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Entretien avec le Pr Jay R. Ritter (Florida University, USA): La malléabilité de l'emploi, l'innovation et l'ouverture sur l'investissement, atouts de la Tunisie pour créer des richesses
Jay R. Ritter a enseigné, depuis 1996, au Joseph B. Cordell Eminent Scholar, puis a occupé un poste au ministère des Finances, et à l'Université de Floride. Il a donné des cours de finance d'entreprise au niveau du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat. Le professeur Ritter est connu pour son travail sur la formation initiale de l'offre publique. Au cours de 2014-2015, il a occupé le poste de président de « Financial Management Association ». Leader académique sur le marché des actions nouvellement émises, il a déjà enseigné aux facultés de l'Université de Wharton School de Pennsylvanie, de l'Université du Michigan, de l'Université de l'Illinois et à la Sloan School of Management du MIT. Il a eu son doctorat en 1981 et des diplômes en économie et en finance de l'Université de Chicago. Nous avons eu l'entretien suivant avec ce financier de renommée internationale Question : Que pensez-vous de la récente chute des cours du pétrole ? À votre avis les prix vont-ils continuer à baisser ? JRR : Les prix du pétrole ont connu récemment d'impressionnantes fluctuations, mais celles-ci ne sont pas dues au hasard. Grâce à l'examen des différentes forces économiques à l'œuvre, nous comprenons que derrière la récente chute des cours du pétrole se cache un accroissement de l'offre de pétrole non classique sur fond de ralentissement de la croissance de la demande mondiale. Lorsque la demande s'est accrue ces dernières années, l'offre n'a pas pu suivre d'emblée. Au lieu de cela, les prix ont grimpé, ce qui a encouragé l'exploration, l'innovation en matière de technologies d'extraction et les investissements dans de nouvelles installations. Au fil du temps, ces activités ont donné lieu à une réponse démesurée de l'offre, ce qui a poussé les prix à la baisse. À l'échelle mondiale, le repli des prix du pétrole est avantageux. S'il en découle de nouvelles sources d'approvisionnement, il répand les bienfaits d'un choc favorable. Mais s'il résulte en partie d'une croissance à la baisse de la demande, il atténue l'effet d'un choc négatif. Sans surprise, la baisse des prix du pétrole profite aux consommateurs et nuit aux producteurs. Aux yeux des premiers, une diminution de prix s'apparente à une réduction d'impôt. Les effets positifs se répercuteront sur l'économie de deux manières : premièrement, les consommateurs disposeront d'un revenu disponible accru, qu'ils pourront dépenser en biens et services, et deuxièmement, la baisse des cours réduira les coûts des intrants et favorisera la production dans des secteurs hors pétrole, surtout les secteurs de l'énergie. D'autres économies, grandes importatrices nettes de pétrole, comme la Chine, le Japon et l'Europe, verront aussi leur croissance économique s'accélérer. Toutefois, le fléchissement des prix du pétrole nuit clairement aux économies émergentes exportatrices de pétrole. Certains de ces pays qui ont tablé sur des prix élevés du pétrole pour équilibrer leur budget, pourraient subir des tensions financières. En effet, le marché financier prédit que la récente baisse est en grande partie temporaire, cela dit, les prix pourraient diminuer encore ou rester bas pendant un certain temps, jusqu'à ce que ces forces à moyen terme agissent effectivement. Question : Est-ce que vous confirmez que la crise financière de 2008 est entrée dans l'histoire ? JRR : La crise financière initiée en 2007 en Amérique trouve son origine dans le dégonflement des bulles économiques et par les pertes importantes des établissements financiers provoquées par la crise des subprimes. Elle s'est accentuée en septembre 2008 avec la faillite de plusieurs établissements financiers (Lehmen Brothers, ,Bear Stearns,…) provoquant un début de crise systémique et la mise en difficulté de plusieurs Etats (Amérique, Europe, Asie…). Elle a entraîné comme conséquence une chute des cours des marchés boursiers et une crise économique ce qui a provoqué un ralentissement généralisé de l'activité économique, voire des récessions dans plusieurs pays qui a conduit ensuite à un ralentissement du commerce international, à une hausse du chômage et à une baisse des prix des produits de base. Question : Que pensez-vous de la relation entre les BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine) ? JRR : Parmi les cinq pays composant les BRICs, quatre sont considérés comme les grandes puissances émergentes actuelles dont les principaux sont le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. L'économie de la Russie reste défaillante avec une exportation basée principalement sur les matières premières et sur l'industrie de l'armement. La croissance économique en Russie reste pourtant modeste et sa présence au sein des BRICs serait donc assez artificielle et relèverait plus d'aspects géopolitiques qu'économiques, étant donné que l'économie de la Russie, bien que croissante, n'a pas eu beaucoup en commun avec le dynamisme spectaculairement effréné qui caractérise les autres membres du groupe. La Russie pourrait être beaucoup plus riche, mais la corruption retient l'économie. Il sera donc nécessaire de passer par une série de réformes internes profondes, notamment une meilleure transparence économique. Le Brésil, comme la Russie, souffre de la chute des prix des matières premières, dont il est un grand exportateur, ainsi que de la corruption. La Chine et la Russie gaspillent trop d'argent sur leurs forces armées. L'Inde se développe, mais reste bien en deçà de son potentiel en raison du manque d'infrastructures et de main d'œuvre qualifiée, avec les lois et les législations du travail qui visent à protéger les travailleurs mais qui découragent les entreprises à les embaucher. La pollution en Inde infecte aussi comme en Chine. Question : Est-ce que vous partagez l'avis de certains économistes qui disent que les BRICs sont une source d'opportunités d'extension à l'étranger et une économie prometteuse pour l'investissement ? JRR: Chaque pays doit se demander « Dans quoi sommes-nous bon ?» La Tunisie dispose d'un bon emplacement à proximité de l'Europe, et un bon climat pour l'agriculture. Mais elle souffre du même problème que la Turquie, c'est le « piège du revenu intermédiaire ». Bien qu'il est préférable d'avoir un revenu intermédiaire que pauvre, comme l'Inde. Cependant, il est nécessaire d'établir un plan solide par les entrepreneurs afin de leur permettre de se positionner sur les marchés, avec de l'innovation qui est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Je vis en Floride qui possède une industrie touristique énorme. C'est vrai que Le tourisme crée beaucoup d'emplois à revenu intermédiaire, mais pas beaucoup d'emplois à salaire élevé. Question : Comment, selon votre point de vue, la Tunisie pourrait promouvoir son économie ? JRR: Une presse libre est nécessaire, car elle réduit la corruption, surtout que les fonctionnaires ont peur d'être exposés. Je suis impressionné par la Tunisie, dans ma première visite en Décembre dernier. Après la Tunisie, je suis allé à Paris, puis en Inde et ensuite à Istanbul. Tous ces pays, sauf l'Inde ont eu des attentats terroristes récents qui ont détourné le tourisme. La politique de la Tunisie consistant à encourager les industriels étrangers et de mettre en place des opérations pour l'exportation semble être un bon moyen de créer des emplois de bonne qualité. Je suis également conscient que la Tunisie a le taux de natalité le plus bas en Afrique, et cela est très bon pour le revenu par habitant dans le long terme. Des pays tels que l'Egypte aura du mal à créer des emplois pour tous les jeunes pour de nombreuses années à venir. Le fait que la Tunisie dispose d'un gouvernement démocratiquement élu est un autre atout. L'image internationale de la Tunisie est très positive grâce à de bonnes politiques économiques, faible taux de natalité, un gouvernement démocratiquement élu, et un islam «modéré». D'autres pays ayant un islam «modéré» comme l'Indonésie, la Malaisie et la Turquie, ont tous des niveaux de vie et des taux de croissance meilleurs que beaucoup d'autres pays voisins. Ci-dessus, j'ai mentionné que l'Inde dispose d'une législation du travail qui est anti-productive. La Tunisie peut bénéficier en permettant aux employeurs une certaine malléabilité dans la liberté d'embaucher. Taiwan est comme les Etats-Unis, où la Silicon Valley n'offrent aucune sécurité de l'emploi, mais les travailleurs reçoivent des salaires élevés parce que les employeurs se font la concurrence pour embaucher des personnes ayant de bonnes compétences, même si les entreprises ne savent pas si elles seront encore en activité quelques années plus tard ou pas. Si les travailleurs perdent leurs emplois, ils savent que quelqu'un d'autre va les embaucher.