Les caractéristiques et les causes avancées pour décrire les enchaînements ayant conduit à la crise financière internationale que connaît l'économie mondiale depuis 2007 ont été largement commentées et explicitées par une littérature abondante: intensification de la concurrence bancaire, relâchement des standards de crédit sur le marché immobilier, intensification de la titrisation et dilution des risques, croissance explosive de produits financiers complexes, usage excessif du levier financier, réglementation et normes comptables à caractère pro-cyclique, déficiences des cadres micro et macroprudentiels, politiques monétaires accommodantes et faibles taux d'intérêt, accumulation de la liquidité globale du fait de déséquilibres persistants entre des zones en excédent structurel d'épargne (saving glut) et d'autres en excédent structurel d'investissement1. Pour autant, les risques d'illiquidité liés au caractère devenu systémique de cette crise depuis la faillite de Lehman Brothers ont été pratiquement résorbés par des interventions massives des banques centrales et des mesures concertées et non conventionnelles de politiques monétaires menées dans les pays de l'OCDE. Dans le même temps, les politiques budgétaires et les divers plans de relance (recovery plans) impulsés dans les stratégies de sortie (exit strategies) menées ont permis d'enclencher depuis le deuxième trimestre 2009 un début de sortie de l'économie mondiale d'une récession économique sans précédent, ce dont témoignent les principaux indicateurs avancés de conjoncture et autant de signaux de reprise.
D'abord, sur le plan économique, la situation s'est améliorée avec les hausses du PIB et des indices PMI du climat des affaires dans l'industrie et les services à l'échelle de l'UE et aux Etats-Unis. Dans le même temps, la vague désinflationniste a soutenu le pouvoir d'achat des ménages dans un contexte de rigidité des salaires et d'efficacité des mécanismes d'accompagnement de la chute d'activité adoptés par les différents gouvernements. Sur le plan financier, ensuite, on a enregistré une hausse des indices boursiers depuis le printemps 2009 ainsi qu'un repli significatif de la volatilité des indices d'actions ce qui a permis une amélioration notable sur plusieurs segments des marchés financiers, en particulier celui des CDS4. Il en est de même pour la stabilité des taux longs à un faible niveau et la poursuite de la baisse des taux interbancaires dans un contexte de liquidité abondante avec, comme conséquence, une réduction significative de la prime de liquidité. L'ensemble de ces arguments a alimenté les diverses révisions à la hausse des perspectives de l'économie mondiale par le fonds monétaire international depuis avril 2009. Aussi, avons nous cherché dans ce document à identifier les repères majeurs des plans de sortie de crises qu'il s'agisse de la gestion des politiques monétaires ou de l'implémentation de plans de relance budgétaire. L'efficacité des mesures menées est aussi étudiée eu égard aux enseignements tirés des expériences passées de crises financières dans les pays industrialisés ou émergents notamment en termes de coûts des crises en production perdue ou par rapport aux caractéristiques macroéconomiques des crises monétaires et bancaires systémiques observées dans le passé. Des scénarios alternatifs de résilience de l'économie mondiale sont par la suite avancés à partir d'un diagnostic sur la nature de la reprise actuelle, d'une grille de lecture des indicateurs avancés de conjoncture et des actions en faveur de la régulation de la finance globale. En guise de conclusion quelques questions de politiques économiques auxquelles les Etats devraient désormais répondre après la crise et en particulier les leçons de la crise pour les politiques monétaires.
Crise financière: la récession jusqu'où ? Ou les plans de sauvetage seront-ils efficaces? La crise financière internationale a été restructurante en matière de conduite des politiques économiques11. L'implémentation de plans de relance et de soutien de la demande dénote d'un regain d'intérêt pour les politiques budgétaires. Mais la question posée reste circonscrite aux réelles marges de manœuvre possibles sinon de l'efficience des mesures prises s'agissant de financements adossés à des déficits publics. Ces interrogations sont aussi valables pour les actions accommodantes et le plus souvent non conventionnelles de politiques monétaires suivies par les banques centrales en réaction à la montée des risques de déflation à court terme mais aussi aux craintes de reprise de l'inflation à moyen terme.
Réorientation et gestion des politiques monétaires La crise financière a induit une nouvelle modulation de la politique monétaire en vue d'une réactivité efficace contre les risques de trappe de la déflation, ce qui impose une réorientation inévitable des cadres de gestion monétaire et financière et le recours à des mécanismes jugés parfois non conventionnels. Dans le même temps, la modération des risques d'inflation a offert la possibilité de relâcher et d'assouplir la politique monétaire par une réduction sans précédent des taux d'intérêt. En réaction à la crise financière internationale, et outre les mesures directes, les banques centrales des pays développés ont également aussi actionné des mesures indirectes et mis en œuvre des pratiques non conventionnelles de politique monétaire afin de contenir les risques de ralentissement de l'activité économique. La Fed, la BCE et la BoJ ont été particulièrement innovantes par le caractère inédit de leurs mécanismes d'intervention. En plus des opérations exceptionnelles de réglage fin, elles ont en effet introduit des modifications techniques en créant de nouveaux moyens d'interventions sur les marchés interbancaires et de la dette:
Stratégies de sortie de crise: quels enseignements tirés des expériences passées? Bien que la crise financière internationale est différente des crises antérieures qu'a connues l'économie mondiale durant la période récente, au regard de ses origines spécifiques qui sont circonscrites, plutôt, dans les défaillances en chaîne des systèmes financiers des pays développés, la situation actuelle partage néanmoins avec les épisodes précédents de crises financières de première et deuxième générations (pays du cône sud d'Amérique latine) ou de troisième génération (sud est asiatique et suivants) des caractéristiques communes dans son enchaînement: un excès d'endettement et de création de liquidité pendant une phase de forte expansion, de multiples facteurs de vulnérabilités des systèmes financiers, un endettement très élevé des agents privés en devises, une gouvernance défaillante des systèmes bancaires résultant de problèmes d'aléa moral liés aux garanties implicites des Etats et surtout la coexistence d'un mode inédit de contagion systémique. Les crises financières internationales ont fait l'objet de recensement systématique et d'analyses statistiques, économétriques et macro-financières issues de travaux académiques ou menés par des instances internationales. Deux types de crises financières à "forte fréquence", les crises monétaires ou de change (currency crises) et les crises bancaires et trois types de crises financières à "faible fréquence", les crises obligataires, les crises de la dette souveraine et les crises boursières sont généralement relevées. À l'origine de la plupart des épisodes de fragilité financière ayant conduit à des crises monétaires (ou de change) et bancaires, la littérature macroéconomique révèle deux bilans complémentaires alternatifs. Le premier groupe de réflexions est issu des travaux du FMI (1998), Kaminsky et Reinhart (1999), Eichengreen, B et alii. (2001) ainsi que Stone et Weeks (2001). Ces études empiriques ont été essentiellement appliqués au cas des pays émergents à la suite des crises de change des années 1990 (en particulier du Mexique en 1994) et la succession de chocs consécutifs à la crise asiatique en 1997-1998 : la crise russe (1998), celle du real brésilien (1999), celle du currency board en Argentine (2001-2002) mais aussi celles de la Turquie (1994, 1998, 2001 et 2008). Un deuxième bilan plus élaboré est issu des diagnostics de Reinhart et Rogoff (2008), mais aussi plus récemment de la nouvelle plateforme des crises bancaires systémiques du fonds monétaire (IMF - Systemic banking crises database, 2008). Cette dernière analyse, développée à la suite de la crise des subprimes aux Etats Unis, fût appliquée aussi bien aux pays avancés qu'émergents et semble mieux capter les spécificités de la configuration actuelle de l'économie mondiale. En estimant les délais moyens de sorties des crises, ces deux groupes de travaux soulignent aussi les coûts exorbitants de sorties en termes de production perdue par rapport à la tendance. Dans tous ces travaux, plusieurs faits stylisés et facteurs communs ont été identifiés. C'est ainsi que les caractéristiques communes et les indicateurs précurseurs de vulnérabilité recensés répondent pratiquement au même référentiel de défaillances. Tous les signes de reprise évoqués ont amené à la révision des perspectives de croissance de l'économie mondiale par les instances internationales et notamment le fond monétaire international:
Une reprise concomitante du financement interbancaire Les interventions des banques centrales ont permis la stabilisation de la situation financière des banques et la réduction des risques de contrepartie, ce qui a permis un redémarrage des marchés interbancaires. Les indicateurs de risque bancaire systémique dénotent de la reprise du financement interbancaire, ce dont témoigne la baisse notable du risque de liquidité mesuré par le recul des primes de risque ou du spread Libor-OIS i.e. du différentiel entre le Libor et le taux d'intérêt de l'OIS (Overnight Index Swap), ou encore le rétrécissement du Ted-spread qui approxime la probabilité estimée de non remboursement de prêts interbancaires: La baisse du risque de liquidité s'apprécie aussi par les mesures de la volatilité sur les marchés émergents qui ont enregistré durant la période récente une forte baisse de la volatilité et donc des primes de risque sur toutes les formes de financement qu'il s'agisse des marchés d'actions (indice MSCI) ou de dette (indice EMBI d'émissions obligataires):
Reprise économique durable ou sortie fragile de la récession économique? En dépit de la reprise technique de l'économie mondiale, plusieurs facteurs de fragilisations persistent. Tout d'abord, la légère croissance observée durant la période récente demeure largement inférieure à la croissance potentielle de long terme. En effet, l'output gap ou l'écart entre la production potentielle et la production effective s'est élargi. Toutes les prévisions disponibles montrent une croissance inférieure à la croissance potentielle en 2010 pour des raisons qui ont trait essentiellement à la poursuite du désendettement des agents économiques privés qui affaiblit la demande et se transmet aux autres pays par le commerce extérieur ainsi qu'aux pertes d'emplois et au freinage des salaires, avec en particulier la hausse du chômage. L'accentuation des écarts de production justifie d'ailleurs la baisse continue du taux d'utilisation des capacités productives:
Anticipations d'un gonflement massif de la dette publique et de reprise de l'inflation Les projections budgétaires aux Etats-Unis montrent que le déficit budgétaire américain restera élevé dans la prochaine décennie. De même, les ratios d'endettement dans la zone euro augmenteront d'une manière significative: Dans ce cadre, des prévisions tablent sur une reprise de l'inflation en raison de la remontée des prix des matières premières mais aussi à de possibles stratégies de monétisation accrue des déficits publics. Mais pourrait-il y avoir d'autres solutions aux problèmes de la dette publique engagée? Car la crise a provoqué la mise en place de déficits publics considérables qu'il sera improbable de réduire par un retour à des politiques budgétaires restrictives ou des hausses des taux d'intérêt, mais seulement par le prélèvement de taxes d'inflation.
Risques récurrents de déflation et contraintes de financement L'amélioration significative des divers indices de confiance qui estiment la consommation future anticipée des ménages et entreprises, essentiellement aux Etats-Unis (indices du Conference Board et de l'Université de Michigan) et à une échelle moindre dans la zone euro et au Japon, depuis le deuxième trimestre de 2009 peut refléter la baisse graduelle du risque de déflation: Il n'en demeure pas moins que la consommation courante a poursuivi une tendance baissière, un recul consécutif qui semble être expliqué par la reprise du taux d'épargne des ménages ainsi que par leur mouvement de désendettement par suite de la baisse généralisée du crédit bancaire. Autant de signaux précurseurs d'un risque de déflation latente.
En guise de conclusion L'examen des scénarios alternatifs de résilience de l'économie mondiale montre que les risques d'illiquidité liés au caractère systémique de la crise financière internationale ont été pratiquement résorbés par des interventions massives des banques centrales et des mesures concertées et non conventionnelles de politiques monétaires. Dans le même temps, les politiques budgétaires et les divers plans de relance impulsés dans les stratégies de sortie menées ont permis d'enclencher depuis le deuxième trimestre 2009 un début de sortie de l'économie mondiale d'une récession économique sans précédent, ce dont témoignent la nette reprise de la croissance ainsi que la productivité par tête dans les pays de l'OCDE. On observe aussi une décélération de l'inflation ainsi que des signes de détentes sur les marchés financiers avec une amélioration des indices boursiers. Des signes de détente ont été aussi relevés avec la poursuite de la stabilisation du marché immobilier aux Etats-Unis et la hausse des indicateurs de confiance et de climat des affaires dans la zone euro. Par ailleurs, les interventions des banques centrales ont permis la stabilisation de la situation financière des banques et la réduction des risques de contrepartie, ce qui a permis un redémarrage des marchés interbancaires. Les indicateurs de risque bancaire systémique dénotent enfin de la reprise du financement interbancaire, ce dont témoigne les baisses notables aussi bien du risque de liquidité que de la volatilité et donc des primes de risque sur les marchés émergents et ce sur toutes les formes de financement qu'il s'agisse des marchés d'actions ou de dette.