est-ce bien sûr ? Cet honorable imam s'est seulement réfugié dans la prière, cachant sa peur en implorant Dieu et, peut-être, lui demandant pardon d'avoir cédé à son ego en participant à l'émission. Se pose alors la question : que recherche-t-on en guettant les réactions d'un homme politique ou d'un artiste connu mis en situation dangereuse et violente ? En tout cas, le rire n'est pas évident. Par contre, si l'on cherche à les ridiculiser, à les tourner en bourrique (en tunisien on dirait «kardouhom»), le but est atteint. A-t-on pensé aux conséquences de ces émotions violentes ? Un artiste a éclaté en sanglots tandis qu'un autre, souffrant d'hypertension artérielle, a gardé le lit pendant deux jours pour retrouver un rythme normal de vie. On serait curieux de savoir si les «piégés» ont donné leur consentement à la diffusion des images qui les concernent. De même, on ne serait pas surpris d'apprendre que l'un des invités a porté plainte et demandé réparation pour les préjudices physique, émotionnel et psychologique subis, sans parler d'atteinte à son image. On peut penser ce que l'on veut d'un homme politique ou d'un artiste, l'apprécier ou le détester, le critiquer ou le louanger, chacun a droit à son opinion; mais tous ont droit au respect, et une télévision ne peut décemment pas ridiculiser ces personnalités. Bien entendu, il n'est pas question de censure ou de mettre un frein à la liberté d'expression et de création. Mais comme en toute liberté, il faut tenir compte de celle de l'autre. La Haïca n'est certainement pas là pour censurer, interdire ou freiner les libertés audiovisuelles. Mais il est indispensable de respecter le public et les invités; d'où une sorte de code de conduite, adopté par consensus, avec l'approbation de tous les concernés, alliant responsabilité, professionnalisme et déontologie. On est tous d'accord sur cela et profondément opposés à la censure. Mais pour ce faire, un petit coup de main, une sorte d'encouragement, pourrait être nécessaire. Puisque les promoteurs de ce genre d'émissions semblent très sensibles à l'argent et aux contrats juteux, une jolie amende bien conséquente les encouragerait à tenir compte des répercussions de leurs travaux. Car la caméra cachée, c'est juste pour rire.