Malgré le scepticisme, la réticence, voire la franche opposition d'une bonne frange des hauts cadres de la fonction publique tunisienne au sujet des dernières mesures d'austérité ordonnées par le gouvernement (conversion des bons d'essence en indemnité et remplacement des voitures de fonction par des primes) pour rationaliser les dépenses publiques et le train de vie de l'Etat , Mehdi Jomâa, dans son interview après 100 jours de primature, imperturbable et résolu, n'a rien cédé sur ce point, confirmant la décision prise, sans prendre la peine d'en expliciter les mécanismes de mise en œuvre et les catégories ciblées. Encore pire, les mesures en question ont été décrétées d'une manière verticale et unilatérale, sans prendre au préalable l'avis des structures administratives ou syndicales du corps visé ni consulter les figures compétentes en la matière issues de la classe politique ou de la société civile. En outre, selon certaines indiscrétions, un noyau de ministères en sera exempté. Ce qui pose un problème de droit et de moral et soulève moult interrogations. Si Mehdi Jomâa s'entête, vaille que vaille, à imposer ce que nombreux hauts cadres de l'Administration qualifient de diktat, d'aucuns estiment que, pour souci d'équité et d'égalité, le Chef du Gouvernement est tenu, juridiquement et moralement, à appliquer ces mesures d'une manière horizontale, sans excepter aucun poste de la fonction publique. A ce titre, la conversion des bons d'essence en indemnité et le remplacement des voitures de fonction par des primes ou leur rachat par les concernés sont appelés à être appliqués, de premier abord, et pour donner l'exemple, au Président de la République, au Chef du Gouvernement et à tous les Ministres, Secrétaires d'Etat et autres fonctions assimilées. Après tout, ils sont des commis de l'Etat, au même titre que les hauts cadres de l'Administration, et il n'y a aucune raison d'en exclure quiconque. Nul doute qu'il est compréhensible, et non sans raison, que certains seraient contre l'idée d'appliquer ces mesures sur les hommes au pouvoir, invoquant le prestige de l'Etat, le respect de la fonction et la dimension éminemment politique. Cependant, Mehdi Jomâa devrait savoir ce qu'il veut et connaitre l'impact et la portée de sa politique. Il lui revient de choisir entre le principe de justice et le prestige de l'Etat. Il est tenu d'aller jusqu'au bout de sa décision s'il est convaincu de la justesse de son approche et de la pertinence de son choix. Sur un autre plan, et non des moindres, le Chef du Gouvernement, peut-être sans s'en rendre mais certainement sans en être avisé par ses conseillers, a diabolisé les détenteurs de voitures de service ou de fonction auprès de l'opinion publique nationale et les a voués à la vindicte populaire. En effet, les cas d'agressions verbales sont légions, comme les insultes et les crachats aux feux rouges. Mehdi Jomâa a donné l'impression que les hauts cadres de l'administration tunisienne sont responsables, dans une grande mesure, de la crise économique et sociale et qu'à ce titre la crème de fonction publique est tenue d'en payer les frais. En conclusion, il sied de rappeler, si besoin est, que les bons d'essence et les voitures de fonction sont une forme d'indemnité en nature, indissociable de la rémunération, qui est un acquis social incompressible, rémunération de bas de gamme, sans aucune mesure comparativement aux autres pays au même standing que la Tunisie et même aux pays les moins nantis. A titre d'exemple, au Maroc, les émoluments d'un Directeur Général sont alignés sur ceux d'un député, autrement dit, le quadruple de ce que touche son collègue tunisien. Cherchez l'erreur ! Sinon, la reconversion préconisée aurait été une alternative crédible et une solution acceptable si les hauts cadres touchaient un salaire autrement plus important. Mais dans le cas d'espèce, il ne s'agit que de mesures populistes, impopulaires de toute évidence pour la couche pointée, et d'une décision arbitraire et abusive, traduisant dans les faits une campagne injuste et injustifiée contre les hauts cadres de l'Administration tunisienne, qui , entre autres, ont préservé l'Etat et le service public pendant et après la révolution. Mehdi Jomâa n'a pas trouvé mieux pour les punir et les sacrifier, pour des motifs bassement politiciens et démagogiques. Pour plaire à l'opinion publique, il a caressé dans le sens du poil et vitriolé ainsi toute une catégorie de fonctionnaires dont on reconnait à la majorité la compétence, le sens de l'Etat et de l'intérêt public. Le jour où Mehdi Jomâa utilisera sa voiture privée ou le transport en commun pour rejoindre son bureau, on applaudira fort à s'en briser le poignet ou les doigts!!