La situation des biens culturels a été critique pendant les cinq dernières années... Qu'en est-il aujourd'hui ? Il nous a été donné de relever très tôt, au début de 2011 les agressions subies par notre patrimoine foncier doublement protégé par nos propres lois et par celles de l'UNESCO... Vingt-deux ha du parc archéologique de Carthage – Sidi Bou Saïd furent déclassés et vendus à la promotion immobilière pour des sommes dérisoires. L'opération a été réalisée pour le bénéfice du régime déchu et de la « famille », facilitée par des responsables du patrimoine dont un seulement a été incriminé et légèrement condamné. Ce dossier n'est pas prêt à être clos. Depuis, des œuvres ont disparus à Carthage... en pleine exposition. L'autre dossier qui a attiré notre attention a été celui de l'occupation illicite de la zone archéologique de Sabra Al-Mansouriya et de la construction sauvage de maisons d'habitation nombreuses. D'autres régions de Tunisie connaissent le même problème. Qui arrêtera ces pratiques ? Nous avons, également, entamé le dossier des trafiquants animant le trafic illicite des biens culturels mais nous avons, alors, limité notre approche à la lutte des clans qui a dominé depuis les années 90, le marché illicite des biens archéologiques et qui a abouti à l'élimination du clan de Hammamet et de la victoire du clan de la « famille ». Aujourd'hui, nous voulons faire le point de la situation de ce trafic des biens culturels qui a sévi jusqu'au 14 janvier 2011 et qui a continué depuis sous d'autres formes. Plusieurs événements après 2011 ont eu lieu. Le trafic continue à sévir. Des fouilles clandestines ont bien été effectuées, des œuvres d'art ont continué à disparaître ou pour celles qui ont été reconnues, comme « fausses » à intégrer le Fonds national d'arts plastiques. Aucune enquête ne fut ordonnée. L'inventaire des fonds n'a jamais été entamé. Pourquoi ? Des séminaires furent organisés en Tunisie pour définir les moyens pour lutter contre le trafic des biens culturels. Ils ont établi en outre sous forme de recommandations une ligne de conduite et de mesures pour réduire totalement ce trafic dévastateur ou au moins, en limiter les aspects les plus dangereux. Les conclusions auxquelles ont abouti ces séminaires sont importantes et ont conclu : 1 Le trafic des biens culturels : un mal international Tous les pays du monde sont affectés par le trafic illicite des biens culturels. Les pays les plus développés sont une destination du commerce illicite des biens culturels. Mais, ils en sont aussi les victimes. Le dernier vol d'œuvres d'art survenu au musée d'art moderne de Paris illustre le phénomène. Cet incident n'est ni le premier ni le dernier de ce genre. Le trafic de biens culturels occupe le troisième rang d'activités mondiales illicites, selon l'ICOM-ICOMOS il vient après le trafic des stupéfiants et des armes. Le Monde arabe a connu à plusieurs reprises depuis le 19ème siècle, des situations où son patrimoine a été spolié, cambriolé. Les vestiges de l'Egypte pharaonique et musulmane en ont subi les frais... la Jordanie, la Syrie et l'Irak ont également souffert de ces rapines. Dernièrement, le patrimoine irakien, l'un des plus anciens dans le monde (8000 ans avant J.C 1800 après J.C), rassemblé au musée d'Irak à Bagdad. Ce musée s'est vu pillé et la grande partie de ses collections, cambriolée lors de la guerre (2003) subie par l'Irak et son patrimoine. La Syrie et son patrimoine subissent aujourd'hui, le même sort. 2 Le trafic des biens culturels en Tunisie : En Tunisie, le cambriolage a commencé aussi, très tôt. L'un des meilleurs exemples concerne la fameuse inscription libyco-punique de Dougga (l'antique Thugga), volé après le bombardement du Mausolée dans laquelle elle était logée et ceci en 1842, déjà extraite du mausolée. L'inscription a été retrouvée exposée au British Museum où elle séjourne depuis. La Tunisie peut-elle récupérer son bien culturel, son histoire et sa mémoire ? Ou va-t-on négliger de le faire. De nombreuses pièces archéologiques tunisiennes ont quitté le pays et se trouvent dans des collections des musées européens ou autres. Récemment encore et après le 14 janvier 2011, dans les demeures de gens les plus en vue du régime déchu, on a trouvé des pièces archéologiques appartenant aux réserves de Ksar Saïd. Comment ces pièces ont-elles été acquises ? Aucun rapport, aucune réponse ne viennent enregistrer ces disparitions ! Selon les premières indications, il semblerait que des responsables du patrimoine hauts placés ont trempé dans le trafic et ceci bien avant le 14 janvier. Les musées nationaux ou régionaux tunisiens et leurs réserves ne sont pas les seuls locaux qui abritent des biens culturels. Il existe, en effet, beaucoup d'autres lieux qui abritent les biens culturels qui ne font pas partie des collections muséales mais qui ont été objet de vol et de trafic illicite et de fouilles clandestines désastreuses pour le patrimoine. 3 Les arts plastiques : le drame ! Au niveau des arts plastiques et étant donné l'inexistence du Musée d'art moderne et contemporain c'est le fonds national des arts plastiques de Ksar Saïd qui a subi apparemment des préjudices car sinon où sont passées les centaines d'œuvres qui ont disparu tout au long de ces dernières années et plus particulièrement pendant les années 90 et début des années 2000. Nous pensons, en particulier, aux peintures de l'époque beylicale et coloniale et même postcoloniale détenues par des organismes publics qui ont subi le vol ou le trafic. L'inventaire et les commissions d'enquête et de recherche de la vérité diront ce qui s'est passé... à condition que l'inventaire se fasse et que l'enquête soit diligentée... ; ce qui n'a pas été fait jusqu'à nos jours. Mais ce sont les œuvres détenues par les antiquaires connus ou des collectionneurs discrets et par des amateurs nombreux qui animent le marché de l'art et qui deviennent ainsi objet de commerce. Beaucoup d'œuvres ont quitté le pays sans aucune autre forme de procès... sans déclaration aucune. De nouveaux venus à l'art, collectionneurs nouveaux, ou, peut être novices, qui ont été initiés par des « spécialistes ». Toutes les collections amassées par « la famille », furent cambriolées le 14 janvier et les jours suivants par des « connaisseurs » de peinture à l'affût. Le voleur a été en somme, lui-même volé. Qui se chargera de récupérer pour le compte de l'Etat ces œuvres doublement mal acquises chez les collectionneurs de la Marsa du côté de Gammarth. Quelquefois, à défaut de pouvoir satisfaire des demandes pressantes en peinture orientaliste ou néorientaliste, très appréciée ou en peinture de l'école de Tunis.... Certaines officines fabriquent alors des faux qu'on intègre comme authentiques dans le marché de l'art en passant par l'authentification frauduleuse délivrée par les salles de vente parisiennes. Qui oserait remettre en question une authentification délivrée par une salle de vente authentiquement parisienne ? Combien de faux tableaux ont été « glissés » dans nos collections publiques ou privées (voir dossier réalisé par nous-mêmes pour la revue Réalité, en 2004, 2005). C'est ainsi que des tableaux de Roubtzoff, de Yahia Turki, de Ammar Farhat de Lellouche et d'autres encore furent imités et servies comme des œuvres authentiques. Des œuvres de Ali Ben Salem, facilement imitables, continuent à affluer... de Suède.... A Sidi Bou Saïd !! La collection du Fonds national d'arts plastiques, riche en œuvres et très ancienne (elle a commencé à être fournie dès 1894), n'est pas encore inventoriée. Elle est l'objet de convoitises diverses. Le Fonds national d'arts plastiques (le FNAP) de Ksar Saïd n'est pas structuré. Il ne possède pas de statuts ni de budget. Il est sous contrôle théorique de la direction des Arts plastiques mais ne possède pas d'organisation autonome juridique et encore moins de gestion. A quand sa création ? Le Musée d'art moderne et contemporain existe en projet mais n'a pas encore de statuts juridiques. Il n'existe donc pas encore. Pourquoi ne pas lancer sa création aujourd'hui pour éviter les pertes de temps et les précipitations de dernière minute. Cette création, aujourd'hui, permettra au Musée de former les cadres dont il aura besoin dans quelques temps, cette formation de restaurateurs, de conservateurs, de gestionnaires est urgente. Les musées régionaux d'arts plastiques pourront aussi profiter de ces fonctions. Encore faut-il les projeter juridiquement. Les arts plastiques sont propices aux animateurs mobilisateurs mais ne peuvent être efficaces que lorsqu'ils possèdent des structures muséales autour desquelles les arts plastiques se développent... durablement. Les actions éphémères sont momentanées et provisoires. Elles sont nécessaires... mais elles deviendraient efficaces, si elles bénéficiaient d'un développement qui dure : Nous recommandons, en outre : De rendre impossible les crimes contre le patrimoine et renforcer la sécurité des sites, musées, réserves et fonds en améliorant quantitativement et qualitativement le gardiennage en instaurant une surveillance électronique efficace en liaison avec les services du ministère de l'Intérieur. L'élaboration d'une meilleure réglementation du commerce des biens culturels en vue de mieux les protéger et à en réglementer les expositions surtout celles d'arts plastiques modernes et contemporaines. Le ministère de la Culture devrait lancer la création d'un comité d'experts (archéologiques, numismates, gramologues, historiens de l'art) qui sera chargé de coordonner la lutte avec la brigade archéologique et de la douane pour endiguer les actions illicites contre notre patrimoine.