Schengen ou pas, la police française veille à ce que les clandestins tunisiens arrivés en Italie ne passent pas. Les contrôles sont discrets, mais fréquents. Khaled en est certain : son cousin déjà installé en France viendra bientôt le chercher. Il embarquera dans sa Renault 5 et ils fileront vers Marseille. Ils ont imaginé leur plan au téléphone; Khaled, originaire de Sfax, une ville portuaire de l'est de la Tunisie, a appelé d'un portable après être arrivé à Vintimille. Pour tromper l'attente, ce grand ado s'est installé sur le rebord d'une fenêtre de la gare. Il y dort, roulé dans son blouson de toile, avec pour matelas un bout de carton et pour anges gardiens une cohorte de carabiniers qui montent la garde devant la grande entrée de la stazione. Il projette de se rendre tout à l'heure, sans trop y croire, au poste de police voisin. Peut-être y apprendra-t-il comment obtenir une autorisation provisoire de séjour identique à celles que les autorités italiennes ont accordées à ceux qui ont débarqué à Lampedusa avant le 5 avril. Pas question, en revanche, de se laisser embarquer vers le centre d'hébergement, un Sangatte à l'italienne installé à la sortie de la ville, dans la vallée creusée par le fleuve Roya : “Si j'y vais et que mon cousin arrive, je risque de ne pas le voir”, explique Khaled dans un français mal assuré. Bientôt, espère-t-il, il pourra quitter ce cul-de-sac cerné par les montagnes où s'entassent toujours quelques centaines d'aspirants à l'exil comme lui. Par groupes de trois ou quatre, casquette sur la tête et, dans la main, un sac plastique transportant leurs maigres richesses, ils déambulent au milieu des boutiques d'alcools et de cigarettes détaxés qui font la fortune de cette ville proche de la frontière. “Ils font fuir les clients”, se plaint un commerçant dont la devanture met en valeur des jéroboams de boisson anisée à des prix défiant toute concurrence. Bien plus que le flot d'immigrés clandestins – 2 800 Tunisiens venus d'Italie ont été interpellés en un mois – c'est le risque d'être contrôlé au retour, en passant la frontière, qui effraie les acheteurs venus de France. Car, si, libre circulation et espace Schengen obligent, les postes douaniers n'ont pas été formellement rouverts, le gouvernement a mis en place un important dispositif policier. Un sujet qui sera débattu lors du sommet franco-italien du 26 avril, à Rome. Difficile de se glisser entre les mailles du filet Ainsi, des CRS sont en faction à l'ancien poste frontière Saint-Ludovic, entre Menton et Vintimille. A La Turbie, au péage de l'autoroute A8, des gendarmes inspectent les voitures pour coincer d'éventuels passeurs. Enfin, les trains de la ligne régionale qui relie la France à l'Italie sont systématiquement visités au départ et lors des arrêts dans les gares françaises de Menton, de Nice et de Cannes. Quand ils ne sont pas simplement annulés, comme ce “train de la dignité”, qui devait, dimanche, faire passer en France une soixantaine de migrants. Enfin, ceux qui tentent l'aventure à pied, par la route de la Corniche, tombent sur les patrouilles qui la sillonnent en voiture. Difficile de se glisser entre les mailles du filet. Même muni d'une autorisation provisoire de séjour italienne, Khaled devra justifier devant les policiers français de la possession d'une somme d'argent suffisante à sa subsistance et présenter un passeport. Ce qu'il est incapable de faire. Contrôlés dans la même situation, 1 700 de ses compatriotes auraient déjà été renvoyés en Italie. Alors, Inch Allah…