Lors d'un séminaire relatif à la crise économique mondiale, «l'Expert» a profité de la présence de Monsieur Eric Pichet pour donner plus d'informations à ses lecteurs à propos de ce sujet. Eric PICHET, diplômé d'HEC (1985), de l'Ecole supérieure de Guerre (1987) exerce les fonctions suivantes: Professeur de finances à Reims Management School et directeur du mastère spécialisé (3ème cycle) en Analyse Financière Internationale. Professeur d'Economie à Bordeaux Ecole de management (depuis 1993) et directeur de l'IMPI (Institut du Management du Patrimoine et de l'Immobilier), mastère spécialisé (3ème cycle) en gestion de patrimoine. Professeur de finances au Centre de formation à l'Analyse financière de la SFAF (Paris) depuis 1990. Auteur d'une vingtaine de livres d'Economie, de finance de marché et gestion de patrimoine. Ses publications universitaires portent sur le Gouvernement d'entreprise dans les grandes sociétés cotées (thèse de doctorat en cours sur le thème): la gestion de l'Etat, les marchés immobiliers, les modes d'imposition et la richesse des nations. Membre de la Société Française des Analystes Financiers (SFAF), membre de l'Institut Français des Administrateurs (IFA).
L'Expert: Quelles sont les causes principales de cette crise et les solutions à prendre pour y remédier? M. Pichet:Le séminaire (durée comprise entre 4h et 6h) que j'assure depuis début octobre 2008 sur la crise traite de sa nature, de ses causes, de ses conséquences (sur l'économie, sur les entreprises et sur les sociétés contemporaines), et étudie les remèdes proposés pour terminer sur une réflexion sur le type de capitalisme dans lequel nous entrons (sera-t-il oui ou non différent de ce que nous avons connu et comment?). La meilleure métaphore pour comprendre la nature de la crise (financière d'abord, puis économique et enfin dans ses dimensions politiques sociales et éthiques) est probablement la métaphore épidémiologique: un virus qui a attaqué un organisme sain (le capitalisme du début du XXIème), mais fatigué par des excès de différentes sortes depuis au moins une dizaine d'années. Le virus (dit des subprimes pour simplifier) d'ampleur relativement limité (environ 200 à 300 milliards de dollars, soit à peu près une année de bénéfices du système financier américain d'avant la crise) a contaminé l'ensemble du système financier mondial en 2008 (en entraînant une destruction de valeur de l'ordre de 25.000 milliards $ fin 2008) d'autant plus facilement qu'il est né aux Etats-Unis, le cœur du système. Le séminaire analyse le processus de contamination du virus du système financier, puis la transformation de la crise financière en crise économique mondiale. Cette crise financière est une crise centennale qui a de nombreux points communs avec la crise de 1907 (plus qu'avec celle de 1929). L'analyse montre en quoi les banques centrales ont réagi correctement (par des mesures conventionnelles puis non-conventionnelles, mais à partir d'un schéma théorique, d'une histoire et d'un diagnostic différent pour la Fed et la BCE), étudie ensuite les réponses des Etats à la lumière des réponses des crises précédentes. On montre enfin pourquoi le capitalisme sortira renforcer (et sans doute différent) de cette crise.
L'Expert: Ces donneurs de leçons que sont les grands financiers et les majors de l'audit ont été responsables de la crise financière internationale en voulant imposer un code unique et universel de gouvernance. Ne pensez-vous pas que ces modèles universalistes «tous terrains» doivent être contrôlés par le recours à des codes spécifiques pour chaque pays? M. Pichet:Je ne crois pas que la cause principale de la crise soit liée à la volonté d'imposer un code unique et universel de gouvernance. La question des causes de la crise mérite une analyse approfondie mais on peut la résumer à 4 éléments: au manque de liquidité aux Etats-Unis, un excès d'endettement des ménages, mais aussi des entreprises, des banques et des collectivités locales aux Etats-Unis et ailleurs, un manque de régulation, et un excès d'arrogance lié à des modes de rémunérations excessives sur fond éternel de cupidité.
L'Expert : Chercher la croissance par n'importe quel moyen et à n'importe quel prix ne signifie-t-il par la déshumanisation de la pensée économique, alors que l'objectif fondamental de toute économie est le bien-être humain? M. Pichet:Très bonne question, on s'est focalisé sur la manière d'obtenir une croissance toujours plus forte (notamment des capitaux investis dans les entreprises) en oubliant la question du sens. Pourquoi la croissance ? Cette question revient maintenant comme à chaque crise, c'est le bon côté des crises que d'inciter à la réflexion.
L'Expert : L'économétrie est-elle encore indispensable pour avoir une bonne gouvernance après les déboires de tous les spécialistes du calcul économique qui nous ont valu la crise financière internationale? M. Pichet:La crise a clairement montré les limites des modèles mathématiques appliqués à la finance, c'est probablement la fin de nombreux 3ème cycles spécialisés dans la modélisation financière et dans le trading… Leurs étudiants devront se reconvertir.
L'Expert : De quel droit les pays industrialisés peuvent-ils se prévaloir du titre de juges de la bonne gouvernance après avoir entraîné le monde dans cette crise? M. Pichet:Si les préceptes de bonne gouvernance à appliquer dans les pays industrialisés avaient effectivement été appliqués, la crise n'aurait sans doute pas eu lieu… Les principes de bonne gouvernance des pays industrialisés ne sont pas en cause, c'est leur application dans les pays industrialisés (ou plutôt leur non-application) qui est, à mon sens, en cause.