Dimanche à Ras Jedir, les boîtes de chamia, les saucissons, les conserves de haricots, de petits pois, des barquettes farcies de méchouia, des merguez, etc. jonchaient le sol sablonneux à n'en plus finir. Les malheureux réfugiés qui fuyaient le climat d'atrocités instauré par l'impitoyable répression du Colonel n'en croyaient pas leurs yeux. Et notamment les Bengladis qui sont habitués à tirer le diable par la queue soit dans leur propre pays (un des plus pauvres du monde) soit en terre d'immigration (où ils touchent une misère pour de pénibles travaux). Ils n'en croyaient pas leurs yeux soit devant la bonne qualité du produit présenté soit, surtout, devant l'abondance des mets salés et des friandises. Il y en avait tellement que, craignant que ce festin (surtout le lait) ne moisisse, les organisateurs ont préféré en acheminer une partie vers des zones plus profondes du territoire tunisien pour qu'il soit bien conservé. Dimanche à El Menzah, des citoyens, hommes et femmes, jeunes et adultes et même des enfants, de très jeunes enfants s'affairaient pour empaqueter et ficeler des caisses de produits alimentaires, des jouets pour enfants, des vêtements. On signait des chèques comportant de substantielles sommes d'argent. Le tout sera convoyé par des caravanes en direct du poste frontalier de Ras Jedir dans une atmosphère de liesse communicative. Et voilà bouclée l'extraordinaire chaîne de solidarité que Tunisiens et Tunisiennes, tout enfiévrés par la brise de liberté qui souffle sur notre pays, ont mise en place, armés de leur cœur, de leur capital d'empathie, de leur écoute de la souffrance humaine. Et ils n'en étaient pas à leurs premières performances de soutien aux pestiférés du Colonel. Déjà des caravanes avaient sillonné, par monts et par vaux, depuis un 14 janvier, pour aller sécher les larmes de ceux qu'un général, cette fois-ci, a pris un malin plaisir à rejeter au ban de la société. Mêmes causes malfaisantes, mêmes remèdes bienfaisants. Au mal, nos compatriotes répondent par l'humain, la compassion, la bienveillance, la fraternité, la solidarité, la vraie qui n'a d'autre raison d'être que donner du baume au cœur. Et non plus la solidarité que prônait Ben Ali qui n'avait, elle, pour objectif que de masquer une dévorante cupidité. Le 26-26 dont il a voulu faire un exaltant emblème de la sollicitude envers les damnés de la terre ne venait en réalité qu'au «secours» de poches malhonnêtes, des poches insatiables en matière d'argent. Des gens simples et pieux invoqueront pour ces âmes généreuses la récompense céleste. Nous resterons, nous, au niveau du vécu quotidien en disant qu'elles ont déjà obtenu, en leur for intérieur, le sacre de la conscience. Et aussi une distinction quasi unanime, quasi universelle accordée à notre pays. Un pays qui, au sortir des ténèbres de l'arbitraire, a montré qu'il a gardé son innocence et sa bonté originelles et qu'il est vacciné contre les sirènes du mal. Sur ce chapitre, on peut affirmer sans nous tromper que le peuple tunisien s'en est sorti indemne.