Les hommes célèbres meurent et disparaissent mais leurs souvenirs restent éternels. Dans ce contexte, nous avons capté pour vous une des perles de l'histoire de la lutte du peuple tunisien pour retrouver son indépendance et sa liberté, à savoir une déclaration à chaud du Combattant Suprême, Habib Bourguiba, publiée au journal français «L'Express» au mois d'avril 1955 à l'occasion du protocole d'accord entre la France et la Tunisie. «Chaque fois que les hommes réussissent par la négociation, la discussion, la bonne volonté, à trouver une solution au conflit entre les intérêts puissants des nations, le monde entier, à l'Est et à l'Ouest, devrait respecter un instant de silence et de méditation pour en tirer un enseignement et y puiser une inspiration nouvelle. Entre la Tunisie et la France, tout n'a pas été résolu, car on ne jamais tout faire. L'évolution est dans la nature même des peuples. Mais la preuve a été faite que les difficultés les plus graves et les convictions divergentes peuvent être examinées loyalement, avec sang froid, par des hommes sérieux et honnêtes et qu'au bout de leurs confrontations, c'est l'espoir et non le cynisme qui se trouve justifié. Le destin du peuple tunisien, il y a près de vingt-cinq ans que je le vis, jour après jour, dans les campagnes et les villes de mon pays, dans la solitude des prisons, dans la chaleur humaine des congrès. Vingt-cinq années marquées par des luttes, des répressions, des éclaircies, des rechutes et toujours par une volonté plus ardente, mieux organisée de notre peuple vers son émancipation politique que certains persistent encore à confondre avec l'idée de récession ou d'une régression de l'influence française, alors qu'elle doit-être au contraire une véritable association, un renforcement et un progrès, et même la pierre angulaire d'un grand ensemble franco-africain. Et voici maintenant qu'avec la France, nous trouvons une voie de confiance et d'amitié pour la poursuite de notre destin. C'était l'espoir auquel nous n'avons jamais renoncé, mais auquel nous n'osions plus croire. Voici bientôt, le moment que nous souhaitions de toute notre âme, où nous pourrons enfin consacrer cette énergie, rendue vers la lutte et les combats, à la tâche magnifique de construire dans la paix, la nation tunisienne, où nous pourrons donner la mesure de notre patriotisme et de notre dévouement à la chose publique autrement que dans les prisons et le camp. «Au nom de notre peuple, je rends hommage à ce gouvernement français qui aura su comprendre nos aspirations et nous permettre de les concevoir avec la France grâce à la France, et non plus contre elle. «Quels que soient maintenant le cours des événements, les vicissitudes de la politique, les difficultés nouvelles qui peuvent surgir et même les retours possibles aux erreurs du passé, nous savons désormais qu'il y a en France des hommes qui justifient notre confiance dans le devenir des rapports franco-tunisiens, et l'espoir ne pourra que croître. A ces hommes, nous disons que le peuple tunisien respectera ses engagements et que le destin de notre pays se poursuivra aux côtés de celui de la France. «Déjà la bonne volonté des négociateurs à Paris a fait lever un vent nouveau en Tunisie». Nos amis français qui participent là-bas à l'essor de notre pays ont compris qu'une ère de travail fécond commun pourrait s'ouvrir. Le courage des hommes d'Etat sera relevé par l'ardeur des fermiers et l'audace des entrepreneurs. Nous allons faire une grande nation. Contre les forces aveugles de la méfiance et de la réaction, contre l'égoïsme des intérêts, nous n'avons pas fini de nous battre, mais nous avons la preuve que la victoire finale appartiendra à ceux qui respectent les hommes et aiment le peuple.