«Ne pas confondre le monde et sa représentation afin de séparer les choses du bruit qu'elles font !» a rappelé Prof. Dr. Eric PICHET, lors d'un séminaire tenu récemment à Tunis avec la collaboration de l'Institut des Hautes Etudes à Tunis et traitant du thème de la crise financière, ses causes et ses répercussions sur l'environnement économique des entreprises. Ce séminaire a proposé une analyse de la crise financière actuelle qui a débuté en juillet 2007 avec la fermeture de deux fonds de BEAR STEARNS et qui a probablement connu un premier pic paroxystique au cours de la semaine folle du 15 Septembre.
Diagnostic et causes de la crise Ouvrant le séminaire, le Professeur Eric a signalé que le capitalisme a toujours connu des bulles et des crises financières depuis le système de Law au krach de 1929. Les ingrédients sont toujours les mêmes : des liquidités, une régulation inadaptée et la cupidité et l'arrogance des acteurs. Cette crise fut d'origine financière survenue après une période d'innovation financière avec la naissance des trusts (l'ancêtre des hedge funds) et des sociétés d'investissement cotées et non cotées qui utilisaient alors l'effet de levier du crédit. Caractérisée par une société financière endettée, une absence totale de régulation des trusts, une panique des épargnants, cette crise a été déclenchée par le phénomène des subprimes ! Ce crédit prime est caractérisé par un emprunteur qui ne respecte pas les conditions bancaires classiques. Un emprunteur qui n'a pas suffisamment de revenus pouvait simplement déclarer qu'il a des rentrées d'argent plus élevées sans avoir besoin d'apporter pour autant des justificatifs. Ces emprunteurs dits NINJA avaient des qualités incontestables : No-Income, No-Job et No-Assist. Sur ce même front, le Professeur Eric, a annoncé que les banques américaines marquaient un grand déficit en matière d'évaluation des risques des subprimes. En effet, les années 2007 et 2008 ont marqué une hausse des défaillances sur les crédits primes. Le taux de défaut des subprimes a passé de10% en septembre 2007 à 30% en novembre 2008. De ce fait, le taux de défaut des prêts hypothécaires a passé alors de 10% en septembre 2007 à 20% fin 2007. Pour expliquer, le Professeur Eric a réaffirmé que l'évaluation du risque de défaillance des subprimes est fondée sur un historique court (15 ans de 1991-2007), période faste pour le marché immobilier. Les risques de non-paiement étaient estimés être des événements indépendants, ce qui est faux : en cas de hausse des taux et de chute de l'immobilier, de nombreux emprunteurs font défaut en même temps, ce qui a causé l'exposition des banques ou de leurs filiales aux actifs toxiques : Les banques détiennent en bilan ou hors bilan des subprime et d'autres produits toxiques (certains établissements financiers proposent à leurs clients des produits dont la description tenait sur 150 pages) qu'elles ne comprennent même pas… Les symptômes de la crise financière et son diagnostic Sur les marchés des actions, cette crise a été marquée par une forte baisse des cours des actions en 2008 : -43% pour le CAC-40 et -34% pour le Dow Jones. Sur le CAC-40 : le vendredi 24 octobre 2008 (jour anniversaire du jeudi noir du 24 octobre 1929) le CAC-40 a touché un point bas à… 2959,29 points. En outre, le Professeur Eric a noté une volatilité historique des marchés actions. L'indice Vix qui mesure la volatilité du marché actions a atteint 59,1% le 8 octobre 2008, un record historique. Le 24 octobre 2008, l'indice VIX sur le marché US atteint 80%, tandis que la volatilité moyenne des marchés actions est autour de 20%. Concernant le marché des devises, le Professeur Eric a fait remarquer que, contrairement aux scénarios apocalyptiques, le dollar ne s'est pas effondré. Bien au contraire, il a fortement monté de 1 €= 1,60 début 2008 à 1€ = 1,29 le 2 février 2009. Cette augmentation s'explique par une thermodynamique des fluides : besoin de refinancement en $, phénomène de rapatriement de dollars et les liquidations dans les fonds créent une demande pour le billet vert, le gouvernement économique de l'euro n'existe pas. Donc, le dollar joue le rôle de valeur refuge et le yen aussi plus curieusement. Dans cette orientation, le Professeur Eric a déclaré que « La panique a bloqué les artères du crédit dans le monde » « Ce n'est donc ni une crise de change ni une crise obligataire. Ce n'est pas seulement une crise boursière. C'est une crise bancaire liée aux questions de solvabilité et de liquidité. C'est une crise financière, de la finance et de la dette » a annoncé le Professeur Eric.
L'impact de la crise sur l'économie réelle Le Professeur Eric a passé en revue les répercussions et les effets néfastes de la crise à plusieurs niveaux, en l'occurrence la diminution des PIB, la récession économique et l'augmentation du nombre de chômeurs. En effet, le nombre global de chômeurs augmenterait de 20 millions fin 2009 selon Juan SOMAVIA, directeur général du BIT dans la construction, l'automobile, le tourisme, la finance, les services et l'immobilier. Le nombre de personnes vivant avec un $ par jour augmenterait de 40 millions et ceux vivant avec 2 $ par jour augmenteraient de 100 millions. Au niveau des Etats Unis, la crise financière a débuté avec le retournement du marché immobilier et a, en retour, accentué ce retournement et accentué une récession US qui se serait probablement produite. Le marché US reste le premier pays au monde avec 15 000 milliards $ de PIB pour 50 000 PIB mondial dans le monde. Mais 150 000 emplois ont été supprimés aux USA en septembre 2008, 41 000 emplois, en août, en France. Les ventes automobiles sont au plus bas aux USA depuis 16 ans en septembre 2008 ; GM et Chrysler taillent dans leurs effectifs : ils gèrent le court terme et tentent de réduire leurs dépenses, GM brûle 1 milliard de $ par mois. En outre, le Professeur Eric a rajouté que les pays émergents sont concernés de 3 manières par la crise : Leurs exportations de biens et services souffrent avec le ralentissement de l'économie mondiale. Leurs importations nettes de capitaux fléchissent, obligeant les pays qui vivent au dessus de leurs moyens à réduire leur train de vie. Les pays qui ont des dettes importantes avec le reste du monde en devises étrangères ont donc des difficultés à les rouler. Ces pays ne forment pas un ensemble homogène : la Chine et l'Inde bénéficient de la baisse des cours du pétrole par exemple. Ainsi le marché des CDS distingue bien les pays qui ont une balance des paiements déficitaires (plus de 5%), les moins déficitaires et ceux qui sont excédentaires. « On est passé d'une crise financière à une crise économique mais le retournement de cycle avait déjà eu lieu aux USA et est d'ailleurs à l'origine de la crise financière » a annoncé le Professeur Eric. Ainsi, Sur les marchés financiers, la prime de risque représente ainsi la rémunération du risque encouru ou le supplément de rendement exigé par les investisseurs pour assumer le risque de détenir des actions plutôt que des obligations assimilables du Trésor. Cette prime de risque des actions est à un pic historique. Elle a enregistré une hausse de 7% à la fin du mois d'Octobre 2008, ce qui a engendré un écart de rentabilité entre placements à risque quasi nul et les actions. En effet, la prime de risque du marché de Paris mesure l'écart entre la rentabilité anticipée des actions françaises (ou d'un échantillon significatif de valeurs) et le taux d'intérêt sans risque. Les analystes de NATIXIS calculent la prime de risque sur la base des prévisions de Bénéfice net par actions sur 3 ans et les actualisent. En mars 2003 la prime de risque était de 5,86%. En septembre 2000 de 2.81%. A titre d'exemple, le Professeur Eric a mentionné que General Electric a une valorisation a de 200 milliards $ fin octobre 2008, l'action rapporte 7% de rendement et paie un coupon de 10% à Warren BUFFET pour 3 milliards $ soit 80-90 millions $ de différence. Sa présence a aidé à lever 15-16 milliards $.
Conclusion Le Professeur Eric a signalé qu'à court terme, les taux des différentes mesures sur les différents marchés subiront un impact à ne pas négliger. Ceci a conclu que la crise financière actuelle va causer l'afflux de liquidités par les banques centrales et les différentes garanties données calment les tensions sur les marchés interbancaires. De ce fait, les taux court terme ont tendance à baisser progressivement depuis début octobre et, plus important, les flux reviennent : les volumes sont 10 fois plus importants vers le 20 octobre qu'en début octobre. De nouveau, les banques américaines prêtent aux banques européennes à plus de 3 mois ! Certes, le marché pour des crédits à plus long terme corporate revient graduellement à la vie : le 17 octobre, Llyods TSB vend pour 400 millions $ d'obligations à 10 ans, la première opération de ce type depuis le 15 septembre 2008. En plus, le Professeur Eric affirmé que c'est La fin du capitalisme anglo-saxon inégalitaire et la naissance d'un esprit d'un nouveau capitalisme de plus en plus éthique ! Une nouvelle régulation mondiale ? Dans la finance, il n'y a que quelques ilots de régulation internationale, pas de supranationalité avec une réelle autorité. Passer à une supranationalité demande le déblocage des esprits, notamment aux USA. Il est impossible d'être souverainiste et en faveur d'une régulation globale qui implique des compromis. Ainsi, deux pôles de régulations financières mondiales sont possibles : le FMI et les ministres des finances ou les banques centrales, les superviseurs et la BRI.