Quels leviers pour relancer l'économie post-révolution ?
Le chercheur Chakib Zouaghi, Professeur en économie et développement International à Ecole de Développement International de Mondialisation : « Université d'Ottawa, Canada » a, dans une récente étude publiée en Tunisie, dressé le portrait de quatre profils issus du peuple tunisien. Ces profils constituent de véritables sources de développement économique. Ils sont constitués de personnes qui ont des attentent différentes, voire complémentaires. Afin de redresser l'économie tunisienne, il va falloir changer de paradigme.
Le premier profil peut être incarné par «le jeune chômeur diplômé». Ce profil, on le retrouve dans les cafés des banlieues et surtout dans les régions de l'intérieur où le chômage atteint et même dépasse aisément les 25% de la population active.
Ces jeunes ont des attentes simples : trouver du travail et se doter d'une expérience professionnelle rémunérée. Ce sont ces jeunes pleins de rêves qui seraient prêts à risquer leur vie en tentant leurs chances dans l'immigration clandestine. Pourtant, cette jeunesse pourrait bien jouer un rôle décisif dans la Tunisie actuelle. Cette catégorie sociale a besoin d'un soutien financier via les microcrédits et d'une formation d'appoint pour être en mesure de créer des micro-entreprises capables d'être viables et rentables à terme. Le succès de tels projets peut générer à terme des centaines de milliers d'emplois dans des secteurs d'activité à plus grande valeur ajoutée comme les petits métiers, le commerce équitable, les produit de terroirs, les produits agricoles bio, la transformation agroalimentaire labellisée, les services de proximités ou l'artisanat de qualité, etc.
Le deuxième profil du Tunisien peut être incarné par «l'employé». Cet employé a la chance d'avoir un travail et l'illusion d'un salaire minimal, il remplit les administrations publiques qui sont en manque de ressources et d'initiatives. De guerre lasse, ils ont cessé depuis longtemps de revendiquer leurs droits pourtant bien légitimes depuis longtemps. Ces Tunisiens salariés ont des attentes spécifiques liées à leurs conditions de travail qu'ils veulent revaloriser. Quant aux employés du secteur privé, même s'ils sont mieux rémunérés pour la plupart, ils n'ont guère une meilleure qualité de vie face à l'exigence sans cesse croissante de leurs employeurs acculés par une économie mondiale de plus en plus féroce et compétitive. Comment demander à des employés, déjà mal payés ou surexploités, d'augmenter leur productivité sans que cela ne s'accompagne d'un véritable programme de renforcement des capacités par de meilleur conditions de travail, par la formation et la motivation.
La troisième catégorie d'agents du changement concerne « les hommes et les femmes d'affaires dupés». Cette catégorie d'agents économiques est probablement celle qui va pouvoir jouer un rôle décisif à court terme pour le redressement rapide de la situation économique du pays. Les entrepreneurs sont également des employeurs et des investisseurs. Si le climat de confiance se rétablit rapidement, ils pourraient sortir de leur réserve et dynamiser l'activité économique à l'intérieur comme à l'extérieur. La sécurité et la confiance dans le système de gouvernance seront les éléments précurseurs de leur dynamisation. Ces Tunisiens ont été trop longtemps privés de l'exercice du libre marché où la qualité et le prix des biens sont les principaux régulateurs des marchés. Cette tendance a lourdement pesé sur la croissance économique du pays depuis de nombreuses années. Certains économistes avancent que la Tunisie aurait perdu près de 2 % de croissance annuellement à cause de la corruption et de la concurrence déloyale. Ce chiffre est évidemment énorme si nous le comparons à la croissance économique française qui n'a été que de 1,5% en 2010.
La quatrième catégorie d'agents économiques, c'est «le Tunisien vivant à l'étranger». Aujourd'hui, un Tunisien sur dix est installé à l'étranger. Cette catégorie peut jouer un rôle non négligeable sur l'économie tunisienne grâce à des gestes simples comme celui de prendre des vacances en Tunisie ou de développer des affaires entre son pays d'accueil et son pays d'origine. Les Tunisiens à l'étranger peuvent également augmenter les montants de transfert de fonds vers leurs familles restées en Tunisie, ce qui est de nature à équilibrer les balances des réserves de devises étrangères et d'éviter une dévaluation massive du dinar tunisien. Ces gestes peuvent aussi créer des emplois et accroître les profits des entrepreneurs tunisiens grâce à la consommation. Ainsi, une situation de stabilité politique et sociale pourrait inciter les mêmes entrepreneurs et les résidents à l'étranger à investir dans de nouveaux projets avec le soutien de l'Etat et des banques impartiales et prêteuses à des taux raisonnables. Ces investissements permettraient aux employés de pouvoir améliorer leur revenu et d'accroître leur niveau de vie. Ils permettront également à ces mêmes entreprises de pouvoir recruter de jeunes chômeurs en quête de travail.