Pour imposer le mutisme sur certaines affaires La « justice » déclare la guerre aux journalistes * Prêts à tous les combats, même en payant le prix fort, et personne ne pourra nous faire taire, pour que VIVE LA TUNISIE Les Tunisiens ont bataillé dur pour avoir droit à une information crédible, honnête et transparente, bien que la langue de bois des responsables politiques et des magistrats a toujours cours, sous divers prétexte. En parallèle, la liberté d'expression et d'opinion qui est le seul acquis palpable de cette Révolution qui n'en est pas une, fait face, aussi bien au diktat des pouvoirs publics qu'à certains journalistes véreux qui vendent leur âme au diable pour une poignée de dinars. Toutefois, les journalistes honnêtes ont démontré, de tous temps, qu'ils sont capables de faire face à toutes les exactions et toutes les décisions restrictives, pour crier haut et fort, la vérité. Neuf ans après le renversement du régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali, il semble que le pays est revenu à la case départ, avec les tentatives de mainmise sur les organes de presse, souvent dirigés par des « hommes d'affaires » soucieux uniquement de se faire de l'argent, et les restrictions de plus en plus dévoilées de faire taire la presse qui gêne et qui cherche la vérité, pour donner une information digne de ce nom à l'opinion publique. Les révélations sur les dernières « affaires » semblent ne pas être du goût des décideurs et des lobbies extrémistes, affairistes et mangeurs aux râteliers de certaines parties qui ont beaucoup de choses à se reprocher, mais qui cherchent à poursuivre leurs basses besognes, dans l'impunité la plus totale. Aujourd'hui, la presse et les médias gênent de belle manière les visées de ceux qui ne pensent qu'à leur intérêt personnel, à partir du président de la République qui ne rate aucune occasion de faire allusion à cette liberté de la presse qui ne lui plait pas. Et voilà, maintenant, que la justice et ses magistrats s'en mêlent pour faire obstruction à la montée de ce journalisme d'investigation qui déballe toutes les vérités crues, sans prendre en considération ce que veulent les corrompus et les malfrats. Un journalisme qui embête… Depuis la Révolution, trop d'affaires ont gardé leurs secrets, à commencer par les assassinats de Lotfi Naguedh, ceux de Chokri Belaïd et Haj Mohamed Brahmi, de l'Imam de la Cité El Khadhra, rien que pour citer ces meurtres politiques. Il y a, aussi, l'affaire de la fuite du fameux Abou Iyadh, le chef extrémiste de la mosquée El Fath à Tunis, celles de l'attaque de l'ambassade américaine, des extrémistes « qui font du sport au mont Chambi », jusqu'à celles de l'organisme secret d'Ennahdha et du vol de documents au sein même du ministère de l'Intérieur. Sans oublier, aussi, ces membres de la famille de l'ancien dictateur qui continuent à diriger des affaires dans le pays. Parler de l'équité de la justice doit faire honte aux magistrats pervertis qui font honte à la profession et il n'est pas étonnant que les magouilles vont se poursuivre, pour porter secours aux partis et aux personnes auxquels ils ont fait allégeance. Ainsi, contre toute attente, le juge d'instruction du dixième bureau du tribunal de première instance de Tunis a rendu jeudi deux décisions interdisant l'émission télévisée « Les quatre vérités » sur la chaîne privée Al Hiwar Ettounsi portant sur la mort de plusieurs nouveau-nés dans une maternité à Tunis et la rediffusion du programme « 50-50 » de la chaine privée « Carthage + » sur la même affaire. Les décisions d'interdiction de diffusion sont motivées par le fait que le traitement médiatique dans l'instruction en cours dans cette affaire sans autorisation préalable aurait pour effet de nuire au secret de l'instruction, enfreint les principes de la confidentialité de l'enquête pénale et constituerait une ingérence dans le cours de la justice et serait contraire aux dispositions de l'article 109 de la Constitution qui interdit toute ingérence dans la justice. Cela revient à dire que les magistrats chargés de l'enquête n'ont rien fait de bon et qu'ils cherchent à cacher la vérité, surtout que les deux émissions sont le produits de journalistes d'investigation qui connaissent les règles du jeu et ne peuvent d'aucune manière dans la marche de la justice. Il suffit de donner l'exemple du travail accompli par Balloumi (Les quatre vérités) concernant l'école coranique extrémiste de Régueb, pour donner la preuve que ce journaliste avait fait montre d'un grand professionnalisme et qu'il n'a d'aucune manière interféré dans le cours de l'instruction. Mais, peut-être que, là-aussi, les magistrats ont cherché à cacher quelques vérités qui gênent. D'ailleurs, le manque d'informations sur les résultats de cette enquête en dit long sur ce qui se passe dans le pays, avec les luttes d'influence. Des décisions choquantes Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) s'est déclaré « choqué » par la décision de suspendre une partie du programme des « quatre vérités » par le juge d'instruction. Il a estimé que cela constituait « un dangereux précédent qui compromettrait les acquis de la liberté d'expression et de la presse après la révolution et présage du retour de la tyrannie, de la mise au pas et de l'instrumentalisation de la justice au service du pouvoir exécutif ». Le SNJT affirme que « la décision était une violation explicite de la Constitution de 2014 qui stipule dans son chapitre 31 que « la liberté d'opinion, d'expression, de média et de publication est garantie et qu'on ne peut pas exercer un contrôle préalable sur ces libertés ». Le syndicat a indiqué que l'interdiction de la rediffusion de l'émission 50/50 sur Carthage +, « n'était qu'une couverture d'une décision politique visant à empêcher le débat sur une affaire d'opinion publique que l'autorité cherchait à masquer, à en contrôler les détails et à empêcher les médias de s'acquitter de leur rôle d'enquête et de supervision, ce qui renforce les soupçons sur les causes réelles du drame de la mort des nourrissons ». Le syndicat a appelé tous les journalistes et les institutions médiatiques « à ne pas se soumettre aux tentatives visant à mettre au pas les médias et à les ramener à la tyrannie afin de pouvoir jouer leur rôle naturel en éclairant l'opinion publique ». Il a appelé toutes les composantes de l'autorité judiciaire « à se conformer à la loi avec neutralité et indépendance et à ne se soumettre à aucun diktat qui affaiblirait la confiance des citoyens aspirant à une justice indépendante qui œuvre à la défense des droits et des libertés, au premier rang desquels la liberté d'expression et de la presse ». Une presse libre et indépendante fait partie des aspirations d'une opinion publique atterrée et meurtrie par les multiples affaires qui n'ont pas été élucidées, et qui ne demande qu'à connaître la vérité et notre travail de journaliste nous impose de faire notre travail de la meilleure manière possible, malgré les aléas et les obstacles. Nous avions su le faire, même sous la dictature de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali, et nous continuerons à le faire, même aux dépens de notre confort personnel et familial, et rien ne peut nous empêcher de poursuivre sur la même voie. Certains cherchent à diaboliser les journalistes, mais si on compte quelques véreux qui ne sont pas, souvent, que des arrivistes, notre profession qui n'est pas un métier nous impose de tout expliquer et de tout argumenter pour convaincre et dévoiler ceux qui sont en train de faire du mal au pays. Servir notre pays est notre devoir et notre conviction et nous sommes, dans notre majorité écrasante, prêts à en payer le prix. Faouzi SNOUSSI