Que se passe-t-il dans notre chère Tunisie? Il s'y passe des choses que nous avions fini par considérer comme appartenant aux oubliettes de l'Histoire, n'ayant plus leur place dans un pays largement ouvert à la modernité. C'était, jugions-nous, le résultat d'une vision rétrograde qui excluant les valeurs de tolérance, de dialogue, de concorde et de respect de l'Autre. Par conséquent, elle n'avait plus droit de cité dans une nation engagée dans un exaltant processus de démocratisation. Mais de quelles choses étranges s'agit-il? Ce sont des raids sur des mosquées de la part d'éléments qualifiés de salafistes; des discours incendiaires dans les enceintes des lieux du culte, les journées de vendredi, des dénonciations, les unes violemment proférées, les autres insidieusement énoncées, contre les acquis de la femme; à l'encontre de jeunes filles à qui l'on reprochait une tenue vestimentaire à la mode de ce printemps. Bref, tout un branle-bas de combat qui se veut mobilisateur, mené par des exaltés qui visent à se rendre maîtres de la conscience des gens en instrumentalisant la foi en vue de desseins pas très orthodoxes. Certes, pour arriver à leurs fins politiciennes, pas mal de partis n'hésitent pas à verser dans une démagogie mal venue dans la phase actuelle de la transition démocratique. Ils promettent monts et merveilles, sachant pertinemment qu'il est difficile de tenir ces promesses… Mais que dire quand cette approche démagogique investit le domaine de la foi en faisant miroiter aux pauvres citoyens des gains paradisiaques que ce soit dans le monde ici-bas ou dans celui de l'Au-delà?
Un feu de paille ou un vrai traumatisme L'épisode le plus spectaculaire et le plus grave dans l'optique de certains citoyens est l'affaire de l'Emir El-moôminine (le prince des croyants) de Ras Jdir et de l'instauration d'un émirat islamique du côté de Ben Guerdane. Suite à une déclaration de la comédienne sur ce sujet, l'opinion publique s'est emparée de cette affaire, certains témoins la confirmant et d'autres l'infirmant. Les premiers y ont vu un épouvantail annonçant l'avènement d'une nouvelle ère de dictature et d'arbitraire qui serait fatale pour l'avenir de progrès civilisationnel auquel aspire la Tunisie dans ses composantes les plus éclairées et les plus modérées. D'autres par contre l'ont minimisée, n'y voyant qu'un feu de paille, un feu passager qui ne durerait que le temps d'un clin d'œil. Nous serions, de notre côté, enclins à épouser cette dernière thèse pour une raison bien simple c'est que la fumée dégagée pendant cette affaire a disparu aussi vite qu'elle est apparue, les choses s'étant très vite apaisées. Et pourtant il faut reconnaître que rien ne laissait prévoir une telle détérioration du climat de confiance que laissait espérer l'élan juvénile du 14 janvier. La peur en effet va crescendo, sur le plan sécuritaire bien entendu (à la suite de braquages récurrents, de cambriolages répétés, d'attaques physiques notamment sur les femmes, etc.) mais aussi, ce qui fait l'objet du présent article, sur le plan religieux. Que certains illuminés, tenants d'une conception anachronique d'une religion pourtant constellée de lumières et chargée de valeurs suprêmes, arrivent à s'en prendre, au vu et au su de tout le monde, à de paisibles citoyens les taxant d'impiété, voilà qui porte à interrogations. Et c'est d'autant plus étonnant que, en matière religieuse tout est clair et ne souffre aucune contestation. Tout d'abord la Tunisie n'abrite pas en son sein une pluralité de confessions comme cela est le cas dans plusieurs pays du Moyen-Orient. Et donc cela limite les possibilités d'affrontements. Le rite malékite y est prépondérant, faisant prospérer un Islam assez ouvert et empreint de modération à l'image d'une identité nationale irriguée d'un sang pluriel, fruit d'un intense brassage culturel. Les gens qui promettent à leurs concitoyens des descentes aux enfers ne peuvent qu'être en déphasage avec le génie de ces lieux accueillants et hospitaliers. Et donc ne peuvent prétendre jouer un rôle majeur dans le devenir de notre pays.
Touche pas à ces acquis! En réalité, la peur n'a pas raison d'être. Tout invite le Tunisien à mener, sur ce plan-là, une existence sans épines et sans aspérités. Il lui faut écarter de son esprit cette idée de péril extrémiste. Le spectacle de jeunes filles et de jeunes femmes portant le hijab ne saurait semer l'effroi en lui, car cela ne veut pas dire qu'elles se soient rangées dans la file acquise aux idées extrémistes. Le 24 juillet prochain, la réalité apparaîtra dans tout son rassurant éclat. Et d'ailleurs, les responsables de ce genre d'Ennahdha le savent bien: le Tunisien a changé depuis une vingtaine d'années. Il n'est plus disposé à accepter l'ombre d'une dictature. La jeunesse a pris conscience de sa force et les jeunes sont devenus forts comme la mort en référence à un roman de Guy de Maupassant portant le même intitulé. Pas question que, dorénavant on touche si peu que ce soit à ce magnifique duo Liberté-Dignité, magiques acquis d'une révolution bénie par les dieux. Et puis ces mêmes annonciateurs d'apocalypse savent que la Tunisie de par sa situation géostratégique, dans l'épicentre de la Méditerranée, ou plutôt dans le goulot entre ses parties occidentale et orientale, commande à l'Europe de ne pas permettre l'édification en face de ses rives méditerranéennes ne serait-ce qu'un embryon d'entité islamiste. Une entité qui pourrait selon l'UE être pourvoyeuse en terroristes de tout acabit. De toute façon, tout porte à penser que les élections du 24 juillet de l'Assemblée Constituante feront ressortir un grand ensemble libéral et laïque en face d'un ensemble islamique d'une moindre force. Les quelques couacs qui émaillent actuellement la vie politique du pays relève d'un scénario déjà prêt en sous-main. Le lambda tunisien et surtout la femme n'a pas à se mettre martel en tête. En fait ce qui risque de constituer une vraie menace pour la transition démocratique, c'est la question sécuritaire qui, si elle perdurait, lèserait gravement la situation économique. Hommes et femmes se doivent de se dresser en un front uni devant ce péril.