Dirigé par Hédi Khelil, l'ouvrage "50 ans de cinéma tunisien" réunit les notes critiques et les témoignages d'une trentaine d'auteurs qui rendent compte de l'aventure du septième art en Tunisie. Depuis les temps héroïques des premières oeuvres aux derniers films réalisés, cet ouvrage de 600 pages est une véritable somme. A lire comme une madeleine proustienne qui ferait renaitre les frémissements du cinéma... Le Centre national du cinéma et de l'image (CNCI) vient de publier un ouvrage de référence sur le cinéma tunisien, cinquante ans après la production du film "L'Aube" de Omar Khlifi. Réalisé sous la direction de l'universitaire et critique Hédi Khelil, cet ouvrage bilingue de plus de 600 pages comprend un grand nombre d'articles de différents auteurs et une somme d'illustrations qui reflètent ces cinquante années de cinéma. Pour faire renaitre les vertus de l'écriture et de la critique Comme le souligne l'éditeur dans son prière d'insérer, "cette publication ne comporte pas seulement des lectures de films, mais s'intéresse aussi aux différents aspects relatifs au secteur du cinéma en Tunisie". De fait, plusieurs articles concernent les associations cinématographiques, les questions de la production et de la distribution ou encore celles relatives à la formation et la critique cinématographique. L'ouvrage s'ouvre par un éditorial de Fethi Kharrat, directeur général du CNCI. Ce texte introductif est intitulé "Pour que renaissent les vertus de l'écriture et de la réflexion sur le cinéma tunisien" et annonce la publication prochaine d'une série de livres grâce auxquels le CNCI souhaite combler "le vide criard qui caractérise le domaine de l'écriture et de la réflexion sur le cinéma tunisien". Ce texte de Fethi Kharrat introduit aussi bien la partie arabe de l'ouvrage que sa partie en langue française. Ensuite, un second texte introduit le propos de l'ouvrage et ses principales articulations. Tout en insistant sur le fait que l'ouvrage ne prétend pas à l'exhaustivité, cette introduction établit un état des lieux et revient sur quelques publications antérieures. Les textes composant l'ouvrage viennent ensuite et se déploient selon des chapitres qui sont au nombre de neuf pour la partie arabe et de quatorze pour la partie française. Une trentaine d'auteurs ont participé à la rédaction de cet ouvrage inaugural des collections du CNCI. Hédi Khelil, auquel il convient d'attribuer le mérite de ce travail, réalise avec cet ouvrage dont il a dirigé la conception et la mise en oeuvre, un tour de force: celui de laisser la parole à des subjectivités tout en parvenant à dégager de cette mosaïque de voix une architecture fidèle aux évolutions du cinéma tunisien de ces cinquante dernières années. Les films essentiels et les oeuvres pionnières Témoignages, analyses et regards rétrospectifs se conjuguent pour dérouler un demi-siècle de cinéma sous les yeux du lecteur. De la période épique de la fondation à l'essor du mouvement des ciné-clubs, le décor est en quelque sorte posé pour relater la longue marche du septième art en Tunisie. Les films pionniers, les salles de cinéma, la critique ou les questions relatives à la production complètent le tableau avant de laisser la place à la lecture et au décryptage des oeuvres. La section arabe s'achève sur les problématiques contemporaines du cinéma tunisien non sans avoir envisagé tous les paramètres de compréhension de l'évolution de la production filmique tunisienne. La partie en langue française obéit globalement à la même structure qui mène aux lectures de films. Toutefois, le processus qui commande le développement des quatorze chapitres est différent. Cette section s'ouvre par une réflexion sur les images de Bourguiba et celles du cinéaste Abdelwahab Bouden qui témoigne de son rapport au cinéma à partir de son vécu à Kairouan dans les années soixante. L'ouvrage se poursuit avec la recherche de films fondateurs et de films singuliers puis plonge dans la lecture de films mis en regard avec l'histoire, la beauté, la laideur ou la marginalité. Enfin, un panorama du cinéma tunisien ferme cette section qui comprend aussi des chapitres sur les salles de cinéma, la production, la formation, le montage ou la critique. De plus, un chapitre est consacré aux documentaires et deux autres - et non des moindres - aux témoignages de Mouna Noureddine et Hend Sabri à propos des cinéastes avec lesquels elles ont tourné. Un éloge de la complexité L'ouvrage est littéralement inépuisable et une brève note de lecture ne saurait en rendre la complexité. Tel un kaléidoscope, "50 ans de cinéma" traverse deux siècles et témoigne sans les habituels arsenaux de dates et de références. C'est là ce qui fonde le caractère unique de ce livre, écho d'une trentaine d'auteurs qui, à aucun instant, ne se départissent de leur subjectivité, tout en parvenant à rendre un tableau d'ensemble inscrit dans les dynamiques et le mouvement et non pas dans la sécheresse des statistiques et des recensions. Ce livre se lit, se regarde, se feuillète, se consulte. On y trouve une multitude de grains de sable qui ensemble font la saga du cinéma tunisien. On y retrouve aussi la fluidité de la pensée de Hédi Khelil et l'originalité de sa démarche critique. On y retrouve également les plumes de Mohamed Moumen, Ikbal Zalila ou Kamel Ben Ouanès en regard de celles de Nejib Ayed, Hassen Alileche ou Youssef Bahri. Un ouvrage qui honore le CNCI et donne un cap exigeant à la politique éditoriale de cette institution qui, non contente de donner une assise nouvelle au cinéma tunisien, remet avec ce livre la notion du sens au coeur du débat.