On est dimanche. Dimanche 15 décembre, et le monde est, apparemment, toujours là, et l'apocalypse, çà sera pour plus tard. Et comme l'avait si bien dit Laârayedh ; après 12H00, il allait y avoir 13H00 et après le 14, il allait y avoir le 15, et la vie continue son petit bonhomme de chemin, malgré tout. Il y a, en ce dimanche, dans l'air, un relent d'on ne sait quoi ! Même le soleil a choisi de faire la gueule, sa gueule maussade des mauvais jours. Le pays redémarre une nouvelle journée avec grand peine, après la frénésie des jours passés, après les pourparlers fous et les messes basses à tous les angles de salons. Il faudra bien marquer le coup après tant d'émotions et tant de contrariété chez quelques uns. Puis il faudra bien repartir pour des jours que l'on espère toujours meilleurs. En attendant, ce dimanche sera, vraisemblablement, consacré aux états d'âme et au repos des guerriers. Ce ne sera que demain que tout ce beau monde va repartir au fourneau, voire au front. Chacun se sera fixé des objectifs, suivant son état d'esprit actuel. Car le dénouement, hier, in extrémis du sacré dialogue national, aura certainement marqué les esprits de tout un chacun. Il y en a, certainement, qui se sentent soulagés, d'autres, opprimés, d'autres encore, dégoûtés, et puis d'autres jubilant de bonheur. Comment vont réagir tous les protagonistes de la scène nationale à ce fameux 14 décembre ? La plupart des intéressés ne se sont pas encore prononcés, mais gageons d'ores et déjà que les intérêts et les orientations ne vont pas trop changer par rapport à ce qu'il y avait auparavant. C'est ainsi que les gens d'Ennahdha continueront leur gentil boulot de sape, comme si de rien n'était. Et, effectivement, il n'y avait pas de quoi se soucier, menés comme ils étaient par des ténors de stratégie, de tactique fine d'esquive et autres arts de manipulation, ils étaient assurés du résultat des courses. D'ailleurs, certains éminent dirigeants du parti ont (presque) vendu la mèche en persistant dans leur travail quotidien comme si de rien n'était, donnant l'impression que leur gouvernement n'était pas démissionnaire, et ils ont entassé projet sur projet et ouvert dossier sur dossier. Ceux là sont maintenant soulagés que tout se soit passé comme prévu, et ils vont avoir les coudées libres pour encore quelques autres mois, le temps d'achever leurs desseins avoués ou cachés. De l'autre côté, les gens de l'opposition mettront beaucoup plus de temps à panser leurs plaies et à refaire leurs rangs, complètement disloqués par les habiles manœuvres des dirigeants d'Ennahdha qui ont réussi à semer parmi eux la zizanie, à les diviser, et surtout, à montrer à tout un chacun la cupidité de l'autre. Ces pauvres gens de l'opposition mettront, surement, longtemps pour récupérer de cette mésaventure, pour se refaire une santé, pour tisser de nouvelles coalitions et, surtout, pour regagner la confiance perdue auprès du peuple. N'empêche, qu'ils ont déjà annoncé la couleur pour quelques uns d'entre eux, en déclarant qu'ils se mettent en travers de tout ce que va tenter le nouveau gouvernement qu'ils qualifient de troisième de la Troïka. Sauf, peut-être, quelques uns qui se croient plus rusés, ou peut-être plus cupides, qui ont choisi de se ranger du côté du plus fort (du moment) en jurant obédience et fidélité au gagnant. Ils se rendront, peut-être, compte un jour, qu'ils n'auraient pas du. Quelque part entre ces deux principaux groupes, il y a ceux qui ont choisi la discrétion et l'ombre, en ne se mettant sur le dos personne, en attendant, éventuellement des jours meilleurs. Ceux là continueront, vraisemblablement, à jouer leur jeu trouble et à faire la grimace à tous ceux qu'ils ont en face, tout en continuant à opérer leurs forages et leur travail de sape sous cape. Ailleurs, des gens qu'on croyait cachés et emmurés chez eux, puisque recherchés et poursuivis par toutes les polices, les Ansar Achariâa, en l'occurrence, semblent avoir repris du poil de la bête et osent faire des déclarations de guerre, carrément. Ils promettent de descendre dans la rue, et investir les places de sit-in pour revendiquer « leurs droits » et faire chuter le gouvernement. C'est à n'y plus rien comprendre ! Et, finalement, en face de tout ce beau monde, il y a le malheureux citoyen, qui n'y comprend, décidément, plus rien, et qui arrive de plus en plus difficilement à suivre le mouvement et à comprendre ce qui se trame. Le pauvre citoyen reprendra dès aujourd'hui le chemin des étals du marché, effaré par ce qu'il va y trouver comme prix, et rongé par le doute de pouvoir ramener de quoi nourrir sa petite tribu. Il reprendra, de même, à partir de demain, le chemin du boulot. Pas pour travailler, mais pour y rencontrer ses copains, les grandes gueules qui prétendent tout savoir et tout comprendre. Il essaiera à travers leurs discours tonitruants à la table du café du coin, de comprendre ce qui se passe, et ce qu'il y a lieu de faire, mais surtout, ce qui va changer pour lui, et si çà va s'améliorer. Il posera, timidement, des questions qui lui brûlent les lèvres du genre, s'il va tout de même, être obligé de payer la taxe supplémentaire pour la voiture, ou s'il va devoir s'attendre à des majorations des prix des produits de base, ou, tout simplement, s'il est vrai que les salaires de décembre risquent de ne pas être versés, faute d'avoir voté la loi de finance complémentaire de 2013. Voilà, grosso-modo, de quoi sera fait demain, en attendant, éventuellement, d'autres assassinats, puis d'autres protestations suivies d'autres dialogues nationaux, couronnés par d'autres compromis.