L'analyse financière possède son propre territoire et a inscrit ses repères. La crise l'a impactée mais ne l'a pas discréditée. L'analyse campe sur une position forte, elle devient incontournable. Objectif, création de valeur On l'a violemment chargée, pour ne pas avoir crié gare au «désastre systémique», l'analyse sort toutefois indemne de la crise. Il y a déjà longtemps, elle a gagné ses galons avec les bailleurs de fonds, les banquiers. Elle leur servait de clé de lecture de la solvabilité des clients à engagements. Elle a changé de mains, passant chez les investisseurs quand l'épargne financière est devenue abondante, et à la recherche de placements, avec une exigence de sécurité et de rendements élevés. Elle a pris du champ, depuis. En effet, elle a investi la sphère publique. Les analystes sont très écoutés en ces temps de «marchéisation» poussée où la Bourse devient une arène dominante. Ces éclaireurs, de bonne fortune, grâce aux outils de l'analyse financière, détectent les gisements de valeur dans les entreprises et font affluer les capitaux. Entreprises et investisseurs se retrouvent dans un attelage très avantageux, «gagnant-gagnant». On peut imputer aux analystes quelques «flops» de taille, tel Enron par exemple. Ils reconnaissent que la profession peut, des fois, dériver pêchant par excès de confiance. Mais ils plaident non coupables dans la spirale de «l'exubérance irrationnelle» des marchés et rejettent toute responsabilité dans le crash financier mondial. Tel est le fil directeur de l'intervention de Yann Le Fur, le samedi 14 novembre 2009 lors du séminaire organisé par l'ATAF au siège de l'IACE. Un rapport étroit avec la notation Il est l'héritier spirituel du professeur Vernummen, chef de file de l'école française de l'analyse financière. Analyste professionnel au sein d'un groupe bancaire européen, Yann Le Fur est également professeur à HEC. D'une certaine façon, il a préparé le terrain à Wassel Madani de Fitch ratings. La notation est à la fois utilisateur et source d'analyse financière et économique. A l'analyse financière, elle intègre les données conjoncturelles et les informations économiques sectorielles. Elle a en réalité une double casquette. Elle produit de l'information financière et la certifie. En effet, son échelle de notation sert de barème de pricing pour le marché. Elle, aussi, revendique sa part de création de valeur. Quand elle note une entreprise ou un pays, elle l'habilite à financer tous ses besoins à un taux donné lui évitant une surprime de risque. Il faut rappeler que le marché obligataire fait, à peu près, jeu égal avec le marché actions au plan mondial. C'est dire le poids qui repose sur les agences de notation ! Elles commandent des flux de capitaux considérables. Le métier a été écorné par la crise parce qu'il y a eu ce fameux 15 septembre 2008 et ce revirement regrettable sur la notation de «Lehmann Brothers» qui bascule de triple A à Triple C en l'espace d'un week-end. Et l'explication avancée était accablante pour la profession. Dans cette cacophonie, on entendait dire que la profession ne notait pas le risque propre du banquier mais bien l'absence d'un risque de défaut généralisé. Pourtant, le théorème Miller-Modigliani insistait bien sur le fait de la corrélation des risques mettant en valeur cette possibilité d'une propagation à profil «systémique». Enfin, la profession s'est relevée de cela et de même que le rappelait Férid Ben Brahim, président de l'ATAF, le monde a besoin de crises pour avancer. C'est peut-être une explication «lyrique» mais elle a l'avantage de constater que la profession s'est refait une santé, depuis. Créer de la valeur et la protéger Les deux orateurs ont, en bonne logique, déblayé le terrain pour Moez Joudi, qui appelait à l'intérêt de la gouvernance en complément de cette trajectoire de création de valeur. Pour Moez Joudi, professeur de finance et DG de «GOVEO» (Asset Management), la gouvernance sert de matrice à la valeur mais également de bulle de sécurité. Moez Joudi lui trouve des racines anciennes dans les textes classiques majeurs. Machiavel, grand observateur des manuvres de cour, était acquis au principe de fragmentation du pouvoir, et Montesquieu a théorisé la séparation des pouvoirs. La conscience humaine est donc réceptive à la notion de gouvernance. Mais elle perçoit mal le concept qui est regardé comme un «barbarisme». La gouvernance c'est ce qui fait que l'actionnariat et le management mettent leurs intérêts en ligne et non en posture de conflit, résume le conférencier pour faire court et juste. En l'apparence ça a l'air simple mais s'agissant d'un problème de comportement, il nécessite une mutation culturelle. La gouvernance, c'est cet équilibre délicat qu'il faut trouver entre les instances de décision et les instances de contrôle et de supervision dans la perspective de leurs intérêts bien compris. C'est ce qu'il faut pour ne pas brider l'allant des managers, qui ont parfois l'il rivé sur leurs stocks options, et ce qui est nécessaire pour ne pas «jouer» avec les intérêts des actionnaires et le devenir de l'entreprise. C'est presque toute l'opposition qu'il y a entre deux visions, l'une de court terme et par trop «intéressée» et l'autre qui privilégie le long terme et la pérennité. Et le conférencier d'appeler l'attention contre la tentation d'affichage en la matière. Il ne faut pas faire semblant, l'engagement pour la gouvernance est un acte fort mais il faut y venir. L'ennui est qu'il introduit des personnes tierces, pour superviser, hors la poigne des décisionnaires, en prise directe avec l'actionnariat. Et, ça ne manque pas d'électriser les rapports entre ces deux corps, et l'affaire se corse dans le modèle d'entreprise familiale où le patriarche fondateur est aux commandes. Toutes les commandes ! Et la tentation est grande de se comporter en potentat. Moez Joudi raconte sa déconvenue quand un chef d'entreprise, qui a refroidi ses ardeurs, lui soutenant tout de go «la gouvernance, c'est moi». Ou, ce qui est encore plus grave, le président de banque qui lui confie «j'ai nommé un bon administrateur indépendant». Là-dessus, le conférencier appelle l'attention sur l'intérêt de légiférer, juste ce qu'il faut pour introduire légalement le choix de gouvernance et la nécessité de recourir à la «soft law», c'est-à-dire la propagation des «bonnes pratiques» pour faire accepter la chose. Un débat de haute facture Ce fut un séminaire comme on les aime. L'auditoire et la tribune avaient des échanges quasi fusionnels. C'est l'assistance qui a appelé l'attention sur l'éventualité de voir l'analyse financière in-door, compte tenu de son intérêt, devenir captive des gros investisseurs et d'avoir une info financière «grand public» au rabais. C'est aussi l'assistance qui a suscité une réflexion sur la collusion qui peut parfois survenir entre analystes et investisseurs pouvant dériver vers les délits d'initiés. Le président de séance a bien été dans son rôle. Il a bien regretté que le PER reste le seul élément d'analyse pour le petit épargnant, à l'adresse de Yann Le Fur, qui a reconnu les limites de cet indicateur pour les comparaisons de moyen terme. Il a également fait observer à Moez Joudi que l'entreprise familiale a bien résisté en temps de crise et qu'en matière de gouvernance, il faut trouver le bon mixage. Et, Moez de citer que le groupe Mulliez (Hyper marché Auchan notamment) s'était distingué par sa gouvernance tout en restant de structure familiale concentrée. Nous en retenons que l'analyse financière, la notation et la gouvernance se donnent la main pour créer de la valeur, dans l'absolu. Et si toutes trois se démarquent du «propos de café de commerce», c'est bien parce qu'elles s'adossent à un savoir important qui progresse et se développe. Le message collectif était que la crise est moins grave qu'il n'y paraît. Yann Le Fur a bien soutenu que malgré la crise, le niveau de rentabilité des entreprises tout en ayant piqué du nez par rapport à 2007 est bien à un palier supérieur à 2003 ; et Wassel Manai de confirmer que 10% des entreprises ont été dégradées de par le monde. Bien que le président de séance ait laissé filer le chrono au bonheur de tous, l'on n'a pas eu le temps d'écouter les conférenciers sur les nouveaux modèles économiques des entreprises. Cette question a été débattue dans des séminaires importants tel le forum de l'ATUGE et on aurait souhaité avoir l'avis des conférenciers, pour pouvoir au moins évaluer leurs hypothèses de redémarrage des opérations de fusion-acquisitions. Un prestigieux cabinet de la place avait considéré que les groupes se reconfiguraient rapidement cédant les filiales collatérales sans grand rapport avec leur métier de base. Cette attitude était résumée par Jack Welsh qui disait «faute d'être premier ou à la limite deuxième sur un marché, autant céder la participation», ce qui laisse présager d'une reprise forte en «Merger-acquisitions».