C'est à se demander ce qui (ou qui) l'a poussé à faire sa fameuse sortie médiatique, Youssef Chahed ? D'autant plus qu'en théorie, rien ne l'y obligeait. Et c'est de son propre gré que Youssef Chahed a organisé et mis en scène une sortie médiatique que personne n'avait exigé, à l'occasion de laquelle il a réussi à se mettre sur le dos, non seulement une importante composante de la « coalition politico-sociale » qui cautionnait son gouvernement, en l'occurrence l'UGTT qui avait, effectivement, signé le document de Carthage, mais qui avait, à maintes reprises, averti qu'il ne donnait aucunement de chèque en blanc à Youssef Chahed et qu'il veillait au grain, mais aussi, une importante frange de la société, qui a été, pas seulement, déçue de ses décisions et ses déclarations, mais elle a été outrée, scandalisée, révoltée, dégoûtée des mesures annoncées et des décisions prises pour, soi-disant, renflouer l'économie saignée à blanc du pays. Et cette frange, il ne fallait, justement, pas la fâcher ni l'avoir sur le dos. Cette frange des salariés et des cadres et fonctionnaires de l'Etat, entre autres, a saisi le massage dispensé par Chahed. Un message qui a sonné comme un arrêt de mort pour eux, dans la mesure où, incapable de chercher et trouver des ressources financières là où il fallait les chercher, Chahed a opté pour la solution de facilité, celle de disposer du pouvoir que lui conférait le fait qu'il paye les salaires de ces fonctionnaires, en décidant d'opérer des coupes conséquentes dans les salaires et primes de ces individus, de bloquer toutes les majorations salariales et de gonfler les impôts aux quels ils sont soumis, alors que, déjà, ces travailleurs connaissent de grandes peines à joindre les deux bouts et sont carrément, en train de vivre la misère. Les fonctionnaires n'arrivent pas à digérer le fait qu'ils soient les seuls à payer les erreurs, et les incompétences, des gouvernements passés, et qu'ils soient désignés comme boucs émissaires pour payer les frais de l'avidité et de la corruption qui ont sévi, depuis leur satanée « révolution du jasmin ». Ils ne digèrent pas qu'au su et au vu de tout le monde, certains « dignitaires » du pays se soient octroyé le droit de voler les biens publics et de se faire verser des sommes astronomiques au titre de dommages et intérêts, pour leurs crimes contre le pays, comme ils ont fait recruter les leurs et les repris de justice à coups de dizaines de milliers, handicapant les caisses de l'Etat, de même qu'ils se sont donné le droit d'empocher des indemnités de retraites sans avoir cotisé un seul jour, saignant à blanc les caisses sociales... et qu'en fin de compte, ce sont les fonctionnaires qui payent les pots cassés. Ils n'ont pas, non plus, digéré que les riches s'enrichissent davantage sans être inquiétés le moins du monde, sans qu'on leur demande des comptes et sans qu'ils ne soient redevables au fisc du moindre sou. Comme ils n'ont pas digéré que certaines professions restent exonérées d'impôts, ou presque, alors qu'eux, ils sont saignés à blanc et qu'ils doivent payer pour tout le monde. Un autre message transmis par Chahed, au cours de son « interview », est resté en travers de la gorge des fonctionnaires, c'est celui de ne plus désigner dans les postes de responsabilité, que les jeunes d'à peine trente ans. Du coup, ces fonctionnaires qui ont entre quarante cinq et cinquante cinq ans, qui ont passé leur vie à travailler dur, nourrissant l'espoir secret d'accéder, un jour, aux postes de responsabilité, se sont vus coiffés au poteau, une première fois par des bleus, membres des partis au pouvoir du temps de la Troïka qui ont accaparé les sommets des pyramides des fonctions, et se voient, définitivement, exclus de tout droit aux promotion, à la faveur de jeunes promus qui vont récolter les fruits de leur labeur à eux. Ce que Youssef Chahed n'a, apparemment, pas compris, c'est que cette frange de la population, il n'avait pas intérêt à la fâcher, ni à se la mettre sur le dos. Et il ne semble pas avoir retenu la leçon du récent passé du pays, quand la Tunisie a réussi à traverser, sans trop de casse, les remous de la « révolution », grâce, justement, au dévouement de la classe des fonctionnaires qui ont su maintenir à flot « la machine de l'Etat », alors que maintenant, il ne risque plus de pouvoir compter sur eux, en cas de nouveaux « remous ». Remous qui ne sauraient tarder si on en juge de l'état de tension et de ras-le-bol qui prévaut dans la société tunisienne.