Comme pour la température, l'écart entre le thermomètre des baisses d'impôts et le ressenti des Français peut varier. Les promesses des semaines passées laissent les contribuables incrédules Les milliards d'euros en faveur du pouvoir d'achat des Français virevoltent depuis six mois. Dix, dix-sept, trente milliards d'euros… Qui dit mieux ? Les estimations du tournant keynésien du quinquennat varient du simple au triple selon les horizons de temps, et entre vraies augmentations de dépenses, baisses d'impôts, gel de prélèvements. Décryptage. Huit cent cinquante euros de plus cette année pour les ménages selon l'OFCE, 17 milliards d'euros selon le gouvernement, jusqu'à une trentaine de milliards d'euros d'ici la fin du quinquennat selon plusieurs économistes. Difficile de s'y retrouver dans le chiffrage des mesures post Gilets jaunes. Les Français n'y croient d'ailleurs pas beaucoup. Selon un sondage Elabe pour Les Echos, Radio Classique et l'Institut Montaigne réalisé début mai, deux tiers des contribuables ne jugeaient « pas crédible » la baisse d'impôt sur le revenu annoncée quinze jours plus tôt par Emmanuel Macron. Incrédules, les Français ont aussi le moral dans les chaussettes. Après avoir touché un plus bas depuis 2014 en fin d'année, leur niveau de confiance dans l'avenir, en dépit des efforts de l'exécutif et de la baisse du chômage, reste aujourd'hui encore sous sa moyenne historique. Alors qui croire ? Tout est question de perspectives. Pour Jean Pisani-Ferry, qui dirigea le programme d'Emmanuel Macron durant la campagne, les mesures qui ont suivi la crise des Gilets jaunes représenteront « une petite trentaine de milliards d'euros en 2021 ». Pour Patrick Artus, ce sera un point de PIB de pouvoir d'achat supplémentaire, soit environ 24 milliards d'euros, dès l'année 2020. Tous les deux prennent en compte les 11 milliards d'euros de mesures d'urgence économique et sociale votées en décembre, qui contiennent des hausses réelles de dépenses comme l'augmentation de la prime d'activité, mais aussi des non-augmentations d'impôts. En l'occurrence 4 milliards d'euros de gel de la taxe carbone en 2019 et jusqu'à 8,5 milliards d'euros en 2021. Cette « non-hausse » peut-elle être considérée comme un renforcement du pouvoir d'achat ? La question se pose. « Tout dépend de la trajectoire budgétaire de départ, défend Patrick Artus. On ne peut pas ne pas le prendre en compte si l'on veut calculer le coût des mesures Gilets jaunes ». « Si l'on veut calculer l'impact des mesures sur la croissance, peut-être. Mais c'est un gain virtuel pour les Français, qui ne les toucheront jamais, répond la directrice de l'iFrap, Agnès Verdier-Molinié, qui vient de rédiger une note sur le pouvoir d'achat. Ce sont des chiffres à manipuler avec précautions, au risque de faire grandir l'incompréhension de nos concitoyens ». A ces 11 milliards d'euros s'ajoutent la baisse d'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros et la réindexation des retraites de moins de 2 000 euros (1,4 milliard) annoncés par Emmanuel Macron lors desa conférence de presse du 25 avril. Des mesures qui interviendront en 2020. Ensuite les calculs divergent entre les deux économistes. Patrick Artus comptabilise par exemple la troisième tranche desuppression la taxe d'habitation (3 milliards) quand Jean Pisani-Ferry inclut la suppression totale de la taxe d'habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés (6 à 7 milliards d'euros supplémentaires), mais qui n'arrivera pas avant la fin du quinquennat et « en plusieurs fois » a précisé Edouard Philippe la semaine dernière. Au final, les méthodes ne sont pas tout à fait les mêmes. Artus calcule la variation des gains de pouvoir d'achat d'une année sur l'autre, quand Pisani-Ferry calcule le différentiel par rapport à la situation avant la crise des Gilets jaunes. Gérald Darmanin a été plus modeste fin avril quand il a fallu calculer la facture finale des Gilets jaunes. Le ministre de l'Action et des Comptes publics a avancé le chiffre de 17 milliards d'euros. Ce montant comprend les mesures votées en décembre : le gel de la taxe carbone pour 4 milliards ; 3 milliards d'euros de défiscalisation des heures supplémentaires ; 2,5 milliards d'euros issus de renforcement de la prime d'activité pour les salariés entre 0,5 et 1,8 smic et son élargissement de 3,8 millions à 5 millions de foyers, ainsi que la division par deux du nombre de retraités touchés par la hausse de la CSG (de 60 % à 30 %) qui coûtera 1,3 milliard d'euros aux caisses de l'Etat. S'ajoutent à cela la baisse de l'impôt sur le revenu dont on attend toujours les modalités d'application et la ré-indexation des retraites, pour un coût total de 6,4 milliards d'euros. Ces 17 milliards sont à étaler entre 2019 et 2020. Par contre, le chiffrage de Bercy ne prend pas en compte la suppression de la taxe d'habitation pour laquelle on pourrait rajouter plus de 6 milliards de baisses d'impôts en 2019 et 2020. Mais qu'en est-il pour cette année ? Début mai, Edouard Philippe a évoqué la somme de 10 milliards d'euros. C'est en effet le montant inscrit dans le dernier programme de stabilité de Bercy. Après avoir augmenté de 0,8 % en 2017 et 0,7 % et 2018, « le pouvoir d'achat moyen par habitant va progresser de plus de 2 % en 2019 », a assuré le Premier ministre, ce qui serait la plus forte augmentation « depuis douze ans ». Oui mais voilà. Si ces 10 milliards d'euros existent bien dans les livres de comptabilité de Bercy, ce n'est pas la somme qui reviendra effectivement dans la poche des Français. Le rapporteur du budget à l'Assemblée nationale, le député LREM Joël Giraud, a relevé que si « le calcul du gouvernement est conforme aux principes de la comptabilité nationale, ces chiffres doivent être retraités pour neutraliser certaines opérations […] afin d'avoir une vision consolidée de l'évolution des prélèvements obligatoires depuis le début de la législature. » Une fois remis à plat le grand bonneteau fiscal orchestré par Emmanuel Macron depuis son élection, on constate qu'une partie de la baisse d'impôt affichée pour 2019 – 4 milliards d'euros tout de même – s'explique par la hausse de la CSG en 2018 (!). « Au global, la mesure est neutre », constate Joël Giraud. Cette année, la baisse d'impôt serait donc plutôt de 5,7 milliards d'euros selon les calculs de l'Assemblée. « C'est sans compter la baisse de la CSG pour les retraités de moins de 2 000 euros alors que l'on maintient les baisses de charges », souligne avec justesse Patrick Artus. Le gain grimpe alors à 7,1 milliards d'euros. Pas sûr que les Français s'y retrouvent dans toutes ces projections désincarnées. Seule certitude, comme le résume Jean Pisani-Ferry, « c'est quand même un gros paquet d'argent». L'opinion