Longtemps la société civile et, notamment, le tissu associatif ont été maintenus en dépendance par le pouvoir de Ben Ali, matériellement et moralement. Allant ainsi à l'encontre du génie propre du peuple tunisien pour qui servir l'Autre, se solidariser avec lui dans les moments difficiles est un devoir sacré. Nous l'avons vu à travers les clans de solidarité qui ont embrassé aussi bien le sud du pays, que les zones d'ombre des régions de l'ouest. La transition démocratique se retrousse les manches pour en parfaire les rouages. Longtemps, pendant des années et des années, des âmes charitables, les unes au nom des vertus théologales, d'autres par simple amour du prochain, convaincues de porter le bonheur dans les zones d'ombre du pays, ont fait la queue dans les bureaux de poste et d'autres lieux de collecte, ouvrant leurs bourses pour un fonds de solidarité nationale, appelé 26-26. Des gens de toutes les tranches de la société, de toutes les catégories sociales et de toutes les générations ont défilé, persuadés que le responsable de ce fonds ne pouvait que faire partie de la noble race des philanthropes. Ils ne pouvaient en douter, les pauvres gens, la télévision étant omniprésente, afin d'exhiber à toute la nation compatissante les bienfaits du formidable élan de solidarité. Le maître d'œuvre encouragé par cette réussite n'hésita pas à poursuivre en si bon chemin puisqu'il ne tarda pas à proposer à toute la planète un projet similaire cette fois-ci à l'échelle non plus nationale mais à l'échelle mondiale. Vibrante de reconnaissance l'ONU l'adopta par un tonnerre d'ovations. Cependant que chez nous routes, logements, écoles, centres de soins et d'autres bienfaisantes réalisations escaladaient les monts pourchassant sans relâche le facteur pathogène de la misère. Du moins voila ce que nous montrait, alors, notre brave TV. Avec l'avènement du 14 janvier, le peuple apprenait, interloqué, scandalisé, qu'une grande partie de l'argent récolté était allé garnir le gousset vorace de certaines personnes. Une odieuse arnaque donc qui a fait frémir la société civile dans sa totalité. Une société qui, malgré ces horribles déboires, a retrouvé très vite sa fibre solidaire, compatissante envers ses frères d'indigence, de précarité, de mal-être, de mal-vivre, sur un fond de désespérance.
Une pure démagogie Nous avons là deux moments qui rendent compte de la différence qui existe entre les deux approches de l'humain, celle de l'ère Ben Ali et celle de la transition démocratique. Bien que le président déchu ne cessât d'affirmer que la société civile est considérée comme étant un acteur essentiel et un puissant vecteur de modernité et de progrès, celle-ci, a été en réalité fortement lésée dans son action. Les associations n'ont jamais bénéficié de cette indépendance d'esprit qui était censée leur permettre de satisfaire, dans la quiétude, aux objectifs de leurs nobles missions. La société civile avait besoin pour agir d'un climat de liberté, d'un cadre législatif favorable à son épanouissement. Or, il n'en fut rien! Un appareil répressif s'était en effet, abattu sur les quelques associations qui avaient éclos pendant l'ère bourguibienne. Un pouvoir omniprésent passait son temps à leur chercher la petite bête, au lieu de leur accorder son appui qui ferait du tissu associatif un complément agissant dans la promotion des droits de l'Homme, l'établissement d'une justice bienveillante et d'un développement socioéconomique solidaire. Tous credos que le pouvoir s'enorgueillissait de prôner et de concrétiser, mais bien entendu sans le faire réellement. C'était de la pure démagogie, car Ben Ali n'avait de cesse d'instrumentaliser les associations pour renforcer sa mainmise étouffante sur la société. Un exemple parmi tant d'autres: l'Association tunisienne des mères (ATM) avait pour raison d'être de servir la mère tunisienne, cette personne qui porte avec abnégation sur ses épaules le destin de nos enfants. Or qu'a-t-on constaté? L'ATM était devenue un organe de dithyrambe à l'adresse de l'ex-président, chantant les immenses «services» qu'il aurait rendus au pays. Il y a des centaines d'autres exemples dans l'arène associative. Pas un congrès ou séminaire ne s'était terminé sans qu'un message de vibrante reconnaissance n'ait été envoyé à Ben Ali et, dans les dernières années de son règne à son épouse, véritable gage de soumission et d'aveugle obéissance. Tout comme pour la Constitution et pour toutes les décisions majeures qui régissent la vie sociopolitique du pays, la loi des associations de 1959 a subi des révisions qui permettaient de renforcer «un contrôle arbitraire et abusif de l'Etat à toutes les étapes de la vie d'une association», au point que l'ambition d'édifier un partenariat englobant le développement régional, la politique de l'emploi, la stratégie de la femme, la dynamique culturelle, etc. et visant à la mobilisation de tout le pays, est restée lettre morte. Aujourd'hui avec l'irruption de la démocratie dans le menu de notre quotidien, les grandes valeurs humaines et sociales ont retrouvé leur droit de cité. La tolérance, le respect de l'Autre, la solidarité, la générosité, le sens du service sont les ferments d'un renouveau de la société civile. Ils s'agrègent pour alimenter cette notion, incontournable de citoyenneté, sans laquelle on ne peut instaurer une véritable et authentique démocratie. Laquelle, grâce à cette formule, est assurée de s'inscrire dans la durée. Le terreau est aujourd'hui serein. Il est propice, le climat de liberté aidant à l'action et à l'initiative. Une législation évoluée des structures d'appui efficaces, des aides financières et d'autres incitations matérielles, feront en sorte que la société civile pèsera sur le destin national en véritable force de conviction qui se dressera, désormais, devant d'éventuels dérapages et dérives, garante de la bonne santé de notre démocratie.