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Le droit des militaires au vote : Un facteur très déstabilisateur de l'armée, sans plus !
OPINION
Publié dans La Presse de Tunisie le 27 - 06 - 2016


Par Mohamed Meddeb*
Suite aux évènements 2010/2011 et voulant rompre avec le passé, certains ont eu tendance à vouloir tout changer. Seulement, de nombreuses initiatives, importées d'ailleurs et ne tenant pas compte des réalités nationales, ne sont pas du tout dans l'intérêt du pays, permettre aux militaires et sécuritaires de voter en est un exemple des plus édifiants. Dans le cadre de la préparation de la loi organique n° 14/2014 relative aux élections et référendums, certains constituants avaient proposé d'accorder aux agents des corps armés le droit de vote, heureusement sans y parvenir. Lors des discussions en cours du projet d'amendement de cette même loi organique, certains honorables représentants du peuple sont revenus encore une fois à la charge pour accorder aux militaires et agents des corps sécuritaires le droit de vote; prétendant les rehausser, de la sorte, au rang de citoyens à part entière, comme s'il leur en manquait une partie (!). Cette initiative, incompatible avec la neutralité totale exigée par la Constitution, est pour l'armée un facteur très déstabilisateur, n'ajoute rien au statut des militaires, ne figure nullement parmi les priorités ni de l'institution militaire ni de la nation, pose de nombreux problèmes organisationnels et si par malheur elle est retenue, n'a aucune chance d'application effective.
Droit des militaires au vote et exigence constitutionnelle de neutralité totale ?
Un examen approfondi de la question de l'octroi du droit de vote aux militaires et sécuritaires en général, nous révèle que cette mesure serait au fait contraire à l'exigence constitutionnelle de neutralité totale des institutions concernées, neutralité vis-à-vis de tous les acteurs politiques de quelque tendance que ce soit. Exigence, clairement explicitée par la Constitution de janvier 2014 qui stipule dans ses articles 18 et 19 que les forces armées et les forces de sécurité intérieure doivent accomplir leurs missions respectives dans la « neutralité totale ». Or cette neutralité ne peut être garantie dans les faits que si ces institutions conservent bien leur caractère apolitique en se maintenant bien loin des sphères politiques et de leurs influences. En revanche l'octroi du droit de vote aux militaires n'est au fait qu'une invitation officielle directe à ceux là pour s'intéresser de près à ce monde politique; car seulement ainsi qu'ils pourront effectivement faire des choix politiques bien rationnels lors du vote. Cet intérêt des militaires et sécuritaires porté de près à la chose politique, justifié par l'exercice du droit de vote, mènera ces corps tout droit à la politisation de leurs membres et structures. Cela est aussi de nature à développer chez ces militaires des tendances et préférences politiques et à les soumettre aux contrecoups et tiraillements des acteurs politiques. Ainsi le militaire se trouve en fait, par l'exercice du droit de vote, invité à se politiser et par là sa neutralité totale prescrite par la constitution serait très problématique. Au fait, la ‘‘neutralité totale'' des membres des institutions de défense et de sécurité n'est envisageable qu'en cas d'institutions totalement ‘'apolitiques'', tenues loin des sphères politiques et non pas tout simplement ‘‘non partisanes''.
Ainsi, la condition de neutralité totale des institutions militaires et sécuritaires,exigée par la Constitution, ne peut être satisfaite si leurs agents sont invités à s'immiscer dans la vie politique du pays. Cela permet de conclure que l'octroi du droit de vote aux militaires et sécuritaires est au fond contraire à l'esprit des articles 18 et 19 de la Constitution, à la limite anticonstitutionnel. Plus concrètement, vue la sensibilité et la fragilité de la phase de transition que traverse notre pays, une fois ces agents se trouvent traînés dans la sphère politique, personne ne pourra plus garantir leur neutralité prescrite par la Constitution. Prétendre que le fait que les militaires et sécuritaires soient bien informés et imbus de la chose politique ne s'oppose pas à leur neutralité dans l'accomplissement de leurs missions, me semble absolument théorique et un peu trop naïf. Ce qui s'est passé du côté des syndicats de certaines institutions sécuritaires devrait laisser les défenseurs du droit de vote aux militaires et sécuritaires plus prudents et les inciter à prendre en compte nos réalités nationales. La politisation des corps armés est le germe évident et certain de la discorde interne et d'indiscipline; alors que cohésion et discipline ont toujours été et resteront encore les facteurs fondamentaux de la force de telles institutions. Ces corps ne peuvent pas survivre à la diversité et à la pluralité politiques ou autres d'ailleurs, celles-ci engendrent désunion et fatalement inefficacité et défaillance dans l'accomplissement de leurs missions institutionnelles, pour ne pas parler de déchirement interne et déconfiture. N'étions-nous pas tous émerveillés par la conduite exemplaire de l'armée nationale lors des évènements 2010/2011 ? Quel en était le facteur principal, si ce n'est sa spécificité apolitique? Avez-vous le moindre doute que le cours des évènements aurait été totalement autre, si l'armée était infestée par le moindre degré de politisation? MM. les politiciens doivent savoir mieux que quiconque et l'histoire récente de notre environnement géostratégique nous confirme bien que l'intéressement à la politique provoque, tôt ou tard, l'envie et la tentation d'exercer le pouvoir. On ne peut plus clair ! Nous devons tenir compte des réalités du pays et ne pas se contenter de nous importer des schémas d'autres cieux, scandinaves ou autres.
Droit de vote et citoyenneté, cas des militaires et sécuritaires ?
Garder l'armée et les corps sécuritaires à l'écart des sphères politiques et leurs inéluctables tiraillements, ne diminue nullement la citoyenneté de leurs membres. Au contraire, de par leur statut et leur engagement à servir la nation, au besoin aux dépens de leur vie, cela fait d'eux et doivent être des citoyens de premier ordre, des citoyens au-dessus de la mêlée, des super-citoyens même reconnus comme tels par la société, ce n'est qu'une question de valeurs sociétales.
Les membres des corps armés sont liés à l'Etat et à la nation tout entière par un contrat très particulier et qui traduit leur spécificité: de par la loi, et compte tenu des missions dont ils sont chargées, on leur demande quand c'est nécessaire de sacrifier leur vie pour préserver celles de leurs concitoyens; par la loi ils sont dotés d'armes alors que personne d'autre, toujours au nom de la loi, ne peut en disposer. D'ailleurs, ces spécificités et bien d'autres expliquent bien le fait que ceux-là sont régis par des statuts particuliers bien différents de celui de la fonction publique. Le métier de soldat par exemple reste très spécifique et n'obéit absolument pas aux mêmes valeurs et fondements qui régissent toute autre profession et a bien des contraintes justifiées par les nécessités et la nature du métier et qui sont totalement inacceptables pour d'autres professions. Les exigences et les valeurs de cette profession font de ceux qui l'exercent bien des citoyens mais des citoyens assez particuliers, en devoirs et également en droits; et parmi ces derniers notamment l'interdiction de toute activité politique ou associative et ‘‘la suspension de leur droit au vote'' tant qu'ils sont sous les drapeaux, et elle ne sera pas la dernière dérogation ou contrainte spécifique à ces corps. Que diriez-vous des limitations de la liberté d'expression pour ces agents ? Du droit de la liberté de déplacement, même à l'intérieur du pays ? Et bien d'autres droits.
MM. les politiques et surtout les honorables députés, l'adoption de la disposition permettant aux agents des corps armés de voter serait une mesure de trop qui ne ferait qu'accélérer la politisation de ces corps avec les conséquences que vous devez bien imaginer et, détrompez-vous, elle n'ajouterait rien de positif aux membres de ces institutions, leurs priorités sont bien ailleurs.
Sur le plan organisationnel, que des difficultés inextricables !
Sur le plan pratique, l'exercice du droit de vote par les militaires engendre de nombreux problèmes et soulève en même temps une multitude de questions, en voici les plus importantes :
- il n'est secret pour personne que les forces armées et celles de sécurité intérieure sont, depuis des années, entièrement engagées dans la guerre contre le terrorisme et de nombreuses autres missions. Concrètement, je ne vois pas comment ils pourront s'en désengager pour aller voter, à moins qu'il s'agirait d'un droit fictif sur papier, juste pour déclarer dans les hautes instances que notre loi est des plus progressistes au monde(!). Imaginez, par les temps qui courent, les membres des état-majors des différentes armées et unités puis les milliers de tout grade, en guerre contre le terrorisme, quittant leur poste le jour de vote annoncé à l'avance, aux électeurs mais aussi aux terroristes, pour défiler devant les centres de vote accomplir leur devoir et ainsi jouir de leur entière citoyenneté, car sans cet acte, dites-vous, ils resteraient comme l'étaient leurs anciens pendant déjà-soixante ans de citoyenneté réduite, des citoyens de second ordre (!). C'est ainsi que MM. les honorables députés fervents défenseurs du droit de vote aux agents des corps armés, perçoivent et conçoivent la citoyenneté et la fonction militaire (!).
les militaires sont appelés à jouer, lors des élections, un rôle extrêmement important en contribuant à leur soutien logistique, leur bon déroulement, leur régularité et leur transparence, ce qui nécessite la mobilisation de la totalité de leurs ressources humaines, alors que leur faire prendre part au vote même, est source de diversion et dispersion de leurs efforts qu'ils ne peuvent se le permettre;
Sur le plan organisationnel, évidemment les militaires ne peuvent pas voter le même jour que le reste des citoyens ; imaginez donc les difficultés qui viendront s'ajouter à celles déjà rencontrées par l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) pour leur réserver une autre journée de vote; et dans ce cas qui assurera à leur place le soutien logistique aux élections et maintiendra l'ordre public et gardera nos frontières pendant cette journée ?
Certes, il n'échappe pas à nos vaillants députés que l'armée, pour me limiter à celle-ci, depuis fin 2010 et en plus de la guerre qu'elle mène au terrorisme, se trouve confrontée à de nombreuses nouvelles missions avec des ressources humaines bien en deçà du nécessaire. De grâce, si vous n'êtes pas en mesure de résoudre les vrais problèmes de défense et sécurité, ne lui compliquez pas davantage la vie par de faux problèmes. Combien de pétitions avez-vous reçu du ministère de la Défense ou de groupes de militaires réclamant ce fameux droit de vote pour jouir d'une citoyenneté à part entière ? Rassurez-vous, les militaires sont très fiers de l'être ainsi, se portent très bien même sans droit de vote. Quand à leur citoyenneté, personne ne peut la mettre en question, car ils la gagnent, chaque jour, par la sueur et le sang.
Les vraies priorités !
MM. les honorables défenseurs du droit de vote des militaires, dans cette phase transitoire très délicate, vous n'avez pas le droit de vous tromper de priorités, l'intérêt du pays et des corps armés, ainsi que les aspirations de leurs membres sont tout à fait autres. En ce qui concerne l'armée nationale et les questions de défense, auxquelles je limite mes propos, je vous invite à réorienter vos efforts et vos énergies vers les vraies problématiques qui touchent de près les militaires et surtout la sécurité du pays et dont je vous cite ci-dessous juste quelques-unes à titre d'exemple:
La responsabilité pénale des militaires en opérations : est-il juste que le militaire assume seul la totale responsabilité pénale des résultats de ses actes au combat en application d'ordres reçus de leurs chefs ? Au jour d'aujourd'hui, de nombreux militaires de tout grade sont accusés «d'homicide volontaire»(!) ; juste pour avoir exécuté des ordres conformément aux règlements militaires en vigueur ; et après cinq ans, ils traînent toujours devant les tribunaux, absolument comme s'il s'agissait de criminels de droit commun ayant agi pour leur propre compte et non pas en service commandé pour le compte de la patrie. Quel signe de reconnaissance de la part de la Nation à ces pauvres pour les sacrifices consentis pour la défense du pays et la protection des citoyens !
Politique de défense du pays : quelle politique et quel système de défense pour la Tunisie, en tenant compte des nouvelles donnes géostratégiques dans la région et dans le monde? Avec quelles ressources humaines, quels moyens financiers ? Quels armements? Faut-il pour cela réformer l'institution militaire ? Si oui, dans quel sens ? Quel devra être le rôle du citoyen dans la défense du pays? Comment réformer le service national ? Rappelez-vous MM. les députés que la Constitution adoptée en 2014 stipule bien que le service national et le paiement des impôts sont deux devoirs constitutionnels (articles 9 et 10). Pourquoi vous ne serez pas à l'origine d'une initiative faisant de l'acquittement de ces deux devoirs une condition à la candidature aux différents postes électifs au niveau local, régional et parlementaire ? Voilà une proposition utile à insérer dans le projet de la loi électorale en discussion.
- La condition socioprofessionnelle des militaires : quelles mesures prendre pour améliorer la situation socioprofessionnelle des militaires et leur permettre d'occuper la place qui leur revient dans la société? Cela est de nature à motiver ces agents et garantir l'efficacité de toute l'institution militaire dans son rôle ?
Tant d'autres réformes d'une grande urgence sont en instance et que vous ferez bien d'en débattre pour doter le pays d'un système de défense à même d'assurer sa sécurité.
En attendant de trouver les bonnes réponses à ces questions fondamentales et réelles, Messieurs les honorables députés et politiques, de grâce, préservez les forces armées de vos surenchères politiques, laissez-les se consacrer aux menaces et défis qui guettent le pays et réussir leurs propres réformes internes ...tout en restant absolument apolitiques. Ne faites pas traîner le dernier rempart du pays à la sphère des jeux politiques. Aussi, tirons les bons enseignements de l'expérience de l'exercice du droit syndical accordé hâtivement à certains de ces mêmes corps. Ayons conscience tous qu'il n'y a rien de plus dévastateur pour les corps armés que le virus politique. La politisation des corps armés mènerait tout droit à la perte de tout le pays. Préservez-les donc. Le droit de vote aux militaires et sécuritaires n'est non seulement pas dans l'intérêt du pays et ne figure aucunement parmi les préoccupations des agents concernés. On pourra peut-être revenir sur ce thème après une trentaine d'années de stabilité, de pratiques démocratiques et de prospérité (!).
NB : Quoique axé sur l'armée nationale, mon propos reste entièrement valable pour toutes les institutions armées du pays: forces de sécurité intérieure, douane...
Que Dieu garde la Tunisie.
M.M.
*(Général de brigade à la retraite - Armée nationale)


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