Il est indéniable que la première apparition du Premier ministre, M. Kaïd Essebsi a été rassurante sur un point d'une importance capitale pour l'évolution démocratique en Tunisie. Il s'agit, ni plus ni moins, de l'invite expresse du chef du gouvernement provisoire à la modération et à l'objectivité pour dépassionner un débat sur les éventuels abus de pouvoir ou d'influence exercés par certains responsables de l'ancien régime… Pas de chasse aux sorcières, pas d'inquisition, la Justice est seule apte à trancher, cette justice qui n'épargnera personne au cas où la faute est établie. En fait, notre propos est de dire combien nous risquons de «perdre le nord» quand c'est la passion qui nous guide et la notion du règlement du compte qui nous dicte un comportement et des réactions ravageurs.
Loin de prendre la défense aveugle et inconditionnelle de qui que ce soit, il est quand même frustrant et curieux de voir une équipe de pas moins de vingt-cinq avocats estant une action en justice contre des responsables de l'ancien régime sans, pour autant, s'attarder suffisamment sur les griefs et accusations portés à leur encontre ou, au moins, à l'encontre de quelques uns d'entre eux…
En effet, l'implication de l'ex-ministre des Finances M. Ridha Chalghoum et la demande de son éventuelle comparution devant un tribunal peut paraître ambigüe ou pour des motifs inavoués.
Ma connaissance de l'homme depuis plus de vingt ans me permet d'apporter une part de vérité sur le parcours d'un haut cadre tunisien de très grande valeur technique et morale. Pour l'histoire et les non initiés, M. Ridha Chalghoum, esprit libre du sud tunisien, a payé le prix fort d'un certain entêtement de jeunesse et d'une certaine opposition au régime de Bourguiba… A la fleur de l'âge, cet étudiant frondeur a connu les affres du camp de Régim Maâtoug en plus de la prison, du temps où le tandem Ben Ali-Ben Dhia détenait les pouvoirs de la sûreté nationale et de l'enseignement supérieur.
Rien d'étonnant quand on sait de quelle famille de militants il descend et de quelle aura cette même famille est entourée jusqu'à ce jour, dans une région qui ne reconnait pourtant pas facilement la valeur des hommes, tant ses habitants sont forts et intrépides.
Grand commis de l'Etat, d'un relationnel international hors pair, trilingue, d'une probité indiscutable et d'une honnêteté intellectuelle reconnue, M. Chalghoum mène une vie austère dans un appartement des plus normaux, n'a pas changé d'un iota depuis le jour où M. Mohamed Ghannouchi l'a repéré lors des travaux d'une commission sur l'évolution de la situation financière du pays alors qu'il occupait le poste de président du Conseil du Marché Financier… Il lui a «tapé dans l'œil» dira-t-on plus tard… d'où sa nomination en qualité de ministre des Finances… pour 11 mois seulement.
Et puis, au fait, je me demande sincèrement quel grief ou soupçon pourrait-on adresser à l'encontre d'un responsable technique qui n'a jamais milité dans le RCD, qui n'a jamais fait partie du Comité Central, et à fortiori du Bureau Politique de ce parti… Je trouve que cela coule de source, car Ben Ali, en tant qu'ex-Directeur général de la Sûreté connait bien Ridha Chalghoum depuis les années 80… Il est évident qu'un esprit aussi libre et indépendant n'a pas de place dans un appareil politique que Ben Ali a façonné à sa mesure.
Je me permets aussi de continuer à poser une question des plus élémentaires: en portant plainte contre Ridha Chalgoum en sa qualité de ministre des Finances, les accusateurs font sélection d'un exercice de 11 mois seulement comme si, par miracle, le ministère des Finances n'a jamais existé 23 ans durant le règne de Ben Ali…
Et enfin, il serait indécent d'amplifier une mesure anodine pour atteindre de plein fouet l'intégrité morale des personnes d'une manière insidieuse et dans les méthodes trompeuses dignes d'une autre époque que nous croyons révolue.
Ceci n'est pas un plaidoyer, loin s'en faut, même si certains ne reculent devant rien pour des réquisitoires des plus insensés… Je livre là une part de vérité… Cet homme restera innocent et blessé dans son honneur et son moral jusqu'à preuve du contraire…
Si la plainte portée aboutit à des preuves tangibles et irréfutables, je serai le premier à plaider M. Chalghoum coupable! Mais sans parti pris ni procès d'intention.