Le débat sur le vote des policiers et des militaires a battu son plein avant d'aboutir sur un compromis. La loi électorale est finalement adoptée. A la majorité comme à l'opposition la question a longtemps divisé. Les arguments, pour et contre, ont foisonné. A ceux qui brandissent l'étendard de la neutralité et de la dépolitisation pour leur refuser le vote, se dressent ceux qui au nom de la citoyenneté et de l'égalité plaident le contraire. Sans droit au vote, le policier et le militaire sont-ils des citoyens à part entière ?! Jouissant de ce droit, quels risques font-ils courir sur la république ? Dans une démocratie, est-il admis que le vote, principal pilier de la citoyenneté, soit un droit divisible et exclusif, dont une partie de la population, aussi mince qu'elle soit, n'est pas en mesure de bénéficier ? Quels en sont les enjeux, les dessous et les appréhensions ? D'ailleurs, le cas échéant, à quel type de processus électoral seront-ils autorisés à participer : présidentiel, législatif ou municipal ou régional? Tout autant d'interrogations, légitimes du reste, qui en disent long sur la densité, la diversité et la gravité de la question. En guise de consensus, la poire est coupée en deux. Désormais, aux termes de ladite loi, les policiers et les militaire sont le droit de voter mais uniquement dans les élections municipales et régionales. Les législateurs ne sont pas allés loin, n'ont pas fait preuve d'audace, se contentant d'entrouvrir la porte. Mais la question reste entièrement posée : Si le statut d'électeurs est reconnu aux policiers et aux militaires, pourquoi fragmenter le droit de vote fraichement acquis ?! Cette segmentation est-elle conforme à la Constitution ?! Soit ils sont des électeurs à part entière soit non ! La méfiance de l'élite politique à l'égard des policiers et des militaires suggère que les pages sombres de la dictature déchue n'ont pas été expurgées du subconscient politique et social, dans ce sens que les ministères de l'intérieur et de la défense restent, aux yeux d'une frange de la classe politique du moins, des appareils de répression. D'ailleurs, par souci d'égalité et de symétrie, cette idée de vote au rabais dont les policiers et les militaires sont gratifiés doit être élargie aux fonctionnaires des quatre ministères de souveraineté, pas uniquement les ministères de l'intérieur et de la défense. Les ministères de la justice et des affaires étrangères sont censés être lotis à la même enseigne. Les juges et les diplomates, tout au moins une partie, ont été également des instruments, au service de l'arbitraire, que le régime mauve a utilisés pour asseoir son règne et sa tyrannie.Au même titre que les policiers et les militaires, les mêmes craintes et autres griefs pointent aussi les juges et les diplomates. Deux poids, deux mesures ! Rien dans la Constitution Tunisienne qui soit explicitement de nature à priver le policier ou le militaire de son éligibilité au vote. L'article 34 est certes sans ambiguïté : « Les droits d'élection, de vote et de se porter candidat sont garantis, conformément aux dispositions de la loi« , mais l'article 49 en nuance la portée en stipulant que « La loi fixe les modalités relatives aux droits et aux libertés, ....., ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence« . Il est vrai que les articles 18 et 19 exigent toute la neutralité aux missions accomplies par les forces sécuritaires et militaires mais sans définir la notion de neutralité. Politique ? Partisane ? Idéologique ? Intellectuelle ? De par la sensibilité de leurs activités, les policiers et les militaires sont soumis à l'obligation de neutralité mais uniquement dans l'exercice de leurs fonctions et non dans la jouissance des attributs de leur citoyenneté. Il est tout à fait logique qu'ils n'adhèrent pas à un parti politique, mais ils ont quand même le droit d'avoir une opinion politique, une préférence idéologique ou même une sympathie partisane et surtout de l'exprimer à travers les urnes. Par conséquent, la neutralité ne peut être déclinée que dans son acception professionnelle et nullement dans sa signification intellectuelle. En quoi le vote aux présidentielles et aux législatives peut-il altérer la discipline ou la loyauté ou la neutralité d'un policier ou d'un militaire ou menacer l'ordre public et la sécurité nationale, comme l'allègue le front de refus ?! Nul doute que la question n'est pas une priorité, mais en débattre ou non n'enlève rien à sa pertinence. Invoquer le contexte national de crise d'ordre économique, social et sécuritaire, et la situation tunisienne instable, crispée et vulnérable pour ne pas franchir pleinement le pas est plutôt une manière de nourrir l'amalgame et la confusion et de transcender les lignes d'intérêt. D'ailleurs, qu'en pensent les intéressés ? Leurs avis entrent-ils en ligne de compte ou non ?