Les deux dernières décennies ont été marquées en Tunisie, par l'invasion des grandes surfaces commerciales qui ont poussé le citoyen à davantage de consommation et de dépenses, marquant, ainsi, le début d'une nouvelle ère entre le consommateur et le commerce de distribution. Certes, auparavant, le citoyen s'était habitué à des surfaces commerciales de moindre envergure qui lui permettaient de s'approvisionner et d'acheter tout ce dont il a besoin, dans une surface commerciale, comme Monoprix et Magasin général, notamment. L'arrivée des hypermarchés est une nouveauté, en Tunisie, avec l'arrivée de Carrefour, Géant et, récemment, le Mall des berges du Lac, et cette nouvelle donne va pousser le citoyen à acheter, sans le vouloir, des produits dont la nécessité n'est pas urgente, tombant, ainsi, sous la coupe de la publicité et de l'attraction du produit exposé de belle manière et à portée de main, dans ces grandes surfaces commerciales. Certes, ces grandes surfaces commerciales dynamisent la vie économique et sociales, dans les zones d'implantation, de même qu'ils sont générateurs d'investissements et d'emploi, mais le revers de la médaille et qu'ils signent, en quelques sortes, la fin et la disparition d'un grand nombre de petits commerces, surtout au vu de la différence des prix et de la compétitivité des grandes surfaces commerciales qui cherchent, par divers moyens, à vendre toujours plus et à des prix ne pouvant être pratiqués par les petits commerçants. Toutefois, l'implantation de nouveaux hypermarchés en Tunisie semble tenter les dirigeants politiques tunisiens qui y voient un moyen de dynamiser l'emploi. A cet effet, Habib Essid, chef du gouvernement avait annoncé, en janvier dernier, à l'Assemblée des représentants du peuple, des mesures susceptibles d'absorber un certain nombre de sans emploi. Parmi ces mesures, le chef du gouvernement a affirmé avoir convenu avec l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA), de la création de cinquante mille nouveaux postes d'emploi dans les grandes surfaces et centres commerciaux ayant obtenu leurs autorisations dernièrement. Habib Essid a précisé que ces centres ne seront pas implantés, uniquement, dans la Capitale, mais qu'ils seront, aussi, mis en place dans les régions de l'Intérieur du pays. Des détails qui feront l'objet de discussions entre lui et l'UTICA. Toutefois, il est nécessaire de se demander si les mécanismes nécessaires avaient été mis en place pour que l'existence de ces grandes surfaces et leur implantation soient conformes à la législation. Interrogé sur la situation de la grande distribution et des grandes surfaces commerciales en Tunisie, M. Tarak Ben Jazia, directeur général de l'Institut national de la consommation (INC), nous a indiqué que « L'Institut national de la consommation a réalisé deux études sur l'évolution de la consommation en Tunisie. La première, réalisée en 2011, concerne « La modernisation du secteur commercial et son impact sur la consommation et les dépenses », l'objectif étant de connaître le nombre des Tunisiens qui s'approvisionnent dans les grandes surfaces, quels sont les critères des choix des consommateurs. La seconde étude concerne « Les changements des modes de consommation en Tunisie » et qui est une grande étude stratégique qui s'est étalée entre 1985 et jusqu'à 2013, pour voir ce qui a changé avec la grande distribution et si le comportant du consommateur est devenu différent avec la grande distribution Une hausse d'environ 20 % de la consommation Il s'est avéré, d'après la première étude, que la grande distribution a engendré une hausse de la consommation d'une moyenne de vingt pour cent et que le phénomène risque de s'amplifier, surtout qu'actuellement la grande distribution représente 19,5 pour cent du commerce de distribution en Tunisie. Par ailleurs, le ministère du Commerce qui est notre tutelle vient d'accorder des autorisations pour l'ouverture de 13 hypermarchés, à travers le pays, notamment à Ben Arous, Sousse, Kairouan, le Kef et Sfax. La grande distribution n'est pas à incriminer et ne doit pas être diabolisée. Tout d'abord, elle a développé et amélioré la consommation en Tunisie en offrant une gamme de produits variée et répondant aux normes de qualité et de santé. Elle est, aussi, génératrice d'investissement, d'emploi et de croissance dans les zones où s'installent les grandes surfaces commerciales. Il y à citer, dans ce sens, le cas de Bhar Lazreg qui était une zone délaissée, avant l'arrivée de l'hypermarché Carrefour et où peu de personne osent s'aventurer, alors qu'aujourd'hui, c'est une zone très fréquentée, avec une dynamique économique et sociale certaine, et où les mêmes les habitations et les lots de terrain ont été valorisés. De même, qu'on le veille ou non, la grande distribution offre des prix moins chers que les petits commerces ». Les prix des produits frais et de la viande Pour expliquer les prix comparativement élevés des produits frais et ceux des viandes rouges et blanches, dans les grandes surfaces commerciales, par rapport aux petits commerces, M. Tarak Ben Jazia souligne que, « pour les viandes rouges et blanches, ces produits sont vendus en morceaux répartis entre les parties suprêmes et les parties maigres. Il ajoute que les grandes surfaces sont des revendeurs qui s'approvisionnent chez des fournisseurs et qu'ils fixent leurs marges bénéficiaires en conséquence. Le directeur général de l'INC souligne, à ce propos, que 52 pour cent de l'économie tunisienne sont informels, alors que les grandes surfaces commerciales sont régies par une comptabilité stricte, et il faut prendre cela en considération. Pour résumer, il a expliqué que la grande distribution a, aujourd'hui, son poids qui va encore augmenter, avec de nombreux côtés bénéfiques pour le consommateur et pour l'économie du pays. En contrepartie, le secteur public doit veiller sur deux facteurs importants, le premier étant de ne pas oublier le secteur des petits commerces et veiller à instaurer des mesures de soutien, afin de ne pas laisser disparaitre le petit épicier du coin. Le ministère se penche, actuellement, sur la création du Fonds d'incitation et de soutien aux petits commerces (FISAC). L'orientation et l'idée est que ce fonds sera financé par une taxe imposée à la grande distribution et il va permettre l'octroi de crédits pour les petits commerçants, en vue de les aider à moderniser leurs outils de travail, ainsi que de créer des centrales d'achat, sous forme de sociétés, entre épiciers et petits commerçants, en vue de leur donner un plus au niveau du pouvoir de négociation des prix des produits ». Sensibiliser et éduquer le consommateur Le responsable ajoute que « l'autre élément à ne pas oublier est le consommateur qui doit être sensibilisé et éduqué aux pratiques de la grande distribution, en vue de rationaliser sa consommation et de lui éviter de tomber dans le piège des promotions qui l'attirent, mais qui le poussent, aussi, à acquérir d'autres produits dont le prix est beaucoup plus élevé. Ce qui est le cas, le plus souvent, avec ces produits en promotion qui sont connus sous la dénomination « de produits d'appel », « produits gondoles » et produits destinés aux enfants et mis à leur hauteur, et qui sont accompagnés par d'autres produits dont les prix ont été augmentés. Il est donc nécessaire que la société civile et l'Institut national de la consommation mette en garde les citoyens contre ces pratiques qui le poussent à consommer plus et à tomber dans des dépenses extravagantes pour des produits dont la nécessité n'est pas pressante ». Certes, comme dans tous les autres pays, les consommateurs tunisiens sont friands de nouveautés et de recherche de rabais, mais cela conduit, toujours, à une surconsommation et des dépenses supplémentaires que leurs bourses ne peuvent pas supporter, le plus souvent, surtout pour les salariés. Mais la situation étant ce qu'elle est, cette surconsommation de produits dont on peut, dans la plupart des cas, s'en passer, fait l'affaire des grandes surfaces commerciales qui savent, toujours, choisir le bon moment pour déclencher leurs promotions, en vue d'attirer le plus possible de clients qui ne peuvent pas faire le déplacement sans s'approvisionner de plusieurs autres produits dont les prix sont, parfois, plus élevés que d'habitude. Empêcher l'abus de la position dominante Le commun des mortels se demande, d'autre part, comment le prix d'un produit qu'il achète peut tomber jusqu'à la moitié, en période de promotions de rabais devenue courante, durant toute l'année. On s'interroge, aussi, sur la nature de ces promotions et s'il n'y a pas anguille sous roche, au niveau des comptabilités de ces grandes surfaces commerciales. A ce propos, M. Ben Jazia explique que « le commerce de distribution est régi par une loi qui ne laisse lien au hasard et qui définit les relations commerciales entre les grandes surfaces au niveau de ce qu'on appelle ‘‘les marges arrières'' entre le fournisseur et ces espaces commerciaux. A titre d'exemple et selon cette loi de 2009, le paiement des factures ne doit pas dépasser les 30 jours pour les produits alimentaires et 90 jours pour l'ameublement et l'électroménager, afin d'éliminer toute possibilité d'abus de position dominante ou d'exploitation de la fragilité du fournisseur, mais l'intervention ne se passe que sur la base d'une plainte et d'un procès-verbal. Dans le cas contraire, le conseil de la concurrence ou l'administration ne peut pas intervenir. Par ailleurs, toute opération dans le cadre du partenariat doit faire l'objet d'une facturation indépendante, pour éliminer toute possibilité de troc, au niveau de l'exposition, des insertions publicitaires ou autres opérations ». Quels contrôles pour quels résultats ? Toutefois, à ce niveau, le pouvoir et l'envergure acquis par les grandes surfaces commerciales laisse craindre un abus de leur position dominante pour acculer les fournisseurs et les producteurs à un bradage des prix, pour pouvoir écouler leurs produits aux dépens d'autres similaires. Cet état de fait est difficile à cerner, surtout que les fournisseurs, dans la crainte d'être délaissés par les grandes surfaces, ne trouvent plus le moyen d'écouler leurs produits de la meilleure manière et qu'ils sont acculés à accepter les conditions de ces clients beaucoup plus forts et influents qu'eux. Le contrôle de ces situations sont donc difficiles et personnes ne se plaint, surtout que le consommateur en profite le plus. Mais, le client est, parfois, estomaqué devant la différence de prix d'une grande surface à l'autre, comme si la marge bénéficiaire n'est pas la même pour tous ou si le fournisseur brade sa marchandise chez certains, alors qu'il la vend au prix courant pour d'autres. Et, à ce niveau d'aucun se demande s'il y a un contrôle économique de l'autorité de tutelle sur ces commerces de grande envergure et craint des dérapages, au niveau des prix des produits de grande consommation, ce qui n'est pas le cas, jusqu'à maintenant. Toutefois, le consommateur se rabat sur les grandes surfaces commerciales où il est certain de trouver des produits de qualité certaine, répondant aux normes de sécurité et de santé, présentés de manière attirante et, souvent, moins chers que dans les petits commerces.