La Tunisie souffre de son élite politique. Une crise morale infeste la classe politique. Celle-ci corrompt la jeune démocratie tunisienne et ébranle ses arcanes. Le pays ne compte pas d'hommes d'Etat, même pas d'hommes politiques, juste des acteurs politiciens et partisans à la petite semaine, mus uniquement par le goût au butin, la course au leadership, la guerre d'egos et les combats à coups bas ou tordus. A croire qu'il n'y a pas de partis politiques mais de groupements d'intérêt. Au pouvoir comme à l'opposition, les hommes politiques vocifèrent dans leurs bulles et leurs tours d'ivoires, sans qu'ils ne se rendent compte de la vacuité de leurs discours. Le débat vole, haut et fort, sur un sein dénudé, un appel à la grève ou un pneu brulé quelque part. L'essentiel est occulté. La classe politique tunisienne, tous courants politiques et idéologiques confondus, brille plutôt par son fâcheux déphase avec la réalité de la société et notamment avec la difficile situation à laquelle fait face le plus commun des tunisiens dont le pouvoir d'achat est réduit à une peau de chagrin et la capacité de consommer, comparativement avec la situation pré-révolution, n'est rien qu'un cache misère. Le simple tunisien croule sous le poids du coût de la vie, de la flambée des prix. Des pans entiers de la classe moyenne, incapables d'amortir le choc de la paupérisation ambiante et le coup de massue socioéconomique, dégringolent et chutent dans les méandres de la pauvreté. Il n'y a qu'en Tunisie qu'un parti, membre de la coalition gouvernementale, n'éprouve aucune gêne à tirer à boulets rouges sur ses partenaires au gouvernement. Il n'y a qu'en Tunisie qu'un parti trouve un malin plaisir à avoir un pied dans le gouvernement et un pied dans l'opposition. Il n'y a qu'en Tunisie que les politiques détruisent la politique, dans son acception méthodologique, rationnelle et éthique. Il n'y a qu'en Tunisie qu'un chef de parti se tire une balle dans le pied croyant trouer la peau de ses adversaires, qui sont au fait ses alliés ou supposés alliés. L'exemple de Yassine Brahim est on ne peut plus édifiant, révélateur, à plus d'un titre, de la crise morale de l'élite politique tunisienne. Dans sa dernière sortie médiatique, il a élevé le non-sens au rang de plan de communication et donné ses lettres de noblesse au poignard au dos. Une approche manichéenne et non moins subversive de la chose politique. A l'image de son parti, Afek Tounes, qui n'est pas connu ni par sa cohérence ni par son esprit de groupe. Un parti à la Janus, en pleine schizophrénie. Les échecs personnels de Yassine Brahim dans les deux gouvernements auxquels il a fait partie donnent une première idée sur la personne. Comment se fait-il qu'en même temps qu'il tacle par derrière ses partenaires à la coalition gouvernementale, il assure que son parti ne compte pas quitter le gouvernement ? Comment comprendre le fait qu'il qualifie de grave ce qu'il appelle "l'alliance stratégique entre Ennahdha et Nidaa", deux piliers du gouvernement et dont le poids électoral est sans commune mesure avec celui de son parti ?! Le constat est peut-être lucide dans la bouche d'un opposant, mais devient incongru, voire paradoxal, venant d'un parti membre du gouvernement. Son allié au précédent gouvernement, à savoir l'Union Patriotique Libre (UPL), en a pris lui aussi pour son grade. Tout bonnement pour Yassine Brahim,"l'UPL n'est pas un parti", non sans lancer une dernière pique, en disant ne pas comprendre "pourquoi il a réintégré la coalition". Yassine Brahim aurait dû d'abord se poser la question si Afek Tounes est vraiment un parti politique ou un groupe d'intérêt ou de pression? Nul doute qu'il a le droit de critiquer ses partenaires au gouvernement mais en interne et non sur la place publique. Avec de telles déclarations, aussi maladroites que frustes, Yassine Brahim a commis une double faute : D'abord, il s'est désolidarisé ouvertement, par voie médiatique, de sa coalition gouvernementale en lynchant ses deux principaux partenaires. Il a pointé, d'une manière autant virulente qu'exagérée, une alliance stratégique dont les deux protagonistes n'ont jamais évoqué la formation. Peut-être que Yassine Brahim, aigri de n'en pas faire partie, a brandi cette hypothétique épouvantail. Ensuite, il a vidé son sac en public, au mépris de la discipline interne de groupe. Ce qui laisse comprendre que le bloc gouvernemental est fissuré et montre tout au moins le manque d'autorité de Youssef Chahed sur ses alliés et la fragilité politique de sa coalition. Cet épisode pose la question problématique liée au conflit politique, moral et intellectuel entre la "seule voix" gouvernementale dont les parties sont censées parler et la liberté d'opinion et d'expression d'une de ses composantes. S'inscrire dans une discipline de groupe ou conserver le périmètre de son libre arbitre et de sa libre pensée. S'ancrer dans la moule gouvernementale ou faire part de son indépendance intellectuelle et politique ?! Brimer la liberté individuelle au nom de la cohésion de groupe ou se prévaloir de l'unité sacrée pour contraindre un partenaire à rester dans les rangs ? Tout autant de questions à trancher. L'épineux problème est toujours posé. En résumé, la dernière sortie médiatique de Yassine Brahim ne passe pas inaperçue dans la mesure où elle reflète la déliquescence morale et le manque de déontologie et de discipline de l'élite politique tunisienne (du moins une bonne frange) où il y a plus d'épiciers politiciens que d'hommes de parole et d'honneur. Pas de débat d'idées ou de programmes, juste des joutes médiatiques et des batailles d'arrière-garde. Une classe politique, en majorité, délitée dans ses fondements, nivelée vers le bas et incapable de rehausser son discours ou de hisser son niveau.